Les dons de sang permis aux hommes gais: qui pourra vraiment donner?
Julien Bouthillier et Claudie Arseneault
Ça y est: les hommes qui ont eu une relation sexuelle avec un autre homme dans les trois derniers mois ont maintenant le droit de donner leur sang. Tous? Non, car certains critères excluent encore une partie de cette communauté. Qui pourra véritablement donner? Voici ce qu'il faut savoir sur le nouveau questionnaire non genré de Héma-Québec.
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Les donneurs potentiels sont désormais évalués individuellement sur leurs comportements sexuels. Ils doivent répondre à un nouveau questionnaire revisité et non genré. Toutes les personnes qui souhaitent donner du sang se feront poser sensiblement les mêmes questions.
«Le questionnaire ne cible donc plus les donneurs selon leur appartenance à une communauté, précise Josée Larivée, responsable médias chez Héma-Québec. La nouvelle approche va faire en sorte que toute personne, peu importe son sexe, genre ou orientation, devra s’expliquer sur ses relations sexuelles passées et ses comportements à risque.»
Les potentiels donneurs doivent, par exemple, répondre à des questions sur leurs partenaires sexuels, actuels ou passés. Des questions portent également sur leurs pratiques sexuelles courantes et, pour les femmes, leurs antécédents de grossesse.
À la lumière du questionnaire, les personnes dont les comportements sexuels sont jugés à risque seront exclues. Des personnes hétérosexuelles pourraient donc ne pas se qualifier.
Qu’est-ce qu’on entend, au juste, par «comportements à risque»?
Les personnes qui ont des relations sexuelles anales, mais qui sont dans une relation monogame depuis au moins trois mois, ne sont pas considérées comme étant à risque. Elles pourront donc donner du sang.
Une personne qui a un nouveau partenaire ou plusieurs partenaires ne pourra toutefois pas donner du sang si elle a eu de relations sexuelles anales au cours des trois derniers mois.
Le changement d’approche d’Héma-Québec a été approuvé par Santé Canada. Le sang collecté par Héma-Québec est testé pour détecter de potentielles infections transmissibles par le sang.
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Les hommes gais sous PrEP peuvent-ils donner du sang?
Les personnes qui prennent de la prophylaxie préexposition (mieux connue sous le nom de PrEP), un médicament efficace pour prévenir la transmission du VIH, ne peuvent toujours pas donner leur sang.
Sur son site web, Héma-Québec explique que lorsqu’une personne est sous PrEP, «une faible charge virale de VIH dans le sang pourrait ne pas être détectée et présenter un risque de transmission par la transfusion».
Le Dr Réjean Thomas, président et fondateur de la clinique l'Actuel, estime que cette décision «pourrait évoluer un jour».
«Je pense qu’il n’y a pas encore assez de recul avec la PrEP pour en arriver à d’autres conclusions, donc ils ont fait plus attention», estime-t-il.
Il rappelle que la PrEP, lorsque bien utilisée, est un outil extrêmement efficace dans la prévention du VIH. Selon lui, cet outil n’est pas encore assez connu dans le domaine médical.
«J’ai des patients qui ont essayé d’avoir des assurances vie et parce qu’ils sont sur la PrEP, ils sont refusés! Alors, je dis au médecin de la compagnie d’assurance: "Mais c’est le contraire! C’est lui qu’il faut que tu prennes, il est bien plus protégé que celui qui n’utilise pas la PrEP". Dans le cas du don de sang, on pourrait avoir un peu cette même réflexion-là.»
Le Dr Thomas convient toutefois que la plus grande prudence est de mise lorsqu’il est question de transfusion sanguine.
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Un moment symbolique pour la communauté LGBTQ+
Le fait que le nouveau formulaire ne prenne pas en compte l’identité de genre ou l’orientation sexuelle est un pas dans la bonne direction, selon les personnes LGBTQ+ qui militent depuis longtemps pour ces changements. Le Dr Réjean Thomas estime que l’interdiction qui visait spécifiquement les hommes gais pouvait mener à la stigmatisation de ceux-ci.
«Tu es à l’adolescence et on te dit que ton sang n’est pas bon. C’est ce genre de commentaire que les gens vivent dès leur jeunesse et qui peut mener à une faible estime de soi», explique-t-il.
Toutefois, pour les nombreux hommes gais qui prennent la PrEP ou qui ont eu des relations sexuelles anales avec de nouveaux partenaires, les nouvelles règles ne changent pas grand-chose.
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«Je ne pense pas que demain matin, Héma-Québec va avoir 100 000 personnes de plus qui vont aller donner du sang, mais c’est quand même [une avancée] majeure au niveau de la [non]-stigmatisation des hommes gais et bisexuels», conclut-il.
D’où venait l’interdiction?
En 1988, les hommes homosexuels ont été exclus à vie des dons de sang. Cette interdiction faisait suite au scandale du sang contaminé. Au cours des années 1980, de nombreux Canadiens ont contracté le VIH ou l’hépatite C après avoir reçu une transfusion de sang contaminé.
En 2013, l’interdiction est revue à la baisse à cinq ans après le dernier rapport sexuel entre hommes, avant de diminuer à douze mois en 2016 et à trois mois en 2019. Puis, la transition vers le questionnaire non genré entre en vigueur aujourd’hui. Ces changements ont été rendus possibles grâce aux changements de mentalité, mais aussi aux changements technologiques.
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«[À l’époque], les tests n’étaient pas aussi sensibles qu’aujourd’hui. [...] Il faut un certain laps de temps avant qu’on soit certain que la personne n’est pas contaminée. À l’époque on estimait jusqu’à six mois le délai lors duquel le test pouvait être un faux négatif. Mais avec le temps, on a développé des nouvelles méthodes beaucoup plus efficaces», explique le Dr Réjean Thomas.