Les divertissants artistes essentiels
Alexandre Da Costa est chef d'orchestre
Malgré les bonnes nouvelles qui pointent à l’horizon, nous approchons malheureusement d’un anniversaire bien obscur: deux ans de fermetures imprévisibles des salles de concerts au Québec.
Depuis mars 2020, les artistes ont tous vécu, à leur manière, diverses étapes du deuil: le choc, le déni, la colère, le marchandage, la tristesse, l’acceptation. Nous en sommes au pardon et à la reconstruction, qui peuvent s’amorcer avec la certitude que nos lieux de diffusion resteront ouverts, comme en Europe et aux États-Unis.
Au Québec, les salles ont été fermées plus de jours que partout ailleurs au Canada. En Alberta, en Ontario, les artistes ont pu partager leur travail de manière plus stable qu’au Québec, lieu de création que nous qualifions nous-mêmes de bastion ultime des artistes d’Amérique du Nord.
Oui, j’ai bien compris les chiffres et je sais calculer. Nous n’avons au Québec que 1865 lits d’hôpitaux par million d’habitants, ce qui nous place en position précaire par rapport à d’autres endroits. Une question se pose: est-ce que l’art est « essentiel » et faut-il que cette industrie, qui représente une grande partie de ce que le Québec a à offrir sur la scène internationale, soit assurée de pouvoir opérer malgré tout?
L’art, un divertissement?
Si on se fie à l’ex-premier ministre du Québec, Bernard Landry, lui-même économiste, le secteur de la culture au Québec rapporte autant que les secteurs des mines, forêts et pêcheries combinés. Donc d’un point de vue comptable, on est « essentiels » aussi. Alors pourquoi est-ce qu’on nous a tous convaincus, artistes inclus, que l’art n’est pas un besoin essentiel, et qu’il est plutôt, tel que notre nouveau directeur de la santé publique l’a si bien souligné, un « divertissement »?
Écoutez l'entrevue de Sophie Durocher avec Alexandre Da Costa sur QUB radio :
Cette qualification de notre travail nous a beaucoup heurtés. L’art, un divertissement? Vraiment? Cet énoncé plutôt réducteur, est inadmissible venant d’un directeur de la santé publique. Docteur Boileau, en tout respect, vous auriez dû assister à un des 110 concerts que l’Orchestre symphonique de Longueuil et moi avons donnés depuis avril 2020 dans les CHSLD et hôpitaux de tout le Québec, de Gatineau à Gaspé... Ce fut certes une manière de partager de la bonne musique, mais ce fut aussi notre réponse concrète à la demande de nos gouvernements de contribuer avec nos bras.
Je crois que notre musique a servi de vaccin spirituel pour bien des patients, certains qui n’étaient pas sortis de leurs chambres depuis des mois avant notre arrivée, et d’autres qui, selon leurs infirmières, ont été miraculeusement
« guéris » de leurs spasmes durant nos concerts. À mon avis, notre musique, notre présence, sont des services essentiels qui transcendent de beaucoup le premier niveau du « divertissement ».
Le silence des artistes
Et ce qui fut encore plus surprenant depuis quelques mois, c’est le relatif silence des artistes... moi inclus! La raison: j’ai eu peur de parler. Oui, le gouvernement m’a aidé à survivre avec des subventions pour assister ma « réinvention ».
Oui, je leur en suis très reconnaissant. Mais est-ce qu’accepter l’argent signifie que je dois et devrai donner mon appui inconditionnel à n’importe quelle décision ou mesure? Dois-je fermer ma boîte, ou servir d’outil propagandiste lors des gestions de crises? Dois-je appliquer l’adage « ne mords pas la main qui te nourrit »?
À mon humble avis, tout le monde n’en parle pas assez et il faut donner une voix véritable à ceux que l’on a fait taire à répétition pendant plus de 700 jours.
Alexandre Da Costa, Chef d’orchestre et Violoniste soliste, directeur artistique et chef attitré | Orchestre symphonique de Longueuil et directeur Artistique | Festival Stradivaria