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L'article provient de 24 heures

Commande sur internet, microdosage, médecine... les champignons magiques sont partout

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Photo portrait de Julien Lamoureux

Julien Lamoureux

2022-02-03T12:00:00Z
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Le mush est-il la prochaine drogue qui sera légalisée au Canada? De nombreuses personnes qui s’intéressent à cette substance pensent que oui. D’abord parce que des études scientifiques tendent à montrer que ses bienfaits sont supérieurs à ses risques, mais aussi parce que s’en procurer est de plus en plus facile, même dans un contexte de prohibition.  

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Note : Ce reportage explore un phénomène entourant une substance illicite. Le but n'est pas d'en cautionner la consommation.

Un étudiant universitaire qui s’est confié au 24 heures explique que, pour lui, consommer des champignons hallucinogènes est une façon de prendre du recul sur sa vie. 

Photo Étienne Brière
Photo Étienne Brière

«J’ai l'impression que ça me permet vraiment de faire une grosse introspection dans des zones où je n’aurais pas pu aller à jeun», dit-il. 

Le jeune homme de 24 ans, dont on préserve l'anonymat pour des raisons légales, a l’habitude de faire ça seul chez lui, dans un environnement de lasers, de projections lumineuses et de musique ambiante. 

  •  Écoutez l'entrevue avec Julien Lamoureux, producteur de contenu d’information sur QUB radio :

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Photo Étienne Brière
Photo Étienne Brière

On s'est entretenus avec d'autres personnes pour qui c’est le côté récréatif et social de la psilocybine (la molécule à l'origine des effets psychotropes de certains champignons) qui en fait l’attrait. 

Ils nous ont demandé d’utiliser seulement leurs prénoms dans ce reportage. 

«C'est juste pour rire, c'est juste pour être avec mes amis, pour trouver la vie donc belle, et mes amis donc drôles», explique Charlotte. «Même à jeun je les trouve belles et drôles aussi!», ajoute-t-elle en riant. 

Charlotte
Charlotte Photo Étienne Brière

Marianne, de son côté, a vécu des trips pendant son adolescence au cours desquels elle prenait une forte dose pour vivre pleinement les effets hallucinatoires. Maintenant, elle ingère une plus petite quantité afin de vivre «un petit buzz» qui ne prend pas de trop grandes proportions. 

Marianne
Marianne Photo Étienne Brière

«Si avant on retrouvait surtout des consommateurs (...) chez les ados et les jeunes adultes, aujourd'hui je vois beaucoup plus de différents types de personnes utiliser [les champignons magiques]», nous explique un revendeur préférant garder l’anonymat.  

Selon lui, de plus en plus de personnes s’intéressent aux bienfaits que peuvent avoir les champignons magiques et y voient un intérêt thérapeutique. 

Ceci dit, en plus d'être illégale, la consommation de champignons magiques n’est pas sans risque. Santé Canada rappelle qu’il est entre autres possible de vivre un bad trip qui rend l’expérience «effrayante» et qui induit un état de paranoïa. Les personnes prédisposées aux troubles psychiatriques pourraient aussi souffrir d’effets à long terme. 

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Photo Étienne Brière
Photo Étienne Brière

Commander du mush sur internet      

Jusqu’à récemment, pour se procurer des champignons magiques, il fallait soit en faire pousser soi-même ou connaître un revendeur. Maintenant, de nouveaux joueurs se sont immiscés dans ce marché : les dispensaires en ligne. 

(Un petit rappel : toutes ces pratiques sont encore illégales au Canada.) 

De nombreuses entreprises, la plupart installées en Colombie-Britannique, proposent des champignons magiques sur internet sans se cacher.  

Capture d'écran
Capture d'écran

Codes promo, expédition gratuite, paiement par carte de crédit ou par PayPal, livraison par Postes Canada : on croirait voir le fonctionnement de n’importe quelle entreprise légitime.    

Plusieurs de ces compagnies font même de la promotion sur d’autres plateformes.  

«J'ai vu une pub dans mon YouTube qui disait “Yes, you can buy shrooms legally”, et c'est juste mensonger. Je trouve ça décalé», affirme Marianne. 

Charlotte admet quant à elle avoir remarqué le branding et la présentation des produits. «C'est tout beau, c'est tout cute, ça donne le goût.» 

Le psychologue Joe Flanders est le fondateur de Mindspace, une clinique de psychologie montréalaise qui offre des thérapies alternatives faisant entre autres appel à des substances psychotropes grâce à des exemptions données par Santé Canada. Il s’intéresse donc aux bienfaits que peuvent avoir les champignons magiques. Il esquisse un sourire lorsqu’il voit certains sites qui en offrent. 

Joe Flanders
Joe Flanders Photo Étienne Brière

«Je trouve ça bien fait. Et si je n’étais pas très éduqué sur tout ce qui est psychédélique, tout ce qui est l'industrie du bien-être, je serais impressionné de la qualité du marketing.» 

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Le problème, selon lui, c’est qu’il est difficile de départager le vrai du faux, puisqu’aucune entité ne contrôle les messages qu’on retrouve sur ces sites, et qu’il est pratiquement impossible de connaître l’authenticité du produit qu’on va recevoir. 

Le 24 heures a contacté plusieurs entreprises qui font le commerce en ligne, qui ont toutes refusé de nous accorder une entrevue.

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Une alternative aux antidépresseurs?  

Depuis le 5 janvier, les médecins à travers le pays peuvent passer par le Programme d’accès spécial de Santé Canada pour demander une substance contrôlée, comme la MDMA ou la psilocybine, pour un patient.  

«Le programme vise à fournir un accès d'urgence approuvé aux patients atteints d'une maladie grave ou potentiellement mortelle lorsque les traitements conventionnels ont échoué, ne conviennent pas ou ne sont pas disponibles», explique une porte-parole de Santé Canada. 

Photo Étienne Brière
Photo Étienne Brière

Ça se produit à un moment où la recherche s’intéresse de plus en plus aux bienfaits que peuvent avoir certaines drogues psychédéliques. 

Des études cliniques montrent que les expériences psychédéliques causées par la psilocybine aideraient à faire tomber l’inhibition et à affronter des réflexions qu’il est difficile d’avoir à jeun, tout en ayant un effet qui reste longtemps après le trip

Ces études nous rapprochent d’«un vieux rêve de la psychiatrie», selon le Dr Jean-Philippe Miron, chercheur au CHUM : celui de régler «les problèmes de dépression et d'anxiété, principalement, en aidant les gens à changer leurs mécanismes de défense psychologique». 

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Dr Jean-Philippe Miron
Dr Jean-Philippe Miron Photo Étienne Brière

«Jusqu'à maintenant, il y a eu deux grosses études* qui ont paru dans d’assez gros journaux (...) qui ont montré que, possiblement, il peut y avoir des bienfaits [dans des cas de] dépression», résume Dr Miron. 

Des études sur des modèles animaux tendent à démontrer que la psilocybine a des effets sur la taille des neurones et sur les connexions entre elles.  

Mais peut-on dire, hors de tout doute, que c’est un traitement qui va révolutionner ce domaine? 

Pour Dr Miron, ce sont des résultats encourageants, mais qu’on doit prendre avec prudence, puisqu’un plus gros volume d’études est nécessaire avant de tirer des conclusions. 

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Et le microdosage?      

Parmi les tendances observées autour de la consommation de champignons magiques, il y a le microdosage. «C’est l'idée de prendre une très petite dose, qui va être sur subhallucinogène», résume Étienne Billard, membre du conseil exécutif de la Société psychédélique de Montréal, un regroupement qui souhaite «mettre en relation, éduquer et épauler» des gens intéressés par des drogues comme la psilocybine et le LSD.  

Étienne Billard
Étienne Billard Photo Étienne Brière

Plusieurs attraits y sont attribués, notamment pour améliorer ses performances au travail. Par exemple, une augmentation de la créativité, de la productivité, ou de sa capacité à résoudre des problèmes de manière imaginative.

On parle de quelques dixièmes de grammes de champignons, consommés plusieurs fois par semaine, afin d’en tirer certains bénéfices, sans vivre de voyage psychédélique. Il n’y a pas de protocole unique, et la plupart des gens expérimentent par eux-mêmes, avec l’aide de quelques ressources qu’on peut trouver en ligne.  

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Ce qu’on ne sait pas encore, c’est si le microdosage a des effets concrets ou s’il ne fait qu’en donner l’illusion. 

«La science ne dit pas encore grand-chose sur le microdosage», résume Dr Miron, qui indique que les études à ce sujet sont «très, très préliminaires».

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Le mush, encore illégal  

Malgré la facilité avec laquelle on peut acheter du mush, la production, la vente et la possession de psilocybine sont illégales et criminalisées au Canada. Cette substance fait partie de l’annexe III de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et une offense peut occasionner un emprisonnement maximal de trois ans (possession) ou de dix ans (trafic).  

Plusieurs personnes à qui le 24 heures a parlé ont comparé l’état des champignons hallucinogènes à celui du cannabis dans les années qui ont précédé sa légalisation au Canada.  

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«On dirait que je me retrouve en 2014, quand le pot était illégal, mais que “tout le monde” en faisait», illustre Charlotte.  

Charlotte
Charlotte Photo Étienne Brière

Dana Larsen, qui milite pour la décriminalisation de toutes les drogues, est allé jusqu’à ouvrir un commerce à Vancouver où on peut acheter de la psilocybine sur place. Il assure ne pas avoir eu de problème avec la police jusqu’à maintenant. 

Selon lui, la crise des surdoses liée aux opioïdes occupe tellement de place que les autorités n’ont pas les ressources pour agir contre des vendeurs d’une drogue «qui ne dérange pas grand monde dans la communauté».  

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«C’est comme quand il y avait les premiers dispensaires de cannabis [à Vancouver]. Ça ne valait pas la peine de mettre l’effort [de les faire fermer]», affirme-t-il. 

Alors, est-il temps de penser à légaliser la psilocybine au Canada? 

«Je pense que l'idée derrière la légalisation de substances comme le cannabis, c'était de réduire les méfaits et que les gens puissent aller chercher de l'aide sans se sentir stigmatisés», estime le Dr Jean-Philippe Miron. 

«On se dit, si le cannabis, c'est légal, si l'alcool est légal, si le tabac est légal, pourquoi est-ce que des substances comme la psilocybine ne pourraient pas être légales?» 

*

Pour obtenir de l'aide concernant la consommation de substances, vous pouvez contacter le service Drogue, aide et référence au 1-800-265-2626.

*Sources du Dr Miron : 

Robin Carhart‐Harris et al., Trial of Psilocybin versus Escitalopram for Depression, The New England Journal of Medicine, avril 2021

Alan K. Davis et al., Effects of Psilocybin-Assisted Therapy on Major Depressive Disorder, JAMA Psychiatry, Novembre 2020

Bill Hathaway, Psychedelic spurs growth of neural connections lost in depression, YaleNews, 5 juillet 2021

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