Les arguments en faveur du 3e lien tiennent-ils la route?
Sarah-Florence Benjamin
Réduire le trafic, diminuer l’étalement urbain, créer des emplois: le gouvernement avance de nombreux arguments pour justifier la construction du troisième lien, bien que les scientifiques demandent de cesser la construction de nouvelles routes. Nous avons passé six de ces arguments à la loupe avec l’aide d’une experte.
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1. Il va réduire le trafic vers Québec
L’argument qui revient le plus souvent pour justifier la construction du troisième lien est la nécessité d’alléger le trafic entre Québec et Lévis. Or, les études sont unanimes: l’ajout de plus de voies ne réduit pas le trafic automobile ni à long terme ni à moyen terme.
De plus, l’emplacement prévu du troisième lien dans le secteur est de Québec et Lévis ne répond pas aux réels besoins des villes en termes de transport des personnes. Selon l’Enquête origine-destination de 2019, le trois quarts des automobilistes de la région de Québec transitent dans le secteur ouest.
Mais c’est aussi que l’est de la région de Québec est celle qui connaît la moins grande croissance de population, en plus d’avoir la population la plus vieillissante, laquelle utilise moins les routes à l’heure de pointe, soulignait l’ancien maire de Québec, Régis Labeaume, dans une lettre adressée au gouvernement Legault.
Pourquoi alors construire un tunnel qui ne réduira pas le trafic et qui ne desservira pas les secteurs qui en ont le plus besoin? Selon Danielle Pilette, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’ESG UQAM, le but premier du troisième lien n’est pas le transport des personnes, mais des marchandises.
«Le troisième lien permettrait de transporter des marchandises plus directement vers l’est du Québec et les États-Unis. Pourtant, ça n’apparaît pas du tout dans le discours du gouvernement», mentionne-t-elle.
Les chambres de commerce et les associations de camionneurs sont pourtant assez timides dans leur appui du projet, ce qui laisse présager un manque d’intérêt envers le projet dans le secteur économique, selon la professeure: «Un tunnel limite le genre de matières qui pourront être transportées. Le transport interrégional se fait donc beaucoup par train de marchandises déjà.»
2. Québec devrait avoir autant de ponts que Montréal
Plus tôt cette année, le gouvernement Legault a créé un indicateur justifiant l’ajout de nouvelles voies entre Québec et Lévis: le «PPM» ou «pont par millions d’habitants». Selon les calculs du gouvernement, Québec serait en déficit de ponts avec ses 2,44 PPM, contre Montréal du haut de ses 8,77 PPM.
Mais un détail important ne figure pas dans cette comparaison: le fait que Montréal soit une île. De nombreux experts jugent que l’unité de mesure utilisée n’est pas valide, comme le nombre de ponts dans une ville ne dépend pas seulement de sa population, mais aussi de la topographie et de la présence de cours d’eau.
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De plus, le calcul du PPM présenté par le gouvernement prend en compte les villes de Québec et de Lévis pour la région de la Capitale nationale, mais compte seulement le nombre d’habitants sur l’île de Montréal sans inclure les couronnes.
«Ça me semble avoir été créé juste pour cette situation. Si on veut comparer l’usage qui est fait des ponts, on devrait regarder le flot de véhicules, donc le nombre de passages par jour ou par mois sur un pont donné», précise Danielle Pilette.
3. Ce sera un projet carboneutre
Si les partisans du projet avancent que le troisième lien sera vert – voire carboneutre –, ses opposants décrient plutôt son impact environnemental.
Les partisans invoquent la plus grande présence des véhicules électriques sur les routes pour le qualifier de projet vert, alors qu’elles ne comptent que pour 7,1% du parc automobile au Québec. Ils semblent toutefois oublier que la production de batteries nécessaire à la construction de véhicule électrique a de forts impacts sur l’environnement, soulignent des membres de la communauté scientifique dans une lettre publiée dans le Journal.
Par ailleurs, miser sur la voiture électrique n’est pas une solution viable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) puisqu’elle repose sur le modèle d’auto-solo et non le transport en commun, beaucoup moins polluant. Plus de trafic et l’étalement urbain équivalent aussi à une hausse des émissions de GES.
Bien que le gouvernement ait annoncé que le projet sera carboneutre grâce à la plantation d’arbres et l’achat de crédits carbone, il n’a toujours pas fourni d’estimation des GES émis par la construction du tunnel. Même si les travaux de forage préliminaires ont débuté, aucun avis de projet n’a été déposé pour le 3e lien, ce qui est nécessaire pour l’évaluation environnementale du projet.
Outre la construction du tunnel, l’augmentation du trafic automobile ne semble pas être prise en compte dans la carboneutralité du projet avancée par le gouvernement Legault.
4. Le 3e lien va réduire l’étalement urbain
L’étalement urbain est un phénomène qui empêche le Québec d’atteindre ses cibles de réduction de GES. Plus les gens doivent parcourir une grande distance pour aller travailler en voiture, plus ils émettent de GES.
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Le gouvernement présente le 3e lien comme un frein à l’étalement urbain, comme il liera le centre-ville de Québec à celui de Lévis.
Cette conclusion va toutefois à l’encontre des avis de la communauté scientifique, selon qui plus d’accès au centre-ville de Québec permettront l’étalement de plus de banlieues sur la Rive-Sud du fleuve. Cet argument contredit d’ailleurs la volonté du gouvernement d’encourager l’arrivée de nouveaux résidents dans la région.
5. Les travaux vont créer des emplois
Un projet d’une telle envergure créerait assurément des emplois dans la région. Or, le secteur de la construction subit présentement un grand problème de pénurie de main-d’œuvre.
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«C’est beau de créer des emplois, mais il faut trouver des gens pour les occuper aussi, rappelle Danielle Pilette. Il faut se rappeler que de nombreux chantiers publics concurrents vont avoir lieu dans la ville de Québec en même temps. Ce n’est pas un bon argument.»
6. Les ponts de Québec sont en mauvais état
En conférence de presse en mai 2022, le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, a invoqué le mauvais état des ponts de Québec pour justifier la construction d’une nouvelle voie interrives. Le troisième lien viendrait assurer le transport des personnes et des marchandises en cas de bris majeur.
Mais c’est plutôt un argument en défaveur du troisième lien, selon Danielle Pilette: «Si on n’a déjà pas les moyens d’entretenir les présentes infrastructures, on n’aura pas les ressources pour construire et entretenir le troisième lien. C’est logique.»
La professeure à l’ESG remarque un décalage entre le discours explicite de la CAQ sur le troisième lien et les visées implicites du projet. «Les objectifs du gouvernement ne sont pas transparents. On met l’accent sur le positif quitte à omettre toutes les parties problématiques. Je pense que c’est parce qu’on veut mettre le projet en branle le plus vite possible, parce qu’on a peur de perdre ses appuis, qui ne sont pas nombreux», résume-t-elle.