Le paysage des îles de la Madeleine «complètement changé en un ouragan»
Andrea Lubeck
Ravagées cette fin de semaine par le passage de l’ouragan Fiona, les îles de la Madeleine sont aux premières loges des changements climatiques depuis de nombreuses années. Les Madelinots tirent la sonnette d’alarme sur l’érosion des côtes dans l’archipel, alors que la tempête n’a rien fait pour aider la situation.
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«Mon écoanxiété est dans le tapis»
Si Isabelle Poliquin a déjà vécu de l’écoanxiété, le passage de l’ouragan Fiona l’a exacerbée. «C’est la première fois que ça me frappe autant. Mon écoanxiété est dans le tapis.»
«Ça fait trois ans que je vis [aux Îles-de-la-Madeleine], et depuis mon arrivée, j’ai pu voir le paysage changer. On peut voir la mer à certains endroits où, auparavant, on ne la voyait pas du tout», raconte-t-elle.
Et en quelques heures à peine, le passage de l’ouragan a chamboulé le paysage, ajoute Isabelle Poliquin. Dimanche, l’heure était à l’évaluation des dégâts et au nettoyage. Sous un ciel clair et un soleil brillant, les Madelinots ont constaté que la tempête avait fait reculer plages et falaises, et que l’érosion des berges et des dunes s’était accentuée.
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Le passage de l’ouragan risque d'ailleurs empirer à long terme le problème de l’érosion côtière aux îles, affirme Alain Bourque, directeur général du consortium sur la climatologie régionale Ouranos.
Une étude d’Ouranos et de l’Université du Québec à Rimouski démontre en effet que 80% de l’érosion est causée par quelques événements météorologiques majeurs.
«Il s’agit qu’on ait un événement météo toutes les décennies pour voir l’érosion s’accélérer de façon très importante», note le climatologue.
En constatant les dégâts provoqués par Fiona, Isabelle Poliquin réalise d'ailleurs une fois de plus que l'impact des changements climatiques aux îles, «ça ne peut pas être plus concret et dans ta face».
«On s’est dit: “ce n’est pas la première [tempête], ni la dernière”, mais aussi: “ça aurait pu être pire”. C’est horrible de se dire ça! Surtout quand on sait que les prochaines pourraient être de pire en pire», se désole Isabelle Poliquin.
«Les îles sont belles, mais elles sont fragiles. Ça fait des années que la communauté le crie. Il faut protéger nos Îles!»
«Notre cour, c’était la mer»
Marie-Ève Laure habite La Grave, à Havre-Aubert. Devant chez elle, il y a une baie et, derrière, une lagune, faisant du secteur une zone inondable. C’est d’ailleurs l’un des endroits qui ont été le plus affectés par l’ouragan.
Victime – comme l’ensemble de l’archipel – d’un problème d’érosion des berges, la recharge de plage à La Grave visant à contrer le phénomène et celui de submersion n’a pas été suffisante pour freiner les vagues que l’ouragan a fait sortir de leur lit. Des vagues ont même atteint de 6 à 8 mètres.
«Notre cour, c’était la mer. Tout le chemin de La Grave a été submergé sous les vagues», illustre-t-elle. Le gravier utilisé pour l’enrochement a d’ailleurs percuté et fissuré plusieurs fenêtres de la maison du couple, achetée deux ans plus tôt.
Pour Marie-Ève Laure, ce n’est qu’une autre démonstration des changements climatiques aux îles. «Le niveau de la mer est plus haut depuis quelque temps déjà, on le remarque. Pour les tempêtes, ça nous met vraiment plus en danger.»
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Elle prend pour exemple aussi l’absence de glace l’hiver dernier. Appelée à disparaître à cause des changements climatiques, la glace qui se formait autour des îles de la Madeleine servait de bouclier de protection lors des tempêtes. «Nous, on vit vraiment les changements climatiques à longueur d’année», déplore-t-elle.
Malgré tout, le couple ne compte pas quitter les îles.
«Il va falloir que j’aie la preuve qu’on a un projet de société pour protéger [des intempéries] les citoyens [de La Grave] qui est viable et qui va durer plus longtemps que le temps d’une tempête pour me décider à rester ici. Sinon, on va chercher à monter plus haut que le niveau de la mer. C’est d’ailleurs le critère pour plusieurs personnes qui achètent une maison aux îles: ne pas se situer au niveau de la mer, puisqu’on en connaît les dangers maintenant.»
Une communauté tissée serrée
Ce que retiennent Isabelle Poliquin et Marie-Ève Laure du passage de l’ouragan, ce ne sont pas les dégâts, mais plutôt la solidarité dont a fait preuve la communauté.
«Dès vendredi soir, tout le monde s’écrivait. Il y a eu beaucoup de “Comment ça va?” et “Es-tu correct?”. Tout le monde prenait des nouvelles, offrait leur aide pour nettoyer ou même d’héberger des voisins s’ils n’avaient plus d’électricité», relate Isabelle Poliquin.
Quand la pompe à eau de Marie-Ève Laure a cessé de fonctionner, elle s’en est fait offrir trois dans les 15 minutes suivant sa demande sur le groupe Facebook de la communauté. Elle a finalement pu pomper toute l’eau du sous-sol de sa maison.
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«On a vraiment ressenti la solidarité et le sentiment de communauté. Ç’a été très rapide pour recevoir l’aide dont on avait besoin», précise-t-elle.