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L'article provient de 24 heures

L’école est-elle vraiment «queernormative» et anti-hétéro?

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Photo portrait de Sarah-Florence  Benjamin

Sarah-Florence Benjamin

2023-09-28T19:57:00Z
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Est-ce mal vu d’être hétéro à l'école? C’est ce qu’a avancé cette semaine le commentateur Jean-François Lisée. Dans un débat au Téléjournal de Radio-Canada, dans une chronique et sur son blogue, il affirme que «la critique constante de l’hétéronormativité, de l’hétérosexisme et du privilège hétéro» serait en train de nous faire glisser vers la «queernormativité», qui désavantagerait la majorité hétérosexuelle. Ces déclarations sont-elles basées sur des faits ou des données scientifiques? 24 heures a posé la question à deux professeurs en sexologie de l’UQAM, Julie Descheneaux et Martin Blais. 

Quelques définitions:  

  • Hétéronormativité : Présomption que tout le monde est hétérosexuel et que le genre est nécessairement binaire. 
  • Hétérosexisme : Exclusion, discrimination ou invisibilisation des personnes qui ne correspondent pas aux normes hétérosexuelles.  
  • Stéréotype de genre : Opinion ou préjugé généralisé quant aux attributs que possèdent les hommes et les femmes, les rôles qu’ils doivent jouer. 
  • Cisgenre : Personne dont le genre est celui assigné à la naissance 

Le programme d’éducation à la sexualité du Québec fait-il la promotion d’une «queernormativité» aux dépens des enfants hétérosexuels et cisgenres? 

Martin Blais: Si on regarde autour, on voit bien que l’hétéronormativité et la cisnormativité se portent très bien, il n’y a pas de crainte à avoir de ce côté-là. 

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Retirer l’hétérosexisme de l’éducation à la sexualité, c’est de dire qu’il ne s’agit pas de la seule orientation valable et qu’elle n’est pas supérieure aux autres, mais ça ne veut pas dire qu’on dit que c’est mal d’être hétérosexuel. C’est le même principe avec l’identité de genre. 

Les jeunes continuent assurément à entendre parler de l’expérience de la majorité hétérosexuelle et cisgenre, mais là, on fait une petite place à la diversité. Ce n’est pas parce que l’hétérosexualité ne prend plus 100% de l’espace qu’on l’a évacué du programme. Prétendre que ça veut dire qu’on y enseigne une queernormativité qui dévalorise l’hétérosexualité, c’est exagéré. 

Julie Descheneaux: Cette idée vient sans doute du fait qu’on ne parle que d’une des grandes thématiques du programme d’éducation à la sexualité, soit celle qui porte sur l’identité, les rôles, les stéréotypes et les normes sociales. Pourtant, ce n’est qu’une thématique sur huit. Le débat évacue la vision globale et intégrée du cours.  

Il existe une thématique sur la vie amoureuse, sur la croissance sexuelle et l’image corporelle, pour ne nommer que celles-là. On y valorise les relations saines et l’estime de soi pour tout le monde, mais ces contenus ont surtout été pensés en ayant en tête des couples hétérosexuels et des personnes cisgenres.  

On a de nombreuses études qui prouvent que, malheureusement, l’éducation à la sexualité est, au contraire, trop peu représentative des jeunes de la diversité. Même les jeunes hétéros, quand on les interroge, demandent à en savoir plus sur le sujet. Je trouve qu’on n’accorde pas assez d’importance à ce que les jeunes veulent dans le débat. 

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La manière dont on aborde les stéréotypes de genre à l’école dévalorise-t-elle les identités traditionnellement féminines et masculines? 

Julie Descheneaux: Les stéréotypes de genre font partie de l’éducation à la sexualité depuis les années 80. À l’époque, on avait dû retirer le programme pendant deux ans, suite à une controverse assez semblable à celle qu’on vit en ce moment. C’est drôle de constater que, même si le discours évolue, on se retrouve avec les mêmes débats. 

Ce qu’on veut insuffler aux jeunes en leur enseignant un regard critique sur les stéréotypes de genre, c’est une introspection sur ce qu’ils aiment lorsqu’on enlève la pression de se conformer à ce qu’on attend d’un garçon ou d’une fille.  

Ce qu’on remet en question, c’est une adhésion automatique aux stéréotypes de genre, ce qui est un facteur de protection en santé sexuelle par la suite pour les jeunes. Les études démontrent qu’une adhésion automatique, sans qu’il y ait eu de réflexion, aux stéréotypes de genre s’accompagne d’une plus grande prise de risques, par exemple avoir plus de relations sexuelles sans protection. 

Martin Blais: Lorsqu’il est question des stéréotypes de genre, on pose un regard critique sur un système qui fait souffrir, oui les personnes de la diversité du genre, mais aussi les personnes hétérosexuelles et cisgenres. Les effets de l’injonction à se conformer aux stéréotypes de genre sont bien documentés, par exemple, le taux de suicide chez les hommes ou celui des troubles du comportement alimentaires chez les jeunes femmes. D'autres facteurs entrent en jeu, mais les stéréotypes jouent certainement un rôle.

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C’est une bonne chose que l’éducation amène ce regard critique sur ces injonctions. On y dit simplement qu’on peut exister en dehors de ce cadre et que les personnes qui sont en dehors méritent aussi une éducation sexuelle qui leur parle. 

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Ces questions sont-elles débattues de la bonne façon dans les médias en ce moment? 

Martin Blais: Mon souci numéro un en ce moment, c’est que toutes ces interventions dans les médias mettent l’emphase sur des personnes déjà vulnérables et qui doivent sans cesse défendre des positions et construire des rhétoriques.  

On oppose des discours d’opinion du cadre du commentaire [comme les propos tenus par Jean-François Lisée] à des propositions de changements qui s’appuient sur des données et on fait comme si c’était équivalent.  

Oui, c’est bien de se questionner, des parents sont réellement inquiets ou en colère. Il faut expliquer ce qu’il en est réellement à ces parents. Cependant, pour cela, le discours d’opinion ne vaut pas des années de recherche. 

Julie Descheneaux: Tout le monde a le droit à ses opinions personnelles, mais le fait que tous les élèves se sentent en sécurité, c’est un droit dont on ne devrait pas débattre. 

On sent aujourd’hui que sous le couvert de ce débat, on tente de remettre en question des droits fondamentaux, comme celui de recevoir une éducation sexuelle de qualité. Ce qu’on doit enseigner aux élèves, ce sont des informations scientifiques et non des valeurs personnelles.  

La manière dont on traite le sujet contribue à un climat d’insécurité dans lequel sont plongés les élèves, mais aussi les professeurs qui n’ont déjà pas assez de ressources et de temps pour bien enseigner le programme.

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