Le mercure grimpe en flèche dans l'Arctique
AFP
L'Arctique se réchauffe trois fois plus vite que la planète: une poussée du thermomètre plus rapide que ce que l'on croyait et qui est loin d'être terminée, prévient un rapport paru jeudi.
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Point chaud
Emblématique de la région, la banquise apparaît comme une victime annoncée, mais chaque fraction de degré compte: les chances qu'elle disparaisse totalement l'été – avant de se reformer l'hiver – sont dix fois plus élevées si la température sur Terre augmente de 2°C plutôt que 1,5°C, les objectifs énoncés dans l'accord de Paris.
Ces données alarmantes figurent dans un rapport actualisé du Programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique (AMAP), rendu public à l'occasion d'une réunion ministérielle du Conseil de l'Arctique qui rassemble cette semaine, à Reykjavik, les pays riverains de la région, dont le Canada.
«L'Arctique est véritablement un point chaud du réchauffement climatique», résume Jason Box, glaciologue au Service géologique du Danemark et du Groenland.
En moins d'un demi-siècle, de 1971 à 2019, la température moyenne annuelle y a grimpé de 3,1°C, alors que la planète se réchauffait au même moment de 1°C.
Un rythme déconcertant. Dans son précédent rapport actualisé, paru en 2019, l'AMAP indiquait que le réchauffement dans l'Arctique atteignait «plus du double de la moyenne mondiale».
Des périodes de chaleur plus longues
Selon les chercheurs, un point de bascule s'est produit en 2004 avec un bond, encore largement inexpliqué, du thermomètre au-dessus du cercle polaire, après quoi le réchauffement s'y est poursuivi à un rythme 30% plus élevé qu'avant.
La région voit aujourd'hui «des épisodes de chaleur hivernaux plus nombreux et plus longs», explique Jason Box: des systèmes météo, parfois caniculaires, qui s'engouffrent dans la région, surtout durant la période de formation des glaces, entre octobre et mai.
L'été, de juin à septembre, s'y ajoute la chaleur libérée par les océans, de plus en plus libérés des glaces marines et de l'isolation qu'elles fournissent.
Ce n'est pas fini puisque, selon les projections citées dans le rapport, les températures moyennes de l'Arctique devraient, d'ici la fin du siècle, grimper entre 3,3°C et 10°C au-delà de leur moyenne sur la période 1985-2014, le chiffre exact dépendant du volume des futures émissions de gaz à effet de serre.
Graves conséquences sur les écosystèmes
Le réchauffement de ces contrées a des conséquences immédiates sur les écosystèmes: modification de l'habitat, des habitudes alimentaires et des interactions de la faune – dont l'iconique ours polaire –, migration de certaines espèces...
De la Sibérie à la Suède, en passant par l'Alaska, les feux de forêt incontrôlables sont devenus une problématique familière.
Outre les problèmes qu'ils posent pour la protection des personnes et des biens, «la fumée qu'ils produisent contient également du dioxyde de carbone et du noir de carbone qui contribuent tous deux au changement climatique», relève le chercheur américain Michael Young.
Les chasseurs affectés
Des conséquences dramatiques aussi pour les quatre millions de personnes qui vivent sous ces latitudes, particulièrement les populations indigènes.
«Les chasseurs dans le nord-ouest du Groenland disent que la période durant laquelle il est possible de se déplacer avec des traîneaux à chiens est tombée de cinq à trois mois», souligne Sarah Trainor, directrice du Centre d'évaluation et de politique du climat de l'Alaska.
«Des chasseurs et pêcheurs au Canada et en Russie font état de phoques plus maigres, d'une faune sauvage moins saine et de davantage de vers dans les poissons et mammifères marins», ajoute-t-elle.
Impact planétaire
Un Arctique plus chaud est aussi un Arctique plus humide. La pluie remplace la neige, contribuant notamment à la formation de couches de glace qui empêchent les cervidés de se nourrir de lichen.
Les effets du réchauffement dans la région sont ressentis bien au-delà.
La fonte de centaines de milliards de tonnes de glace chaque année au Groenland, par exemple, se traduit par une élévation du niveau des mers qui met en péril des populations à des milliers de kilomètres de là.
Certes, le recul de la banquise ouvre aussi des opportunités économiques, au grand dam des défenseurs de l'environnement: nouvelles zones de pêche, nouvelles routes maritimes commerciales, accès plus facile à de potentielles ressources pétro-gazières et minérales...
«Cependant, insiste Sarah Trainor, le potentiel d'expansion de ces industries est bridé par les efforts visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre et à atteindre les objectifs fixés dans le cadre de l'Accord de Paris».
Les pays arctiques s’engagent à lutter contre le réchauffement
Les pays de l'Arctique se sont engagés jeudi à lutter contre le réchauffement climatique, trois fois plus rapide dans le Grand Nord, et à préserver la paix, malgré une compétition géopolitique acharnée et les tensions militaires croissantes entre Moscou et les Occidentaux.
«Nous nous engageons à promouvoir une région arctique pacifique où la coopération l'emporte en matière de climat, d'environnement, de science et de sécurité», a déclaré le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, à Reykjavik lors du Conseil de l'Arctique, qui réunit aussi la Russie, le Canada, l'Islande, le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède.
Une mise en garde à peine voilée à la Chine qui, si elle n'a qu'un statut d'observateur dans ce forum, ne cache pas son intérêt pour ce vaste territoire aux conditions extrêmes autour du Pôle Nord, riche en ressources naturelles, dont l'exploitation est facilitée par le recul des glaces et le développement du transport maritime. Mais aussi à la Russie, autre grand rival des États-Unis, après les échanges tendus qui ont précédé la réunion dans la capitale islandaise au sujet d'un risque de «militarisation» de l'Arctique.
Manoeuvres militaires
La Russie n'a cessé d'accroître son dispositif militaire dans l'Arctique ces dernières années, y rouvrant et modernisant plusieurs bases et aérodromes abandonnés depuis la fin de l'époque soviétique.
Mais le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a aussi accusé jeudi les Occidentaux de «jouer avec les mots», en mettant en place une présence militaire américaine aux portes de la Russie par «rotation» plutôt que «permanente» pour contourner les textes qui régissent les relations entre Moscou et l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).
«Nous ne voyons pas de raison pour un conflit ici, et encore moins pour un développement de programmes militaires d'un bloc ou d'un autre», a déclaré M. Lavrov devant la presse.