Le trouble dysphorique prémenstruel, le SPM extrême qui revient chaque mois
Anne-Sophie Roy
Une fois par mois, avant les règles, certaines personnes ont l’impression de changer carrément de personnalité: elles perdent de l’intérêt pour ce qu’elles aiment habituellement, ont de la difficulté à se concentrer ou développent carrément des idées noires. Ces symptômes sont bien plus qu’un simple SPM: ils sont liés au trouble dysphorique prémenstruel. Portrait d’une souffrance cyclique encore méconnue.
Le syndrome prémenstruel, communément appelé SPM, n’a plus besoin de présentations. Le trouble dysphorique prémenstruel (TDPM), quant à lui, se fait beaucoup plus discret dans la littérature scientifique. Pourtant, 3 à 5% des femmes en souffrent de la puberté jusqu’à la ménopause.
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En termes simples, le trouble dysphorique prémenstruel est une forme sévère du SPM, qui touche 60 à 80% des femmes. Quelques jours avant les règles, des symptômes comme l’irritabilité, des idées noires, l’anxiété, la fatigue, une grande perte d’intérêt et des problèmes de concentration ou de mémoire se manifestent. Dans la plupart des cas, les symptômes disparaissent dès l’arrivée des règles, comme par magie.
«Le TDPM est une grave réaction du cerveau aux fluctuations naturelles des œstrogènes et de la progestérone», peut-on lire sur le site de l’Association internationale des troubles prémenstruels (IAPMD).
Devenir une autre personne
Faire connaître ce trouble incompris et combattre les préjugés, c’est le cheval de bataille de Sarah Rodrigue, 43 ans, autrice du livre Maudites hormones. Sa longue bataille contre les troubles hormonaux remonte à ses toutes premières règles, à 13 ans. C’est 23 ans plus tard que le diagnostic tombe: trouble dysphorique prémenstruel.
«Ça a pris ma vie en otage dans toutes les sphères de ma vie», lâche sans détour la blogueuse et chroniqueuse qui a voulu écrire un livre sur le sujet pour donner espoir à toutes celles qui souffrent de leurs hormones.
«Deux semaines avant mes règles, j’étais Sarah, la fille lumineuse qui aime la vie. Une ado normale qui a de bonnes notes. Deux semaines après, juste avant mes règles, je deviens dépressive, je perds complètement la mémoire, j’ai un manque d’appétit de vie, je me dévalorise beaucoup, j’ai l’impression que tout devient sombre», raconte-t-elle.
Et pouf, au moment des règles, tout redevient clair. Mais ce n’est pas terminé, puisque ces deux semaines d’horreur l’attendent au détour dans un mois à peine.
«Tu deviens une autre personne, tu bascules, tu reviens, tu bascules. Tu n’as jamais confiance en toi ou en ta tête. Tu sais que tu es atteinte du TDPM, mais ce n’est pas rationnel. T’as beau te l’écrire partout sur des Post-it, ça ne sert à rien, ça revient. C’est dur pour le cerveau et le corps», ajoute Sarah Rodrigue.
Des symptômes qui résonnent chez Clara*, une étudiante de 26 ans à la maîtrise en criminologie.
«Je me sentais comme si j’étais complètement bipolaire», avance celle qui vit aussi avec un trouble de la personnalité limite (TPL).
Réalisant que ses importantes fluctuations d’humeur sont cycliques et ne durent que quelques jours, Clara entend parler du trouble dysphorique dans une vidéo et son diagnostic est établi quelques mois plus tard.
«Ce que je trouve aberrant, c’est que, chaque mois, mon cerveau essaie de me convaincre que je suis vraiment une personne malheureuse et suicidaire. Même si ça fait un an que je me répète que ce n’est pas le cas, je suis incapable de me le rappeler», ajoute celle qui songe même à un tatouage pour lui servir de rappel.
Idées noires
Le trouble dysphorique prémenstruel, ce n’est pas rose. Au-delà des symptômes traditionnels comme l’anxiété et la fatigue, des idées noires, voire carrément suicidaires, se manifestent à l’occasion.
Les plus récentes statistiques sont peu reluisantes: 30% des femmes souffrant du TDPM aux États-Unis tenteraient de mettre fin à leurs jours.
La psychiatre Tuong-Vi Nguyen confirme cette tendance.
«Il peut y avoir tout un spectre de symptômes et ça peut aller à la suicidabilité. Sans pour autant faire un plan détaillé, certaines femmes préféreraient disparaître», explique la Dre Nguyen, professeure adjointe à McGill en obstétrique et directrice du programme au CUSUM.
Ces idées noires, Magalie*, une psychoéducatrice de 33 ans ayant reçu un diagnostic de TDPM, les connaît bien.
«Chaque fois, je vis un phénomène de dépersonnalisation. Je passe tellement de temps à me morfondre que je veux tout abandonner et recommencer ma vie ailleurs», confie celle qui a d’abord reçu un diagnostic de bipolarité.
«Il y a un grave manque d’écoute et des diagnostics rapides non fondés. Il y a encore une vieille mentalité selon laquelle c’est normal qu’on ait des problèmes émotifs pendant notre SPM, mais, quand tu as des idées suicidaires pendant 14 jours, ce n’est pas normal», dénonce Magalie.
Diagnostic long et ardu
Plusieurs éléments compliquent la reconnaissance du TDPM, soit le peu de documentation dans le DSM – le livre de l’Association américaine de psychiatrie – et le nombre de critères devant être remplis pour que le problème concorde avec la définition du trouble.
«Il faut que ça représente un dysfonctionnement significatif dans la vie de tous les jours et il faut être en mesure de prouver que plus de 50% des cycles menstruels nous affectent depuis un an ou deux. Ce sont des critères plus stricts que la plupart des autres troubles psychologiques», croit la psychiatre.
La Dre Nguyen rappelle par ailleurs qu’historiquement, plusieurs problèmes féminins sont tournés en dérision, ce qui ne facilite en rien leur reconnaissance.
«Le plus difficile, dans ces situations, est le sentiment de ne pas être crue ou prise au sérieux, confie Sarah Rodrigue. J’ai franchement l’impression, lors de mes nombreuses consultations, que, parce que mes symptômes ne rentrent pas dans une boîte bien définie, on me soupçonne de les inventer. [...] En gros, si ce n’est pas écrit dans la bible médicale, c’est que ça n’existe pas.»
Et la lumière, dans tout ça?
Pour plusieurs, ce mal est diagnostiqué des années plus tard. Des traitements de toutes sortes sont tout de même possibles: anovulants, certaines classes d’antidépresseurs, la luminothérapie, la thérapie cognitivo-comportementale... Une panoplie de solutions possibles, mais encore faut-il trouver ce qui fonctionne pour chacune.
Après des essais et erreurs, Magalie confirme qu’il existe une lumière au bout du tunnel.
«Maintenant, mon SPM dure deux ou trois jours, plutôt que 14. Ce n’est pas complètement disparu, mais il y a une grande amélioration», assure celle qui est tombée sur un groupe de soutien sur Facebook.
«J’ai écrit mon récit de vie et plusieurs femmes m’ont écrit en privé. J’essaie d’en parler le plus possible autour de moi. C’est comme ça qu’on va s’en sortir.»
Et pour l’autrice Sarah Rodrigue, il est primordial d’ouvrir le dialogue et de parler plus ouvertement des troubles hormonaux.
«J’ai décidé d’écrire Maudites hormones en pensant aux autres femmes avant tout. Je me suis souvenue de toutes les fois où je me suis sentie seule, isolée, et j’avais l’impression d’être folle. J’ai écrit en pensant à toutes ces femmes qui pourraient en avoir besoin pour se sentir réconfortées.»
*Des prénoms ont été modifiés pour protéger l’anonymat.
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