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Oui, on peut mourir d’un cœur brisé

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Jean-Philippe Lepage, magazine Dernière Heure

2022-02-01T17:00:00Z
2022-02-01T21:24:43Z
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Contrairement à ce qu’on pourrait croire, avoir le cœur brisé n’est pas qu’une expression.

On a tous entendu une de ces histoires crève-cœur d’un époux ou d’une épouse qui, bien qu’en santé après le décès de l’amour de sa vie, le suit trop rapidement dans la tombe. Ce genre de récits de décès provoqué par une forte émotion, il y en a depuis toujours. Pas surprenant que la médecine s’y intéresse aussi depuis longtemps, bien que les véritables avancées dans ce domaine soient relativement récentes.

D'une étude à une autre...

En 1963, une étude publiée dans le journal The Lancet rapporte une augmentation de 40 % du taux de mortalité chez les personnes qui survivent à leur conjoint, dans les six premiers mois après le décès de celui-ci. Dans un suivi effectué quelques années plus tard, on note qu'un lien entre les émotions et la fonction cardiaque est possible, mais aussi que le mécanisme demeure mystérieux.
Près de 25 ans plus tard, en 1986, le New England Journal of Medicine rapporte un cas étonnant de «cœur brisé»: 30 minutes après avoir appris le suicide de son fils, une femme de 44 ans présente les signes classiques de la crise cardiaque. Ce qui étonne les médecins qui évaluent ce cas, c’est que les tests effectués ne révèlent aucun blocage d’artère ou autre signe typique de patient à risque d’infarctus. Ils notent toutefois que le ventricule gauche de la femme a une forme inhabituelle et reconnaissent que son traumatisme émotionnel pourrait avoir déclenché ses symptômes. Ils finissent toutefois fini par conclure que, au bout du compte, son cas les laisse perplexes.
Puis, au début des années 1990, un médecin japonais nommé Hikaru Sato publie ses observations de cinq cas manifestant des symptômes d’une crise cardiaque, mais ne souffrant pas de maladie coronarienne. Il note une forme inhabituelle du ventricule gauche et la compare au piège à poulpes utilisé par les pêcheurs nippons appelé takotsubo – qui est semblable à la forme d’une amphore (goulot étroit, base plus large). Le terme «syndrome de Takotsubo» était né. Le nom scientifique utilisé pour désigner cette affection est «cardiomyopathie de stress», mais on la nomme aussi, plus poétiquement, «syndrome du cœur brisé».
Bon nombre de recherches ont été menées sur ce phénomène depuis l’étude du Dr Sato, et bien qu’une grande part de mystère demeure, on en sait de plus en plus sur cette défaillance aiguë du cœur, qui peut facilement passer pour une crise cardiaque. Les symptômes sont similaires: douleurs thoraciques intenses, essoufflement brutal, arythmie. Dans les cas graves, le syndrome de Takotsubo peut nécessiter une hospitalisation, car le cœur brisé n’arrive plus à se contracter, ce qui constitue un véritable cas d’urgence cardiologique qui, au même titre qu’une crise cardiaque, peut entraîner la mort. Selon les sources et les études, le taux de mortalité due à ce syndrome varie entre 1,5 % et 3,7 %, ce qui est semblable aux chiffres en ce qui concerne les crises cardiaques.

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Cœur brisé mais aussi cœur heureux

Comme l’indique son nom, le syndrome du cœur brisé peut effectivement être causé par un choc émotionnel tel qu’une peine d’amour. À preuve, parmi les cas recensés ces dernières années, il y a notamment celui d’une adolescente turque de 17 ans qui, en 2019, est admise aux urgences en raison de douleurs intenses à la poitrine deux heures après avoir eu une violente dispute avec son amoureux. Diagnostic: syndrome du cœur brisé.
Selon les cas recensés par la médecine, ce syndrome se produirait donc à la suite d’un choc ou d’un grand stress d’ordre psychologique ou émotionnel tel que la perte d’un être cher, un conflit familial ou professionnel majeur, une faillite personnelle, etc. Cependant, cette défaillance peut aussi survenir après un choc physiologique, par exemple à la suite d’une crise d’asthme ou d’épilepsie, d’un AVC ou encore d’une intervention chirurgicale majeure.
Plus surprenant encore, dans une étude menée dans plusieurs pays et parue dans le journal de la Société européenne de cardiologie en 2016, où on a analysé 485 cas de patients chez lesquels on avait diagnostiqué le syndrome de Takotsubo, on a constaté que certains d’entre eux, plus préci­­­­sément 4 % des cas, l’avaient développé après un événement heureux tel que la naissance d’un petit-fils, la victoire d’une équipe sportive favorite, une fête d’anniversaire ou encore un mariage. Les chercheurs ont donc surnommé cette variante du cœur brisé «syndrome du cœur heureux».

Le cas du wasabi

Un autre cas pour le moins stupéfiant de syndrome de cœur brisé est survenu lors d’un mariage en Israël en 2019. Une femme dans la soixantaine y a mangé par erreur une pleine cuillère de wasabi, pensant que c’était du guacamole, qui a la même couleur verte. Dans les minutes qui ont suivi, la sexagénaire a ressenti une oppression thoracique ainsi qu’une douleur irradiant dans les bras. Puisque la douleur s’est atténuée rapidement, elle ne s’est pas rendue à l’hôpital le jour même, mais se sentant très faible le lendemain, elle est finalement allée consulter le médecin. S’en est suivi une batterie de tests qui ont montré diverses anomalies reliées au syndrome de Takotsubo, notamment une échocardiographie, qui a révélé une détérioration de la capacité du ventricule gauche à éjecter suffisamment de sang à chaque contraction. Traitée médicalement et transférée dans un centre de réadaptation cardiaque, la dame a passé, un mois plus tard, une nouvelle échocardiographie qui indiquait un retour à la normale. Les médecins, qui ignorent comment une cuillère de wasabi a pu entraîner le syndrome de Takotsubo, émettent l’hypothèse que le condiment japonais a pu provoquer un stress assez intense pour déclencher une hyperactivité du système nerveux autonome et la libération d’une grande quantité d’hormones du stress, qui se révèlent nocives pour le cœur.

La bonne nouvelle

Le syndrome de Takotsubo, encore méconnu en 2021, comporte une bonne part d’ombre en ce qui a trait à ses causes et ses mécanismes. Or, s’il y a un risque d’en mourir dans les cas extrêmes, il y a tout de même une bonne nouvelle: c’est qu’on s’en remettrait plutôt bien. Le syndrome étant transitoire, le dysfonctionnement ventriculaire disparaît habituellement après six semaines.

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