Le steak haché avant le filet mignon
Michel Therrien
Je vais faire mon philosophe pour cette deuxième chronique. Au hockey comme dans la vie, il faut apprendre à marcher avant de courir. Sinon tu vas t’enfarger!
Un étudiant ne devient pas président d’une compagnie du jour au lendemain. C’est comme ça dans tous les métiers. Nous sommes tous passés par là.
Le même principe s’applique aussi aux joueurs de hockey. Il faut être patient avec les jeunes espoirs des Canadiens. Ils ne deviendront pas pros en criant ciseau!
Dans le premier match préparatoire, lundi soir contre les Devils, on a vu plusieurs bons espoirs qui vont assurément jouer dans la Ligue nationale de hockey. Ça se voit tout de suite chez certains d’entre eux.
Dans un monde idéal, tu donnerais à chacun des joueurs tout le temps voulu pour bien se développer avant de faire le grand saut vers la LNH. J’ai toujours cru qu’il faut d’abord faire ses classes dans la Ligue américaine. Un tel cheminement aide à acquérir de la maturité, qui est nécessaire pour connaître du succès au plus haut niveau.
Manger ses croûtes fait grandir!
Personnellement, je pense qu’il faut apprendre à vivre «dans la misère», avec les longs trajets en autobus propres à la Ligue américaine, avant de plonger dans la réalité de la LNH avec des vols nolisés.
Il faut en manger du steak haché avant de goûter au filet mignon! Si tu connais juste le filet mignon, tu ne l’apprécies pas autant! Il n’y a rien de mal à manger du steak haché sur les genoux dans l’autobus. Ça t’apprend à apprécier encore plus le filet mignon par la suite!
Faire face à l’adversité, ça permet au joueur de grandir en tant que personne.
Par contre, comme on ne vit malheureusement pas tout le temps dans un monde idéal, il arrive souvent que des équipes n’aient pas le choix de faire graduer des joueurs plus rapidement que prévu. À cause des contraintes liées au plafond salarial, tu as besoin d’avoir de jeunes joueurs dans la formation.
Dans certains cas, ça les aide. Mais pour d’autres, ça peut leur nuire.
Il n’en demeure pas moins qu’il y a des exceptions à la règle. Certains joueurs sont hors norme, mais il n’y en a pas beaucoup qui réussissent à passer directement des rangs juniors à la LNH.
Il ne faut pas avoir peur d’être patient avec certains jeunes joueurs. Leur donner tout cuit dans le bec, ça fonctionne à l’occasion, mais parfois ce n’est pas bénéfique en bout de ligne.
Je parle par expérience. J’en ai connu en masse!
Un défenseur vraiment impressionnant
Pour revenir au match de lundi, j’y ai constaté beaucoup de belles choses. C’était la première fois que je voyais à l’œuvre la plupart des jeunes qui étaient en uniforme. J’en avais beaucoup entendu parler en bien, mais en les regardant de mes propres yeux, j’ai pu me faire ma propre idée.
Selon mes observations, Kaiden Guhle s’est distingué des autres espoirs. C’est lui qui m’a le plus épaté. Il est visiblement doté de solides attributs. Il a tout pour réussir.
J’ai remarqué que Guhle joue avec une grande confiance. Je l’ai trouvé calme et robuste à la fois. Il patine avec aisance et a une bonne compréhension du jeu. J’aime comment il va chercher de l’information. C’est ce qui lui permet de se porter à l’attaque lorsqu’il en voit l’opportunité.
Habituellement, un défenseur a besoin de plus de temps qu’un attaquant avant de s’affirmer. De le faire à 20 ans, c’est vraiment impressionnant. Et plus le camp avancera, plus Guhle sera meilleur.
C’est pourquoi je suis d’avis qu’il devrait commencer la saison à Montréal.
Je me rappelle que Kristopher Letang avait connu un bon camp alors que je dirigeais les Penguins de Pittsburgh. Il avait amorcé la saison 2006-2007 avec nous en jouant sept matchs, mais on se disait que c’était mieux pour lui de disputer une autre saison dans le junior et de participer au Championnat du monde avec Équipe Canada junior afin d’arriver fin prêt pour la LNH à 20 ans.
Seul l’avenir nous le dira, mais je suis persuadé que Guhle est voué à une belle carrière dans la LNH. L’échantillon est mince, mais il y a des choses qui ne mentent pas. Ça ne prend pas 20 matchs pour savoir si un joueur va jouer ou non dans la LNH. Dans le cas de Guhle, c’est clair que oui.
L’importance du «hockey IQ»
Il y a des éléments qui ne s’enseignent pas, comme le «hockey IQ» (pour quotient intellectuel hockey). Tu l’as ou tu ne l’as pas. En tant qu’entraîneur, c’était un aspect très important pour moi.
Certains joueurs comprennent la «game» et savent bien se positionner. Guhle fait certainement partie de ce groupe. J’aime son «hockey IQ» et sa façon de voir le jeu.
Pour d’autres, ça ne leur rentre tout simplement pas dans la tête même si tu leur montres de toutes les façons inimaginables... Ce genre de joueur ne connaîtra pas une grande carrière même si on lui offre toutes les chances de se faire valoir. Briller dans la LNH est impossible sans un excellent «hockey IQ».
Pour éviter de répéter les mêmes erreurs et d’être toujours en retard dans tes décisions, tu dois bien voir ce qui se passe devant toi.
Grâce à son «hockey IQ», Owen Beck est un autre espoir destiné à une intéressante carrière. C’est tout un joueur de hockey.
Comme il comprend bien la «game», il est toujours bien positionné, en plus d’exceller dans le cercle des mises en jeu, ce qui est très rare pour un joueur de seulement 18 ans.
Cependant, c’est important pour lui de retourner dans le junior pour poursuivre son développement.
Au final, ce sont les joueurs qui dictent leur sort avec leurs performances sur la glace. Ce sont eux qui décident de la suite des choses, et non pas le directeur général ou l’entraîneur. Dans la LNH, ça va au mérite.
Le reste du camp s’annonce tout aussi excitant. Plus il avancera, plus on verra le naturel des joueurs. J’ai hâte de voir ce qu’ils nous réservent ce soir à Toronto. Bon match à tous! À la semaine prochaine.