Le secret le mieux gardé des Canadiens
Nicolas Cloutier
On ne recense qu’un seul gardien danois dans la riche histoire de la Ligue nationale de hockey : Frederik Andersen, des Hurricanes de la Caroline. Et son potentiel héritier pourrait bien se trouver dans le bassin d’espoirs des Canadiens de Montréal.
Pour bien des amateurs de hockey, Frederik Nissen Dichow n’évoque rien. Or, Dichow (prononcé Dick Howe) connait l’une des saisons les plus prometteuses parmi les membres de la relève de l’organisation à l’heure actuelle.
Encore aujourd’hui, malgré ses performances très intéressantes en Suède, Dichow est loin du vedettariat. Mais cette situation est sujette à changer s’il continue de se développer à ce rythme. D’ailleurs, le Danemark devrait annoncer bientôt qu’il fera partie de la formation nationale envoyée aux Jeux olympiques de Pékin. Le correspondant suédois du blogue spécialisé Habs Eyes on the Prize, Patrik Bexell, a mis la puce à l’oreille de l’auteur de ces lignes, qui a pu confirmer l’information auprès d’une deuxième source.
Dichow, un grand gardien athlétique de 6 pieds, 5 pouces et demi et 209 livres qui attrape de la droite (et ce, même s’il est droitier!), a éclos cette année dans la deuxième division suédoise, la Allsvenskan. Avec Kristianstads, il a compilé une fiche de 11-6-0, une moyenne de buts alloués de 2,18 et un taux d’efficacité de ,926.
Le CH communique de plus en plus régulièrement avec cet espoir au fur et à mesure qu’il prend du galon, si bien que la possibilité de le faire venir en Amérique du Nord commence à être étudiée.
Les formations de la meilleure ligue en Suède, la SHL, ne sont pas étrangères à sa progression fulgurante. Lors d’un entretien téléphonique avec le TVASports.ca, Dichow a confié être convoité par Frölunda, l’un des clubs les plus prestigieux en Europe. Skellefteå, Brynäs et Färjestad sont également intéressés à ses services en vue de 2022-2023.
«Les Canadiens sont vraiment heureux de mon développement en ce moment. On verra quelle sera la prochaine étape. La ligue américaine ou la SHL sont deux excellentes options. La décision finale leur revient. Je serais satisfait des deux scénarios. Je leur fais confiance, ils savent ce qui est le mieux pour moi.
«J’ai eu d’excellentes offres de la SHL, et je sais aussi que les Canadiens supportent cette option. Ce serait un excellent choix pour moi.»
Et comment. Tout comme l’a fait Andersen, Dichow pourrait jouer à Frölunda à l’âge de 21 avant de traverser l’Atlantique. Avec Frölunda, il aurait l’occasion de participer à la coupe Spengler et à la Ligue des champions (Champions Hockey League), une compétition regroupant les clubs des meilleures ligues d’Europe.
«Tu pourrais difficilement trouver un meilleur environnement pour te développer», a concédé le principal intéressé.
Le CH a cru en lui
C’est dans la toute petite ville de Vojens qui habite un peu plus de 7000 âmes et où le hockey est roi que Dichow est tombé en amour avec sa vocation actuelle.
«Mon frère et moi, on a commencé en tant que joueurs. Je n’étais pas très bon, alors mon entraîneur a décidé de me mettre dans les buts. Ça a bien fonctionné», a conclu à l’évidence le colosse danois.
Les chances pour un Danois d’être repêché dans la LNH sont infinitésimales. Le système de développement national devient de plus en plus efficace, mais aux dernières nouvelles, le Danemark ne figurait qu’au 12e rang du classement de l’IIHF derrière la Norvège et la Lettonie et devant des pays comme le Kazakhstan, la Biélorussie et la France.
L’année de son repêchage, Dichow était presque un parfait inconnu. Il n’avait même pas de statistiques documentées sur hockeydb. Il ne figurait sur aucune des listes qui circulaient en ligne. Et les Canadiens étaient la seule équipe à daigner lui parler.
«Ils m’avaient invité à leur séance d’évaluation à Stockholm. Juste le fait d’avoir été invité là-bas, je trouvais ça cool», s’est souvenu Dichow, qui évoluait en première division danoise à l’époque.
Il était loin de se douter, toutefois, que le Tricolore allait le réclamer au 5e tour, avec le 138e choix au total de l’encan.
«Je ne m’attendais pas à ça, a-t-il confié. C’était une grosse surprise. Mais certainement pas une mauvaise surprise.»
Montagnes russes
Dichow n’a pas immédiatement donné raison au CH. L’année suivant son repêchage, soit la saison 2019-2020, il a connu passablement d’ennuis dans le circuit junior U20 suédois avec Malmö. On parle ici d’une fiche de 12-12-0, d’une moyenne de buts alloués de 2,84 et d’un taux d’efficacité de ,891.
Pour remettre son développement sur les rails, Dichow a alors entrepris de rejoindre les Wolves de Sudbury dans la Ligue junior de l’Ontario en 2020-2021. Le pari était logique : en Amérique du Nord, il bénéficierait de plus de visibilité pour faire monter sa cote et rebondir.
Or, la pandémie a bousillé ses plans. Dichow est demeuré au Danemark, où il peinait à trouver une équipe prête à lui confier des départs.
«Ç’a été une situation vraiment difficile, a raconté Dichow. J’étais pris au Danemark et je me suis entraîné avec trois équipes différentes. C’était dur d’obtenir des matchs. Évidemment, les équipes préféraient donner du temps à jeu à leurs gardiens. J’ai pris tout ce qu’on pouvait me donner et je m’efforçais de m’entraîner chaque jour. C’était démotivant de ne pas pouvoir jouer.»
Le gentil géant a décidé de tourner à son avantage cette situation défavorable en passant l’essentiel du temps dans le gymnase, où il a mis l’accent sur ses muscles abdominaux et stabilisateurs ainsi que sur la force de ses jambes.
«En gros, c’était un camp d’entraînement, mais à l’année longue, a illustré l’athlète. C’était bien d'avoir autant de temps pour travailler sur mon corps. Je suis certainement devenu plus fort, j’ai pris du coffre.»
Mentalement, il a aussi changé beaucoup d’habitudes malsaines.
«Je suis devenu un professionnel, a-t-il expliqué. Ça veut dire : faire la bonne chose chaque jour. Repartir à neuf quand ça tourne au vinaigre et quand ça va bien, tu gardes la même formule. Avant, quand je jouais mal, je n’avais pas la tête à la bonne place. Maintenant, je me concentre sur ce que je dois améliorer et j’apporte des changements.»
Un projet fascinant
Les gros gardiens auront toujours la cote dans les cercles de la LNH pour des raisons évidentes. Un gros bonhomme avec ne serait-ce qu'un peu de qualités athlétiques couvre le filet avec beaucoup plus d'aisance qu'un portier avec un plus petit gabarit. Il parvient à des déplacements plus efficaces et à une meilleure dépense de l'énergie. Dans le circuit Bettman, on ne compte que trois gardiens sous la barre des 6 pieds : Jaroslav Halak, Anton Khudobin et Juuse Saros.
N'empêche, Dichow ne mentionne pas d'entrée de jeu sa grandeur lorsqu'il est question de son attrait principal en tant que «beau projet».
«C'est ma mentalité qui me propulse. J'ai cette habileté de ne jamais arrêter de grandir, a-t-il ironisé sans s'en rendre compte. Chaque jour, j'essaie de devenir meilleur, de trouver le 1% de plus qui m'aide à progresser.»
La courbe de progression de Dichow donne de la crédibilité à ces propos. Il n'y a pas si longtemps, il ne dominait même pas le circuit junior suédois. L'an passé, il jouait à peine. Et cette saison, son succès est tel qu'il a eu l'honneur d'être rappelé par la formation de Rögle, dans la SHL.
Comme quoi les choses ne sont jamais simples pour Dichow, sa première expérience dans la meilleure ligue suédoise a été assez étrange.
Il n'a eu droit en fait qu'à cinq minutes de temps de jeu lors de son seul match avec Rögle avant d'être retourné dans la Allsvenskan.
«C'était plaisant, mais reste que la situation était bizarre, a avoué Dichow. Je suis appelé en renfort en première période alors que nous tirons de l'arrière 4-0. Je dispute les cinq dernières minutes de l'engagement, je bloque le seul tir en ma direction et, pendant ce temps, notre équipe réduit l'écart à 4-2. Je m'attends naturellement à revenir sur le jeu après le premier entracte.
«Mais alors que je m'apprête à sauter sur la glace pour la deuxième période, a-t-il poursuivi, mon entraîneur me dit que le gardien partant reviendra dans la mêlée. On m'a dit que le club voulait bâtir sa confiance.»
Il vaut mieux en rire, à ce stade. Ce court passage dans la SHL aura renforcé certaines de ses convictions.
«Le jeu est plus rapide, tout le monde est meilleur, mais je ne sentais pas que c'était un problème pour moi. Ça m'a pris une ou deux journées pour m'ajuster [lors des entraînements]. Mais après, je sentais que j'étais à ma place.»
Le gnôme
Depuis quelques mois, on peut apercevoir deux gnômes sur le masque du sympathique géant.
I LOVE IT! 'The Gnome' has gnomes on his helmet!!!!
— Patrik Bexell (@Zeb_Habs) 26 novembre 2021
Frederik Dichow is now my favourite prospect! pic.twitter.com/UwjbN4dlir
«Ça vient de "Nissen" dans mon nom de famille, qui veut dire "le gnôme" quand tu le traduis. J'ai vu un reporter utiliser le surnom et je l'ai bien aimé. Mes coéquipiers sont au courant et ils ont trouvé ça bien drôle.
«Mais dans le vestiaire, je suis juste Freddie!»
Freddie, tout comme son inspiration, «Freddie» Andersen.
«Andersen fait bonne figure match après match. Il est calme. Je lui ai parlé un peu. Sa routine est excellente. J'essaie d'en prendre exemple. J'ai aussi toujours été un fan de Carey Price. Il est toujours en bonne position sur la glace. C'est quelque chose que je veux dans mon jeu.
«Mais je veux aussi être moi-même, trouver mon propre style. Je ne veux pas être obsédé par l'idée d'être comme quelqu'un d'autre dans la LNH. Je suis un gardien calme, capable de faire les gros arrêts.»
On saura cet été si ces gros arrêts seront effectués en Suède ou dans l'uniforme du Rocket la saison prochaine.