Le Rocket et Flower, personne d'autre
Réjean Tremblay
Les chiffres ne peuvent pas toujours mentir. Le Rocket portait le 9. Flower le 10. Ils se suivaient, comme soudés.
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Maurice fut la passion d’un peuple opprimé. Guy Lafleur fut l’amour de ce peuple libéré. Les années 1950 et les années 1970. Avec René Lévesque faisant le passage. Dans sa toute dernière longue entrevue pour un documentaire en août dernier, Lafleur n’a plus été capable de parler. C’était la toute dernière question. Comment voulait-il que les gens se souviennent de lui?
Il s’est étranglé dans de longs sanglots avant de soupirer après des minutes d’éternité : «Que j’aurai tout donné. Tout ce que je pouvais donner.»
Le peuple le sentait. Le peuple l’aimait. Maurice Richard était vénéré. Jean Béliveau était admiré. Guy était aimé. Tout juste aimé. Dans le vrai sens du mot. Dans toute sa richesse. Il était aimé comme il était. Imparfait, parfois colérique, excessif dans ses passions. Mais aussi père fier et debout pour ses enfants même quand tout allait mal.
Et l’idole aimait ceux qui l’aimaient. Ti-Guy aimait le monde. Les riches, les grands, les ordinaires, les humbles, tout le monde.
Même malade, il répondait aux gens. Et jusqu’à la fin, il a signé ses autographes avec une écriture appliquée. Pour que le jeune puisse la montrer dans la cour d’école sans se faire dire que c’était une fausse signature.
MON PREMIER GRAND REPORTAGE
Guy Lafleur, je l’ai aimé. Comme j’ai aimé peu de personnes dans ma vie. Je ne le fréquentais pas. Il était une superstar et j’étais journaliste. Mais je lui parlais souvent. Il connaissait mes problèmes, je connaissais les siens.
Quand je me suis lancé dans l’écri- ture dramatique, il m’a parfois donné des indices qui me permettaient d’al- ler plus loin dans l’âme des person- nages. La passion tourmentée et le désir fou de gagner de Marc Gagnon joué par Marc Messier lui doivent beaucoup.
Quand j’ai coproduit un long métrage documentaire sur la santé mentale réalisé par un autre grand passionné, Jean-Claude Lord, Lafleur a été d’une générosité sans nom. Il était profondément blessé dans sa personne et sa fierté, mais il a fait face à la caméra.
Flower m’a donné mon premier grand reportage dans le sport. Lui, la superstar ultime, le plus grand joueur des années 1970, il m’a accueilli dans le vestiaire du Canadien. Les Glorieux jouaient à Atlanta, mais Lafleur était blessé à un doigt.
Je m’étais pointé au Forum avec mes patins, le relationniste Camil Desroches a cru que j’étais un joueur venu d’Halifax et on m’a ouvert tout simplement la porte du vestiaire. Lafleur m’a prêté un bâton de Steve Shutt, et m’a montré plein de trucs sur sa glace.
J’ai même déjoué Wayne Thomas qui s’entraînait avec Lafleur.
Une semaine plus tard, j’entreprenais ma carrière sur la couverture du Canadien. Juste à temps pour couvrir le premier 50e but de Ti-Guy. Contre Denis Herron au Forum. Il le fera cinq autres fois.
- Réjean Tremblay était sur les ondes de QUB radio avec Richard Martineau et Benoit Dutrizac pour revenir sur la carrière de Guy Lafleur :
CONTRAT À NEW YORK
J’ai toujours été là dans les grands moments de Lafleur. Quand il est revenu au jeu, j’ai travaillé avec Tom Lapointe sur le scoop.
Et quand il a signé son contrat avec les Rangers, lui et son agent et ami, Yves Tremblay, sont venus me rejoindre dans un restaurant italien au coin de Saint-Mathieu et De Mai- sonneuve en descendant de l’avion.
Je m’étais enfermé dans le bureau du propriétaire en fin de soirée pour écrire et envoyer mon texte. Flower était tellement heureux.
Vous le savez, vous l’avez lu, j’ai accompagné Lafleur comme journaliste pendant sa longue maladie. Quand quelque chose d’important se passait, il demandait à son fils Martin :
«Appelle Réjean, il va donner l’heure juste.»
J’écrivais un texte en protégeant le père et le fils contre la jalousie de la compétition et en camouflant ma source. Il n’y avait pas d’entente, c’était juste comme ça.
FLOWER EST PARTI
Voilà, Guy Lafleur est parti. Comme le Rocket. Comme son idole et mentor Jean Béliveau.
La vie et les années m’ont permis de partager de beaux moments avec les trois.
Dans le temps des Fêtes, j’allais chez Maurice, rue Péloquin, et je lui demandais de m’inspirer pour un conte de Noël. Il riait... et son rire m’inspirait.
Avec Béliveau, c’était différent. J’ai passé de longs moments à discuter avec lui des romans de la collection Marabout dont il était le porte-parole au Québec. Les Trois Mousquetaires de Dumas, Guerre et Paix de Léon Tolstoï, Crime et Châtiment de Dostoïevski, le grand Jean les avait tous lus.
Mais le grand Jean discourait des passions des héros de ses romans. Le Rocket et Flower vivaient ces passions.
À fleur de peau.
Adieu Ti-Guy. On va toujours t’aimer.