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Voici pourquoi l'armée canadienne n'est pas prête à faire face aux prochaines menaces

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Gabriel Ouimet

7 avril 2022
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L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’aura pas eu l’impact attendu sur l’augmentation du budget alloué à la Défense. Le Canada continuera donc de trainer de la patte face à ses alliés de l’OTAN, et ce pourrait être un problème, croient les experts.  

L’invasion russe en sol ukrainien sonne en effet le début d’un nouveau chapitre dans les relations internationales, et le Canada pourrait être appelé, avec ses alliés de l’OTAN, à jouer un rôle de premier plan au cours des prochaines années. 

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C’est du moins ce que prédit James McKay, professeur du Collège militaire royal du Canada et spécialiste des politiques nationales de sécurité et de défense.

«Ma prédiction, c’est que les missions de l’OTAN seront plus importantes à l’avenir, parce que nous sommes de retour dans une dynamique qui ressemble à celle des années 50 et de la guerre froide. On est capable d’apercevoir des menaces à la sécurité internationale et à la paix à certains endroits dans le monde, comme nous le prouve la guerre en Ukraine», soutient-il. 

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Photo archives
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Dans un tel contexte, le Canada et ses alliés doivent envoyer le message qu’ils sont prêts à agir, notamment face à une menace nucléaire. 

Une analyse que partage Stéphane Roussel, directeur de recherche du Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ), professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et spécialiste en politique de défense.

«Dans le jeu des puissances nucléaires, une chose très importante, c’est la crédibilité. Votre adversaire doit être absolument convaincu que, s’il lance une attaque, il y a peu de chances que ça réussisse, et que vous serez capable de répondre», dit-il. 

Le Canada en retard               

En 2014, en pleine crise de Crimée, en Ukraine, les membres de l’OTAN ont statué qu’ils devraient investir dans leur armée à hauteur de 2% de leur PIB. L'objectif était de s’assurer d’avoir les moyens de mener leurs diverses missions. De ce montant, 20% devraient être alloués à l’équipement.

Or le Canada accuse un retard sur la plupart de ses alliés, note James McKay. 

«Avec les données de 2021, notre budget de dépenses est de 1,36% de notre PIB et 17,7% sont alloués à l’équipement. Ça nous classe au 24e rang sur 29 pays.»

Ce retard s’est d’ailleurs accentué dans les dernières années. En 2020, le Canada investissait 1,44% de son PIB dans la Défense, ce qui le plaçait au 19e rang.

Une question de choix              

À l'heure actuelle, le Canada consacre environ 24 milliards $ annuellement à la Défense. 

Un nouveau montant totalisant plus de 8 milliards $ sur cinq ans a été annoncé jeudi lors du dévoilement du budget 2022, ce qui ne représente qu’environ 0,1 % de plus que les dépenses qui étaient déjà prévues à l’horizon de 2026-2027.  

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Si le gouvernement avait voulu atteindre les 2% dès cette année, cela aurait demandé hausse annuelle d’environ 16 milliards $. 

À titre comparatif, ce montant aurait représenté le double que devrait coûter annuellement le programme fédéral de garderie. C'est aussi beaucoup plus que les 9 milliards $ prévus dans le nouveau plan de réduction de GES du fédéral.

«L’important, ce n’est donc pas tant les 2%, parce que le chiffre est arbitraire. C’est de trouver l’équilibre qui va nous permettre de mener nos missions et de conserver notre place à la table des adultes de l’OTAN», dit James McKay. 

Un avis qui semble partagé par Ottawa, puisque le gouvernement a annoncé un vaste examen qui «portera principalement sur la taille et les capacités des Forces armées canadiennes, leurs rôles et responsabilités, et visera à s’assurer qu’elles disposent des ressources nécessaires pour assurer la sécurité des Canadiens et contribuer aux opérations partout dans le monde». 

La ministre des Finances Chrystia Freeland a fait remarquer qu’un tel examen permettrait de fournir une image claire des priorités sur lesquelles devrait se concentrer le ministère de la Défense. 

«La situation dans le monde a changé, et c’est nécessaire, je suis d’accord, de dépenser plus [en Défense]. Mais c’est important de faire ces dépenses d’une manière planifiée et d’une manière efficace», a-t-elle souligné. 

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De l’équipement désuet              

Le sous-financement se fait particulièrement ressentir en matière d'équipement, note James McKay. Le Canada accuse selon lui un retard notable en ce qui concerne certains équipements névralgiques pour ses missions les plus importantes, par exemple les missions de coopération avec l’OTAN ou les missions de protection du Grand Nord.

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«Je ne crois donc pas que nous nous retrouverons en confrontation avec la Russie en Arctique, mais il faut être capable de nous défendre si la situation changeait», affirme-t-il. 

C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’avions de chasse et de radars, par exemple. 

«La guerre en Ukraine nous montre aussi que nous devons avoir de l’équipement qui nous permet de mener des missions conjointes avec nos alliés. Le grand défi, c’est de faire des choix qui vont nous permettre de mieux mener à terme les missions de l’avenir, parce que tout est très cher», poursuit-il.  

Voici quelques autres exemples d’équipement que le Canada devrait remplacer dans les prochaines années.

CHASSEURS F-35                            

  • 19 G$                            

AFP
AFP

Le processus de remplacement des vénérables CF-18 des Forces armées canadiennes s’est étiré sur plus d’une décennie. Cette semaine, le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il fixait son choix sur le F-35, un avion de chasse américain à la fine pointe de la technologie dans le développement duquel le Canada a été impliqué. Une commande de 88 appareils est prévue et la facture pourrait atteindre 19 milliards de dollars. Les premiers exemplaires seraient livrés rapidement, soit dès 2025. L’ensemble des appareils devrait avoir été reçu en 2032.

– Jules Richer, Agence QMI

BRISE-GLACE POLAIRES                            

  • 11,5 G$                            

Photo courtoisie, Forces armées canadiennes
Photo courtoisie, Forces armées canadiennes

On l’oublie parfois, mais le Canada partage un espace avec la Russie, celui de l’Arctique.

Et pour défendre notre front arctique, il faut y patrouiller. Annoncés en 2008, deux nouveaux brise-glace canadiens destinés à sillonner l’Arctique en hiver ne seront cependant pas mis en service avant le début de la prochaine décennie.

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Les navires auront une durée de vie de 45 ans et l’un d’entre eux sera construit par les chantiers Davie à Lévis.

Huit plus petits navires de patrouille extracôtière pour l’Arctique, de la classe Harry DeWolf, ont aussi été commandés au coût de 4,3 milliards de dollars. Deux ont été livrés jusqu’à maintenant. 

– Jules Richer, Agence QMI

RADARS                            

  • 4,4 G$                             

Le centre de commandement souterrain du NORAD, au mont Cheyenne, dans le Colorado
Le centre de commandement souterrain du NORAD, au mont Cheyenne, dans le Colorado Photo d'archives

Les radars qui protègent les cieux canadiens et américains contre les menaces russe et chinoise ont besoin d’une mise à niveau de plus en plus urgente.

On ignore encore quelles sommes Ottawa annoncera, mais on sait que, selon des chiffres cités par The Globe and Mail, la facture finale du projet atteindra 11 milliards de dollars. Les conventions habituelles veulent que la facture soit assumée à 60% par les États-Unis et à 40% par le Canada. Les Forces canadiennes paieraient donc environ 4,4 G$.

Les nouveaux radars devraient être en mesure de détecter une nouvelle génération d’armes mises au point par les Russes et les Chinois, les missiles hypersoniques.

– Jules Richer, Agence QMI

FRÉGATES                            

  • 77 G$                             

Photo courtoisie, BAE Systems
Photo courtoisie, BAE Systems

En principe, la marine canadienne devrait commencer à recevoir les premiers exemplaires de ses nouvelles frégates ultramodernes au début de la prochaine décennie.

Retardé maintes fois, l’achat de ces 15 «navires de combat de surface canadiens» sera la plus importante dépense militaire du Canada depuis la Deuxième Guerre mondiale, la facture pouvant atteindre 77 milliards de dollars, d’après l’évaluation du directeur parlementaire du budget. 

La construction des navires s’étirera sur 30 ans.

– Jules Richer, Agence QMI

SOUS-MARINS                            

  • 6,25 G$ par sous-marin nucléaire                            

La Marine royale canadienne a lancé l’été dernier une campagne en vue de remplacer sa flotte de quatre sous-marins auxquels il reste moins d’une dizaine d’années de service.

Ces engins d’occasion ont été acquis de la Grande-Bretagne, en 1998, pour 750 millions de dollars. Depuis, ils ont passé plus de temps à quai pour des réparations et de l’entretien qu’en mer. 

Aucun ne fait le poids contre les sous-marins nucléaires russes qui patrouillent dans l’Arctique et qui sont capables de percer la banquise ou de projeter des missiles à 2400 km. Malgré cela, le gouvernement libéral s’est engagé à prolonger la vie utile de nos rafiots jusqu’en 2030. Après, le Canada sera à découvert sous les mers, puisqu’il faut en général 15 ans pour se procurer un sous-marin.

En 1987, la Défense prévoyait d'acheter 10 sous-marins nucléaires, mais le projet a échoué.

– Jules Richer, Agence QMI

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