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L'article provient de Le Journal de Montréal
Politique

Le problème antisémite du conservatisme nord-américain

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Julien Corona

2022-10-27T23:00:00Z
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Partages de liens menant à des sites antisémites ou propos de responsables républicains incitant les Juifs américains à se ressaisir, etc. Les polémiques aux relents antisémites qui entourent le camp conservateur nord-américain se multiplient. Pourquoi?

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Lors de son audit annuel au mois d’avril 2022, le mouvement de défense juif B'nai Brith a constaté une augmentation de 700% des actes violents de 2020 à 2021, qui sont passés de 9 à 75. 

David Matas, conseiller juridique de l’organisme, avait alors indiqué à La Presse Canadienne, lesquels propos ont été repris dans Le Devoir, que «si vous êtes Juif, vous êtes de loin plus susceptible d’être victime d’un crime de haine que si vous êtes membre d’une autre minorité».

L’audit indique aussi que le discours anti-juif actuel provient principalement de l’extrême droite et des campus universitaires. 

Désormais, cela va au-delà alors que la démocratisation du discours antisystème et la hausse du tribalisme politique aident à rendre ce discours plus mainstream.

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Une «gangrène» carburant à l’antisystème

Pour le constitutionnaliste Frédéric Bérard, on en est rendu au niveau de la «gangrène». 

Frédéric Bérard
Frédéric Bérard Capture d'écran YouTube

«Utilisant les réseaux sociaux et les personnes de pouvoir, le discours antisémite et haineux s’impose de plus en plus. Il permet à certains d’en tirer les fruits au prix d’un délitement des valeurs démocratiques et du vivre-ensemble», explique-t-il. 

Le constat est ainsi sans appel au sud de la frontière, et la liste est longue, comme le rappelle Madeline Peltz de Media Matters for America, sur Twitter. 

De Donald Trump, qui traite les Juifs d’ingrats, au procureur général du Texas, qui avance que George Soros l’empêche d’ouvrir des enquêtes sur les enlèvements d’enfants, en passant par l’équipe du candidat républicain au poste de gouverneur de la Pennsylvanie, qui attaque son adversaire pour le simple fait qu’il est Juif, on observe une multiplication des propos incendiaires et haineux par des membres et responsables du Parti républicain à l’approche des élections de mi-mandat.  

Le Canada n’est néanmoins pas en reste. Les révélations récentes autour des anciennes infolettres de la nouvelle première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, tout comme certaines de ses sorties récentes, en sont des exemples flagrants.

Photo Canadian Press
Photo Canadian Press

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Cette dernière a, à deux reprises, partagé dans son ancienne infolettre des liens vers des sites considérés comme antisémites par une organisation juive canadienne œuvrant pour les droits humains. 

Elle a aussi pu reprendre à son compte le discours affiliant le Forum économique mondial (FEM) de Davos à une cabale de riches décideurs contrôlant les gouvernements du monde entier. Mme Smith souhaite rompre les liens avec le FEM du fait de sa supposée toute-puissance.

Si elle s’est défendue de nourrir des pensées haineuses, avançant que Pierre Poilievre aussi compte couper les ponts avec le FEM s’il devient premier ministre du Canada, de nombreux spécialistes ont rappelé que la base de cette affirmation reste avant tout un ensemble de théories conspirationnistes antisémites.

Une «gangrène» qui n’épargne aucun camp politique

Le commentateur Bryan Breguet, fondateur du site Too Close To Call, voit la démocratisation de ce genre de références comme «inquiétante». 

Bryan Breguet
Bryan Breguet Journal de Montréal

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Il ajoute qu’«avec la polarisation de la vie politique et la montée des extrêmes, on a une extension du discours antiélite. On n’a plus peur de dire des choses qui étaient impensables il y a 15 ans. Ce n’est absolument plus disqualifiant».

Guillaume Rousseau, professeur agrégé de la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke et chroniqueur, ne peut qu’acquiescer. 

Le professeur de droit de l'Université de Sherbrooke Guillaume Rousseau
Le professeur de droit de l'Université de Sherbrooke Guillaume Rousseau Photo courtoisie

«Si au Canada cette montée était moins claire, avec le cas de la première ministre en Alberta, ça devient inquiétant. Le type de contenu qu’elle partageait, les liens, etc., c’est du genre de théories haineuses comme celle du Protocole des Sages de Sion», explique-t-il.

«Cela dit, elle s’est excusée et dénonce sans équivoque l’antisémitisme désormais. À voir, donc, si la polémique reprend», ajoute-t-il.

«Par contre, il faut faire attention à ne pas trop penser que c’est aussi grave chez nous que chez les Américains. C'est inquiétant certes, mais c'est absolument pas du même niveau que ce qu'on voit aux États-Unis», conclut-il.

Les deux analystes s’accordent néanmoins pour dire qu’il ne faut pas rechercher uniquement la présence de codes antisémites dans le discours politique uniquement à droite.

Guillaume Rousseau avance que «malheureusement, tous les camps sont concernés. Prenons les exemples de Jeremy Corbin en Angleterre, accusé d’antisémitisme, ou de celui d'Amir Khadir ici, pour son soutien au mouvement de boycottage d’Israël».

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Bryan Breguet, quant à lui, préfère mettre l’accent sur «les nombreuses polémiques entourant la députée fédérale du Nouveau Parti démocratique Nikki Ashton ou les tensions assez évocatrices entre les différentes franges du Parti vert du Canada sous la cheffe, Annamie Paul».

Une «gangrène» porte d’entrée vers une perte de droits

Si ce discours est une gangrène, comme l’avance Frédéric Bérard, «il est à risque de faire pourrir tout ce qu’il touche, un peu comme la vraie gangrène fait pourrir le corps humain».

Le constitutionnaliste conclut son propos par une mise en garde: «si la recrudescence des actes et propos haineux en devient légitimée à un point tel qu’elle participe à faire gagner des élections, les droits des minorités (LGBTQ+, Juifs, musulmans, etc.) et les droits fondamentaux (p. ex. l'avortement) en feront les frais».

Alors que cette hausse inquiète, de nombreuses associations réaffirment la nécessité de dénoncer haut et fort des propos qui n’ont pas leur place dans nos sociétés.

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