Le problème antisémite du conservatisme nord-américain
Julien Corona
Partages de liens menant à des sites antisémites ou propos de responsables républicains incitant les Juifs américains à se ressaisir, etc. Les polémiques aux relents antisémites qui entourent le camp conservateur nord-américain se multiplient. Pourquoi?
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Lors de son audit annuel au mois d’avril 2022, le mouvement de défense juif B'nai Brith a constaté une augmentation de 700% des actes violents de 2020 à 2021, qui sont passés de 9 à 75.
David Matas, conseiller juridique de l’organisme, avait alors indiqué à La Presse Canadienne, lesquels propos ont été repris dans Le Devoir, que «si vous êtes Juif, vous êtes de loin plus susceptible d’être victime d’un crime de haine que si vous êtes membre d’une autre minorité».
L’audit indique aussi que le discours anti-juif actuel provient principalement de l’extrême droite et des campus universitaires.
Désormais, cela va au-delà alors que la démocratisation du discours antisystème et la hausse du tribalisme politique aident à rendre ce discours plus mainstream.
Une «gangrène» carburant à l’antisystème
Pour le constitutionnaliste Frédéric Bérard, on en est rendu au niveau de la «gangrène».
«Utilisant les réseaux sociaux et les personnes de pouvoir, le discours antisémite et haineux s’impose de plus en plus. Il permet à certains d’en tirer les fruits au prix d’un délitement des valeurs démocratiques et du vivre-ensemble», explique-t-il.
Le constat est ainsi sans appel au sud de la frontière, et la liste est longue, comme le rappelle Madeline Peltz de Media Matters for America, sur Twitter.
A week ago Donald Trump threatened American Jews to "get their act together" "before it is too late" on his social media website.
— Madeline Peltz (@peltzmadeline) October 23, 2022
The right-wing media has turned up the volume on antisemitism considerably.
A non-exhaustive thread of examples: 🧵
De Donald Trump, qui traite les Juifs d’ingrats, au procureur général du Texas, qui avance que George Soros l’empêche d’ouvrir des enquêtes sur les enlèvements d’enfants, en passant par l’équipe du candidat républicain au poste de gouverneur de la Pennsylvanie, qui attaque son adversaire pour le simple fait qu’il est Juif, on observe une multiplication des propos incendiaires et haineux par des membres et responsables du Parti républicain à l’approche des élections de mi-mandat.
Le Canada n’est néanmoins pas en reste. Les révélations récentes autour des anciennes infolettres de la nouvelle première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, tout comme certaines de ses sorties récentes, en sont des exemples flagrants.
Cette dernière a, à deux reprises, partagé dans son ancienne infolettre des liens vers des sites considérés comme antisémites par une organisation juive canadienne œuvrant pour les droits humains.
From website Alberta’s Premier was directing people to: “It’s All About Jews.” The website features some stunningly blunt Holocaust denialism & anti-Jewish content, including the assertion that “world jewry on March 24, 1933 declared war on Germany.” —Justin Ling #cdnpoli
— eric denhoff (@EDenhoff) October 18, 2022
Elle a aussi pu reprendre à son compte le discours affiliant le Forum économique mondial (FEM) de Davos à une cabale de riches décideurs contrôlant les gouvernements du monde entier. Mme Smith souhaite rompre les liens avec le FEM du fait de sa supposée toute-puissance.
.@DanielleSmith should know that conspiracy theories about World Economic Forum are deeply rooted in antisemitism. She now promotes that.
— Thomas A. Lukaszuk (@LukaszukAB) October 24, 2022
Canadian prime ministers, premiers of all political stripes (including myself) attended WEF meetings. It’s a good thing.#ableg #cdnpoli https://t.co/RpWp6MNtGq
Si elle s’est défendue de nourrir des pensées haineuses, avançant que Pierre Poilievre aussi compte couper les ponts avec le FEM s’il devient premier ministre du Canada, de nombreux spécialistes ont rappelé que la base de cette affirmation reste avant tout un ensemble de théories conspirationnistes antisémites.
Une «gangrène» qui n’épargne aucun camp politique
Le commentateur Bryan Breguet, fondateur du site Too Close To Call, voit la démocratisation de ce genre de références comme «inquiétante».
Il ajoute qu’«avec la polarisation de la vie politique et la montée des extrêmes, on a une extension du discours antiélite. On n’a plus peur de dire des choses qui étaient impensables il y a 15 ans. Ce n’est absolument plus disqualifiant».
Guillaume Rousseau, professeur agrégé de la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke et chroniqueur, ne peut qu’acquiescer.
«Si au Canada cette montée était moins claire, avec le cas de la première ministre en Alberta, ça devient inquiétant. Le type de contenu qu’elle partageait, les liens, etc., c’est du genre de théories haineuses comme celle du Protocole des Sages de Sion», explique-t-il.
«Cela dit, elle s’est excusée et dénonce sans équivoque l’antisémitisme désormais. À voir, donc, si la polémique reprend», ajoute-t-il.
«Par contre, il faut faire attention à ne pas trop penser que c’est aussi grave chez nous que chez les Américains. C'est inquiétant certes, mais c'est absolument pas du même niveau que ce qu'on voit aux États-Unis», conclut-il.
The antisemitism here is blatant and appalling.
— Steven Greenhouse (@greenhousenyt) October 17, 2022
Every American -- including ever Republican lawmaker -- should denounce Greene's blatant antisemitism (even if she isn't talking about Jewish space lasers this time around) https://t.co/jUdM4tDGwW
Les deux analystes s’accordent néanmoins pour dire qu’il ne faut pas rechercher uniquement la présence de codes antisémites dans le discours politique uniquement à droite.
Guillaume Rousseau avance que «malheureusement, tous les camps sont concernés. Prenons les exemples de Jeremy Corbin en Angleterre, accusé d’antisémitisme, ou de celui d'Amir Khadir ici, pour son soutien au mouvement de boycottage d’Israël».
Bryan Breguet, quant à lui, préfère mettre l’accent sur «les nombreuses polémiques entourant la députée fédérale du Nouveau Parti démocratique Nikki Ashton ou les tensions assez évocatrices entre les différentes franges du Parti vert du Canada sous la cheffe, Annamie Paul».
Une «gangrène» porte d’entrée vers une perte de droits
Si ce discours est une gangrène, comme l’avance Frédéric Bérard, «il est à risque de faire pourrir tout ce qu’il touche, un peu comme la vraie gangrène fait pourrir le corps humain».
Shameful. "Freedom Convoy" must condemn & disassociate from waving of swastika, Nazi flag & other symbols & messages of hate. Protests in Ottawa are looking more like extremists against government & #minorities than health concerns. @antisemitism #HateHasNoPlaceHere #HumanRights pic.twitter.com/xrbHvUJb4S
— UN Special Rapporteur on Minority Issues (@fernanddev) January 31, 2022
Le constitutionnaliste conclut son propos par une mise en garde: «si la recrudescence des actes et propos haineux en devient légitimée à un point tel qu’elle participe à faire gagner des élections, les droits des minorités (LGBTQ+, Juifs, musulmans, etc.) et les droits fondamentaux (p. ex. l'avortement) en feront les frais».
Alors que cette hausse inquiète, de nombreuses associations réaffirment la nécessité de dénoncer haut et fort des propos qui n’ont pas leur place dans nos sociétés.