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Les 5 grands moments du printemps érable, à travers la lentille de ceux qui y étaient

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Photo portrait de Julien Lamoureux

Julien Lamoureux

2022-03-22T10:30:00Z
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En 2012, au paroxysme du printemps érable, environ 300 000 cégépiens et étudiants étaient en grève au Québec. Cette contestation historique était une réaction à la hausse des frais de scolarité de 1625$ sur cinq ans proposée par le Parti libéral du Québec, alors mené par Jean Charest. On replonge dans cinq moments marquants de ces quelques mois en compagnie de trois personnes qui les ont couverts. 

Pour en savoir un peu plus sur nos trois intervenants, consultez leur profil au bas de cet article.

• À lire aussi: Grâce au printemps érable, les étudiants économisent aujourd’hui 1700$ par année   

  • À écouter aussi Jade Trudelle en entrevue à l’émission de Philippe-Vincent Foisy diffusée chaque jour en direct 8 h via QUB radio :   

22 mars: manifestation historique à Montréal    

Le 22 mars 2012, des dizaines de milliers de personnes se sont rejointes à la place du Canada, dans le centre-ville, avant de déambuler jusque dans le Vieux-Montréal. Selon une association étudiante, il y avait environ 200 000 manifestants, un des plus grands rassemblements de l’histoire de la métropole. Cette manifestation a marqué l’imaginaire collectif en raison de son ampleur. 

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Maxime Deland/Agence QMI
Maxime Deland/Agence QMI

«C'était très festif. C’était beaucoup d’euphorie, il y avait beaucoup de joie dans l’air et ce n’était pas dans la confrontation», se souvient Catherine Poitras, ex-journaliste pour la Community University Television (CUTV), de Concordia. 

«On est montés au troisième étage [d’un immeuble], on avait une vue sur la rue Sherbrooke. C’était du monde à perte de vue. Qu’on soit pour ou contre la hausse, on pouvait juste saluer la mobilisation des étudiants, parce qu’il y avait énormément de monde», raconte Maxime Deland, photographe et journaliste de l'Agence QMI.

«Il y avait vraiment un sentiment de vivre quelque chose tous ensemble. [Ça faisait] trois ou quatre ans que je vivais au Québec. Et pour moi, ç’a vraiment été le moment où je me suis senti Québécois pour la première fois, où j’avais vraiment l’impression de partager quelque chose avec la société québécoise», relate Jérémie Battaglia, photographe et réalisateur.

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Fin avril: le début des manifs de soir  

Jérémie Battaglia
Jérémie Battaglia

À partir de la fin du mois d'avril, pendant plus de trois mois, chaque soir, une manifestation nocturne ayant comme point de départ le parc Émilie-Gamelin avait lieu à Montréal. Le concept a été repris dans d’autres villes. Les manifestations se terminaient régulièrement en affrontements entre manifestants et policiers. Ces derniers utilisaient les souricières et un arsenal incluant balles de plastique et gaz lacrymogènes pour tenter de maîtriser la foule. 

«Les manifestations nocturnes, c’était vraiment le début d’une remise en question des règles. Comment on fait une grève? Comment on manifeste?» soulève Jérémie Battaglia.  

Manifestation nocturne du 4 mai 2012 dans les rues de Montréal
Manifestation nocturne du 4 mai 2012 dans les rues de Montréal Photo Agence QMI / Archives

«Ces manifestations-là, elles m’ont fait perdre 15 livres. On marchait tellement, surtout pendant les premières, [qui] pouvaient finir à trois heures du matin. Il y avait des personnes qui se joignaient à ces manifestations-là, des gens plus radicaux, des groupes anarchistes aussi. Des gestes extrêmes, j’en ai vu d’un côté comme de l’autre», dit Maxime Deland.

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«C’était vraiment une manifestation de colère, tu pouvais sentir que les gens étaient vraiment fâchés de ce qui se passait. C’était très différent du 22 mars et de l’ambiance festive. [Les journalistes de CUTV], on était avec les gens dans la manifestation, quand il y avait des souricières, on était souvent dans la souricière», raconte Catherine Poitras.

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4 mai: «la guerre» à Victoriaville  

Maxime Deland/Agence QMI
Maxime Deland/Agence QMI

Le 4 mai, des autobus de manifestants se rendent à Victoriaville, où a lieu le congrès du Parti libéral du Québec. Cette manifestation donne lieu aux images les plus violentes du printemps érable. On rapporte quelques blessés graves, dont Maxence Valade, qui a été victime d’un traumatisme crânien et qui a perdu l’usage d’un œil. 

«Pour les gens qui n’étaient pas là le 4 mai à Victoriaville... [c’était] la guerre. C’était écrit dans le ciel. Cette manifestation-là, vraiment, ça va avoir marqué l’imaginaire collectif. Ça va m’avoir marqué aussi», explique Maxime Deland.

Maxime Deland/Agence QMI
Maxime Deland/Agence QMI

«Je pense que ç’a été un moment de remise en question. Qu’est-ce qu’on est en train de faire? Qu’est-ce qu’il se passe dans la société pour qu’on laisse les choses comme ça se produire? À quel point on va laisser les policiers s’en prendre aux manifestants au point de menacer leur vie?» soulève Catherine Poitras.

«Dans une société, on est comme dans un couple. Il faut qu’on arrive à se parler et à se comprendre. Et ce n’est pas en en faisant la sourde oreille ou en faisant de fausses négociations [qu’on va régler ça]», dit Jérémie Battaglia.

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Fin mai: les casseroles se font entendre  

Casseroles - Montréal, 24 Mai 2012 from Jeremie Battaglia on Vimeo.

Le 18 mai, le gouvernement provincial a adopté le projet de loi 78, qui encadre le droit de manifester, entre autres. Dans les jours qui suivent, les concerts de casseroles prennent de l’ampleur en réaction à ce que plusieurs perçoivent comme une atteinte à leurs droits fondamentaux. Plusieurs personnes – pas seulement des étudiants – sortent dans la rue et sur les balcons de quartiers résidentiels tous les soirs.  

«Il y avait des gens de partout, le bruit des casseroles était omniprésent, c’était comme un rêve éveillé. C’était quelque chose de très particulier à vivre», rappelle Jérémie Battaglia. 

Photo Joël Lemay / Agence QMI
Photo Joël Lemay / Agence QMI

«C’était rempli de gens sur les balcons. Ça cognait de la casserole, puis tu sentais que là, c’était plus juste les étudiants, il y avait les adultes qui embarquaient avec eux. Il y avait un vent de soutien pour ce mouvement-là», remarque Maxime Deland.

«Les gens sortaient des instruments de musique aussi, en plus des casseroles. Il y avait beaucoup d’enfants. C’était pas juste étudiant, c’était rendu ton voisin qui sortait de chez lui, qui tapait sur une casserole», renchérit Catherine Poitras.

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4 septembre: une élection historique  

Pauline Marois
Pauline Marois Maxime Deland/Agence QMI

Jean Charest, qui était premier ministre à l’époque, déclenche des élections anticipées et perd son pari. Pauline Marois, à la tête du Parti Québécois (PQ), réussit à faire élire un gouvernement minoritaire en promettant, entre autres, d’annuler la hausse des frais de scolarité.  

Beaucoup se souviennent de cette soirée parce qu’un homme armé s’est infiltré au Métropolis, où se déroulait le rassemblement du PQ. Il a abattu un technicien de scène, et il est passé bien près d’assassiner la nouvelle première ministre, première femme à accéder à ce poste.  

Deux semaines plus tard, Pauline Marois annonce l’annulation de la hausse des frais de scolarité. 

MAXIME DELAND/AGENCE QMI
MAXIME DELAND/AGENCE QMI

Au terme du Sommet sur l’enseignement supérieur de février 2013, le PQ décide finalement d’indexer les frais de scolarité de 3% par année. Malgré cette décision, les frais de scolarité sont aujourd’hui moins élevés que si la hausse n’avait pas été annulée.

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«Pour moi, l’élection de Pauline Marois, je pense que ç’a quand même été un sentiment de soulagement partagé par beaucoup de monde, autant des gens qui soutenaient le Parti libéral que les autres. [On se disait], peut-être qu’on va pouvoir faire une pause et passer à autre chose, parce qu’il y avait quand même une fatigue émotionnelle de la société», analyse Jérémie Battaglia.

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«Objectivement, je me dis que peut-être que les efforts, les heures de manifestation investies par les étudiants auront porté fruit. À tous ceux qui disent qu’aller manifester, ça ne sert à rien... je pense que dans ce cas-ci, on a vu qu’il y a eu des résultats», estime Maxime Deland. 

Ils étaient dans la rue avec les étudiants      

Les images et les mots des photographes et journalistes qui ont été sur le terrain en 2012 constituent maintenant les archives du printemps érable, cette saison marquante du 21e siècle au Québec. 

Maxime Deland, photographe et journaliste pour l'Agence QMI, a été affecté à la couverture de dizaines de manifestations pendant des mois. 

Maxime Deland
Maxime Deland Étienne Brière

«Ce que j'aime de mon travail, c'est non seulement d'assister à des moments historiques, à des périodes historiques, mais [aussi] de les documenter. [...] Je suis vraiment content d'avoir participé à ce mouvement-là à ma façon, pas en tant que manifestant, mais en tant que membre des médias», dit-il aujourd’hui. 

Maxime Deland/Agence QMI
Maxime Deland/Agence QMI

De nature téméraire, il s’est retrouvé au cœur de la violence pendant la fameuse manifestation du 4 mai, à Victoriaville; il a vu le chaos à Montréal après que le premier ministre de l’époque, Jean Charest, eut offert moqueusement «des jobs dans le nord» aux étudiants; il était tout près du tireur Richard Henry Bain lorsque celui-ci a été maîtrisé par les policiers derrière le Métropolis, le soir de l’élection de Pauline Marois. 

Ses images ont été abondamment reprises par les médias de Québecor, dont Le Journal de Montréal. 

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De son côté, Catherine Poitras était journaliste pour CUTV, la télévision communautaire basée sur le campus de l’Université Concordia. Pendant les événements de 2012, elle est devenue une source d’information privilégiée pour des milliers de personnes qui voulaient suivre en direct ce qui se passait sur le terrain. 

Catherine Poitras
Catherine Poitras Étienne Brière

«[Sur Twitter], on utilisait le mot-clic #manifdesoir pour dire aux gens la manifestation est rendue [à tel ou tel coin de rue]. Ça indiquait aux gens où aller», se remémore Catherine Poitras. 

Catherine Poitras en 2012
Catherine Poitras en 2012 Laura Kneale

C’est comme ça que beaucoup d’étudiants de l’époque ont connu CUTV. Mais la chaîne, surtout, diffusait les manifestations en direct et tentait de montrer ce qui se passait du début à la fin, sans montage ni interruption.  

«J'espère qu'à CUTV, on a contribué aux archives du mouvement étudiant, et que nos images ont rapporté des choses qui n'étaient pas couvertes nécessairement par les grands médias.» 

Le photographe et réalisateur Jérémie Battaglia a tenu à documenter 2012, lui aussi.

Jérémie Battaglia
Jérémie Battaglia Étienne Brière

«Une société qui n'a pas d'histoire, c'est une société qui n'avance pas. On est obligés d'avoir cette histoire commune, qu'on soit d'accord avec elle ou pas. Et les images sont là pour se rappeler et pour se souvenir.» 

C’est cette démarche qui l'a guidé durant le printemps érable. Son objectif n’était pas de prendre les photos les plus spectaculaires, mais les plus humaines, en captant le visage des gens et leurs émotions.  

Pendant une manifestation nocturne, en 2012
Pendant une manifestation nocturne, en 2012 Jérémie Battaglia

«Je n'avais pas envie de faire quelque chose qui était “dans ta face”, en disant: “Voilà ce que je crois, les idées que je défends”. Pour moi, c'est vraiment une approche qui était plus empathique. [J’avais] envie de documenter ce qui se passe parce que, peut-être, ça [allait] être important un jour. Et finalement, c’est important, parce qu'on en parle encore aujourd'hui.» 

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