Réforme Dubé: cette fonctionnaire va livrer Santé Québec
Cette sous-ministre est l’architecte et maître d’œuvre de la réforme du réseau de la santé
Gabriel Côté
Si Christian Dubé est à l’avant-scène pour défendre sa réforme en santé, c’est la sous-ministre Dominique Savoie qui sera chargée, en coulisse, d’opérer la vaste transformation du réseau de la santé.
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«Cette réforme-là, c’est la réforme de Savoie. Elle a une énorme influence sur le ministre Dubé, il adhère à sa vision des choses», soutient une source bien au fait du dossier, qui a demandé l’anonymat.

Sans aller aussi loin, l’ancien chef de cabinet de Christian Dubé remarque que ce dernier voit son rôle comme celui de président de conseil d’administration d’une compagnie.
«Il dit que Mme Savoie est comme la directrice générale de la shop, qu’elle s’occupe des opérations. Lui, il est là pour parler au nom des actionnaires, les Québécois», illustre Jonathan Valois.
Au reste, Christian Dubé lui-même ne remet pas en cause l’importance de cette haute fonctionnaire, en qui il voit une femme de confiance.
«Sans elle, on ne serait pas là aujourd’hui. Il va falloir qu’elle prenne sa retraite à un moment, mais si je peux l’étirer, je voudrais qu’elle soit là jusqu’à temps qu’on livre [Santé Québec]», a-t-il confié en entrevue.
Arrivée comme sous-ministre à la santé en plein cœur de la pandémie, Dominique Savoie a occupé une fonction de premier plan dans la gestion de la deuxième vague de COVID-19. Puis, à la demande de Christian Dubé, elle a rédigé le Rapport Savoie sur la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux, qui a inspiré le projet de loi créant Santé Québec.
Selon nos informations, Mme Savoie songeait à la retraite après le dépôt de son rapport en juin dernier. Mais une discussion avec Christian Dubé l’aurait convaincue de changer ses plans.

«M. Dubé voulait vraiment qu’elle continue», a relaté l’ex-conseiller au cabinet du premier ministre Legault, Pascal Mailhot.
De ce fait, la sous-ministre sera appelée à jouer un rôle crucial dans la réforme du réseau de la santé: d’ici la nomination du président du conseil d’administration de Santé Québec, elle sera à la tête du comité de transformation chargé d’abolir les agences régionales – les CISSS et les CIUSSS – et de regrouper les 34 établissements du réseau dans un organisme central.
Au cours de cette opération, 30% à 40% des employés du ministère de la Santé seront transférés vers la nouvelle agence.
C’est ce petit groupe de gestionnaires qui décidera, entre autres, quels employés seront réassignés. Il devra aussi faire les recommandations pour tous les changements nécessaires à la création de Santé Québec, dont l’intégration des systèmes informatiques, par exemple.
«À la tête de ce comité, Dominique Savoie aura beaucoup d’influence, a souligné notre source anonyme. En choisissant quels fonctionnaires passent à Santé Québec, elle va donner la couleur à l’organisation. Ce sont ces gens-là qui vont montrer aux “top guns’’ [du secteur privé] comment faire leur travail quand ils vont arriver.»
Outre Mme Savoie, le cabinet de Christian Dubé a indiqué que le comité de transformation sera composé «d'acteurs provenant de différents horizons», dont des «gens de terrain».
«Nous sommes conscients qu'il s'agit d'un changement de culture important et nous allons faire les choses dans l'ordre», a-t-on indiqué.
PORTRAIT
«Personne n’était capable de mettre de l’ordre là-dedans, puis elle est arrivée et elle a réglé le problème.»
Voilà ce qu’ont confié plusieurs anciens collaborateurs de Mme Savoie, qui l’ont côtoyée à différents moments de sa carrière dans la fonction publique.
Au début des années 2000, la sous-ministre de la Santé travaillait à la direction régionale du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, à Montréal. C’était l’époque d’une réforme importante dans ce ministère après le rapatriement des services d’emploi du fédéral vers le Québec.
«Elle s’est occupée du rapatriement, c’était un vrai casse-tête à Montréal. Depuis son passage, il n’y a plus d’enjeu», a expliqué un ancien collaborateur dont l’identité ne peut pas être dévoilée.
Puis, comme sous-ministre aux Transports de 2011 à 2016, Dominique Savoie a notamment eu à faire appliquer les recommandations qui ont découlé de la commission Charbonneau.
- Écoutez l'entrevue de Richard Martineau avec Mylaine Breton, professeure à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke sur QUB radio :
Sur la touche
«C’est quelqu’un d’extrêmement rigoureux, une travailleuse acharnée, quelqu’un qui peut prendre une situation extrêmement complexe, en saisir facilement les contours et proposer des solutions pour y faire face», a souligné l’ex-ministre libéral Pierre Moreau, qui a travaillé avec elle.
Mais en 2016, Dominique Savoie s’est trouvée au cœur de la tourmente quand le ministère des Transports a fait face à des allégations d’irrégularités, se retrouvant «sur la touche» au ministère du Conseil exécutif.
«Ça a été très difficile pour elle, de se trouver au milieu d’une guerre partisane alors qu’elle n’avait rien à se reprocher», s’est rappelé Pierre Moreau.
Quand il a été nommé ministre de l’Énergie, M. Moreau a demandé à Philippe Couillard et au secrétaire général du gouvernement de l’avoir comme sous-ministre.
«À l’époque, la CAQ était le deuxième parti d’opposition, et Éric Caire posait des questions très insidieuses à son endroit. On m’avait prévenu que ça allait faire des flammèches, mais avec quelqu’un d’aussi compétent, je pouvais m’en accommoder facilement», a-t-il expliqué.
M. Moreau juge qu’il est «assez ironique» de voir aujourd’hui que Mme Savoie a reçu son «certificat d’excellence» alors même que la CAQ est au pouvoir.
«Il doit avoir l’air un peu penaud, M. Caire, quand il la croise dans le corridor», a raillé l’ancien ministre.
Jusqu’au bout
L’ancien chef de cabinet de Christian Dubé, Jonathan Valois, a travaillé de très près pendant deux ans avec Mme Savoie.
«C’est une femme exceptionnelle», a-t-il lancé.
Quand on lui fait remarquer qu’il est peu commun de voir une fonctionnaire en fin de carrière s’occuper d’une réforme aussi importante, M. Valois opine.
«C’est qu’on est face à une vraie mandarin de l’État québécois, c’est un signe de son dévouement», a-t-il dit, en faisant allusion à ces très hauts fonctionnaires qui demeurent en place malgré les changements de gouvernement.
«Ce sera le point d’orgue de sa carrière», a ajouté Pascal Mailhot. C’est logique que ce soit elle qui fasse la transformation du réseau de la santé. C’est probablement la personne qui connaît le mieux le projet de loi.»