Essai: Cyberpunk 2077 est le pire jeu de 2020 et le meilleur jeu de 2020
Maxime Johnson
Il y longtemps qu’un jeu avait autant divisé les joueurs que Cyberpunk 2077. Alors que les uns crient au génie, les autres ne comprennent pas qu’un titre aussi inachevé ait pu être lancé. Après avoir arpenté Night City de fond en comble au cours des derniers jours, force est de constater que les deux clans ont raison.
Cyberpunk 2077 est le pire jeu de 2020
Cyberpunk 2077 n’a plus besoin de présentation à l’heure actuelle. Annoncé pour la première fois en 2012, et repoussé à plusieurs reprises lors des dernières années, ce jeu de rôle de science-fiction se veut un monde ouvert futuriste, mature et ambitieux. On y incarne V, un (ou une, selon ce qu’on choisit au début de l’aventure) mercenaire qui souhaite gravir les échelons de Night City, une mégapole américaine déchirée entre les gangs de rues et les grandes corporations.
Malheureusement, le jeu a été lancé la semaine dernière dans un état déplorable. Il est fréquent qu’un jeu soit lancé bien qu'il aurait pu profiter de quelques semaines de travail de plus, mais dans le cas de Cyberpunk 2077, ce sont plutôt des mois, et peut-être même des années, qui manquent.
Cyberbug 2077
Les défauts de Cyberpunk 2077 ne sont pas des problèmes cachés découverts par des joueurs qui s’aventurent hors des sentiers battus. On rencontre, en fait, des bogues et des problèmes tout au long du jeu, à l’exception des premiers moments. La plupart sont mineurs, et même parfois drôles, comme des personnages qui passent à travers les murs et d’autres qui apparaissent comme par magie sur le trottoir. Une fenêtre peut s’afficher pendant de longues minutes au lieu de s’effacer instantanément, et on peut croiser trois copies identiques d’un habitant de Night City en quelques secondes seulement.
D’autres bogues sont plus embêtants. Le jeu plante par exemple régulièrement, et il faut parfois recommencer des missions pour se sortir d’une impasse. Heureusement, le jeu permet de sauvegarder souvent, on n’a donc jamais à revenir bien loin en arrière.
Mais il n'y a pas que les bogues qui nuisent à l’expérience. Certains volets du jeu sont d’une qualité franchement mauvaise. La physique de la conduite automobile est par exemple parfois risible, selon le véhicule utilisé. Conduire est souvent désagréable dans Cyberpunk 2077, ce qui est dommage, considérant la qualité de la carte dessinée par les développeurs du jeu. Heureusement, on peut pratiquement toujours se déplacer autrement, et les missions qui nous font prendre un véhicule placent pratiquement toujours V dans le siège du passager (comme si les développeurs savaient que cette partie du jeu n’était pas à la hauteur).
Les menus sont aussi complexes et mal expliqués, et le jeu est mal balancé. Le mode «normal» est en effet beaucoup trop facile: avec les bonnes armes (un katana, par exemple), on pourrait probablement le passer sans jamais mettre son personnage à niveau ou profiter d’implants cybernétiques.
Un jeu qui n’est pas si beau
Cyberpunk 2077 est aussi décevant visuellement. Le jeu est d’abord trop demandant pour les consoles d’ancienne génération. Sur une PS4 Pro, les textures se chargent par exemple trop lentement, ce qui fait qu’on a l’impression que des personnages et des voitures de PS2 s’approchent de nous (le problème se corrige lorsqu’ils sont plus près, cela dit).
Pour ceux qui ont une PS4 ou une Xbox One, je recommanderais d’ailleurs plutôt d’acheter le jeu sur Stadia. La plateforme de jeu dans le nuage de Google offre l’une des meilleures expériences en ce moment, et vous pourrez y jouer sur l’appareil de votre choix (ordinateur, téléphone Android ou télé, si vous avez un adaptateur Chromecast Ultra).
Sur PS5, on règle le problème des textures, mais même là, le jeu n’est pas particulièrement beau. Il est mieux sur un PC haut de gamme (surtout grâce au lancer des rayons, ou ray tracing), mais visuellement, le jeu demeure quelques années en arrière. La direction artistique est superbe, on peut donc apprécier Cyberpunk 2077 et ses néons, mais si on s’arrête pour analyser les détails, Night City est loin du Londres de Watch Dogs: Legion, par exemple.
Alors que chaque coin de Watch Dogs: Legion semble avoir été dessiné avec soin, Cyberpunk 2077 réutilise constamment des textures et des objets. Résultat: le jeu est beau de loin, mais loin d’être beau. Tous les immeubles semblent dotés de la même fenêtre répétée 50 fois, et des mêmes airs climatisés, notamment.
Plusieurs croient que toutes les faiblesses visuelles du jeu sur PS5 et Xbox Series X seront corrigées lorsque le jeu sera optimisé pour les nouvelles consoles l’année prochaine, mais c’est de la pensée magique. Même s’il sort quelques semaines seulement après les nouvelles consoles de Sony et de Microsoft, et même s’il est très correct sur un PC puissant, visuellement, Cyberpunk 2077 est un jeu d’ancienne génération.
Notons que le jeu connaît aussi des ratés du côté audio. Le montage sonore est par exemple mauvais (tous les ennemis semblent parler au même niveau, peu importe qu’ils soient dans une autre pièce ou juste devant nos yeux) et certains dialogues semblent avoir été enregistrés dans le désordre, ce qui fait qu’un personnage peut pratiquement chuchoter et crier dans la même scène.
Le coût humain
Et on ne parle même pas ici du facteur humain. Le jeu a en effet été pointé du doigt pour ses stéréotypes et son hypersexualisation des personnes trans, et les histoires d’horreur (heures supplémentaires interminables, épuisement professionnel) sur son développement s’accumulent. L’histoire récente indique toutefois que les joueurs et l’industrie ont la mémoire courte pour ce genre de choses (The Last of Us Part 2 a remporté le prix du jeu de l’année aux Game Awards, malgré une atmosphère de développement similaire).
Si les défauts plus humains de Cyberpunk 2077 sont là pour de bon, plusieurs s’attendent à ce que ses défauts techniques soient corrigés avec le temps. C’est surement vrai en partie – je m’attends, par exemple, à ce que l’expérience sur PS4 et Xbox One soit améliorée –, mais on ignore à quel point CD Projekt Red pourra tout réparer. Certains défauts risquent de perdurer. C’est à se demander s’il ne faudra pas attendre la réédition du jeu dans 10 ans pour que celui-ci ressemble finalement à ce que les joueurs attendaient.
Chose certaine, si Ubisoft avait lancé un jeu dans un tel état, l’entreprise se serait fait clouer au pilori.
Cyberpunk 2077 est le meilleur jeu de 2020
Malgré tous ses défauts, Cyberpunk 2077 est aussi un jeu exceptionnel pour ceux qui ne sont pas trop dérangés par les bogues et qui choisissent de lui pardonner ses faiblesses. C’est un jeu ambitieux, avec des missions variées, des personnages souvent bien développés et un univers fascinant, qui risque de rester dans l’imaginaire collectif des joueurs pendant encore plusieurs années.
Un monde superbe
Cyberpunk 2077 pourrait tout d’abord faire école dans sa façon de construire un univers riche et intéressant. La plupart des éléments de ce futur dystopique de 2077 ont déjà été abordés ailleurs dans la science-fiction, mais les auteurs de CD Projekt Red vont bien au-delà du jeu de rôle duquel le jeu s’inspire.
Au travers des dialogues, des centaines de pages de textes enregistrées sur des clés USB dispersées partout dans la ville et des nouvelles à la télévision, on découvre petit à petit comment la société a évolué pour en arriver là. Guerre des IA, mégacorporations, netrunners: le monde qui nous est présenté dans Cyberpunk 2077 pourrait générer des centaines d’histoires.
Avec son jeu, CD Projekt Red parvient à offrir assez d’informations pour permettre au joueur de comprendre et aimer le monde qui l’entoure, mais laisse aussi assez de portes ouvertes pour lui donner envie d’en savoir plus. Pas étonnant que Netflix ait déjà annoncé l’arrivée d’une série animée basée sur cet univers en 2022.
On aime aussi l’histoire de V et de Johnny Silverhand (incarné par Keanu Reeves), mais c’est vraiment l’univers de Cyberpunk 2077 qui est la vraie vedette ici.
Des missions mémorables
Côté jeu, Cyberpunk 2077 ne réinvente pas la roue. On reconnaît notamment les influences de Grand Theft Auto V et des séries Watch Dogs, Batman: Arkham et Fallout, pour ne nommer que celles-là.
On y joue de différentes façons. On peut effectuer les missions furtivement ou on peut foncer dans l’action armé d’un fusil, par exemple. On peut aussi éviter ses ennemis ou les affronter en piratant tous les objets électroniques dans les scènes, ou encore ne jamais utiliser ses pouvoirs.
Même si les mécaniques sont connues, les missions elles-mêmes sont mémorables. Celles-ci laissent presque toujours une place prépondérante à l’histoire (certaines missions peuvent durer plus d’une heure, mais ne contenir que 20 minutes d’action) et elles peuvent souvent être abordées de différentes façons.
J’ai adoré par exemple une mission qui survient assez tôt dans le jeu, alors que V cherche à sauver une amie prisonnière d'un bordel futuriste. Les auteurs arrivent alors à nous surprendre dans leur façon de développer le personnage, et les choix que l’on fait dans les dialogues ont un impact sur la suite de l’aventure. Le design du niveau fait aussi en sorte qu’il est possible de terminer la mission de nombreuses façons, qui ne sont pas du tout télégraphiées. Selon la stratégie que l’on improvise en cours de route et selon les habiletés de notre personnage, on peut d’ailleurs terminer le niveau sans avoir vu de grands pans de la carte, et en passant à côté de détails importants.
Les nombreuses missions secondaires de Cyberpunk 2077 sont plus simples, mais les principales sont de véritables bijoux.
Quand l’ambition fait partie de l’ADN du jeu
Je ne suis habituellement pas un amateur des jeux interminables. Je préfère une histoire courte et bien racontée à un récit étiré artificiellement pendant des dizaines d’heures seulement pour donner l’impression aux joueurs qu’ils en ont beaucoup pour leur argent.
Cyberpunk 2077 est toutefois une exception. L’ampleur du jeu n’est pas forcée. Elle est sa raison d’être.
La vingtaine d’heures que dure la campagne principale n’est pas étirée dans le seul but d’afficher un long temps de jeu. Le rythme sera lent au goût de certains, mais dans l’ensemble, le mélange d’histoire, d’action et de développement de l’univers est bien dosé. Je ne me souviens pas d’avoir joué à un jeu avec une longue campagne aussi réussie du début à la fin. Même s’il s’agit d’un monde ouvert, on a presque l’impression de jouer à un jeu narratif, comme The Last of Us 2.
La ville créée par CD Projekt Red est aussi mémorable. Night City est à l’image même de l’idée qu’on se fait d’une mégapole futuriste: compacte et en hauteur, dans laquelle il est facile de se perdre pendant des heures. C’est, et de loin, la ville la plus intéressante jamais créée pour un jeu vidéo. Je ne crois pas que tous les jeux devraient avoir l’ampleur de Cyberpunk 2077. Mais il est clair que le titre représente la nouvelle cible à atteindre pour les jeux ouverts ambitieux.
Cette ambition qui fait la force de Cyberpunk 2077 est aussi la cause de tous ses maux. Avec une ville plus petite et moins de contenu, il y aurait moins de bogues et de faiblesses. CD Projekt Red aurait fait un bon jeu, mais qui n’aurait pas été Cyberpunk 2077. Est-ce que l’entreprise aurait pu offrir le meilleur des deux mondes en repoussant encore son lancement? Peut-être, mais ce n’est pas certain non plus (et les développeurs sont sûrement soulagés de pouvoir passer à une nouvelle étape).
Avec un peu de chance, les mises à jour prévues au cours des prochains mois pourront peut-être nous rapprocher de cette expérience sans compromis. En attendant, la plupart aduleront ou vilipenderont le jeu. Car les hauts et les bas du dernier opus de CD Projekt Red n’en font pas un jeu moyen, mais plutôt deux jeux différents, selon les aspects sur lesquels ont choisi de porter notre attention: l’inachevé «Cyberbug 2077», ou l’excellent Cyberpunk 2077.