Le «grand remplacement», la théorie évoquée par le tireur de Buffalo
Gabriel Ouimet
La théorie du «grand remplacement» aurait motivé l’attentat qui a coûté la vie à au moins dix personnes, pour la majorité des Afro-Américains, le week-end dernier, à Buffalo. Voici ce que vous devez savoir sur cette théorie du complot d’extrême droite.
Un «crime raciste motivé par la haine»
Vers 14h30 samedi après-midi, un jeune suprémaciste blanc de seulement 18 ans a parcouru plus de 300 km de la ville de Conklin, dans le sud de l’État de New York, pour se rendre jusque dans le stationnement d’un magasin de Buffalo, près de la frontière canado-américaine.
Il a ensuite ouvert le feu à de multiples reprises, faisant au moins dix morts et trois blessés. L'attentat a été diffusé sur la plateforme Twitch et a fait 11 victimes noires et deux blanches.
Les autorités américaines qualifient l’attaque de «crime raciste motivé par la haine», car le jeune meurtrier a publié un manifeste en ligne avant de passer à l’acte. Il y multiplie les propos haineux et les références à la théorie du «grand remplacement».
Selon les médias américains, le document de 180 pages est aussi rempli de références à d’autres crimes commis par des suprémacistes blancs, dont le massacre islamophobe survenu à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en 2019. Un jeune adepte de la théorie du «grand remplacement» avait ouvert le feu dans deux mosquées, tuant 51 fidèles.
Ses principes ont aussi inspiré plusieurs autres événements meurtriers visant des communautés minoritaires en Europe et aux États-Unis dans les dernières années.
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C’est quoi, la théorie du «grand remplacement»?
Le «grand remplacement» est intimement lié à une peur de l’immigration, affirme Frédérick Nadeau, chercheur postdoctoral au Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR).
«Très simplement, c’est l’idée qu’une élite mondialiste cherche à faire disparaître les cultures et civilisations occidentales blanches par l’immigration de personnes non blanches porteuses d’une culture qui n’est pas assimilable», explique-t-il.
Pour les adeptes de cette théorie, cette élite mondialiste opérerait un «lent génocide». Ils croient notamment que l’afflux d’électeurs non blancs affaiblit le vote blanc, et donc les communautés blanches. L’objectif serait de faire disparaître les peuples blancs dits «de souche» pour produire un être humain «générique» et s'offrir une main-d'oeuvre bon marché.
Inspirée du nationalisme français du début des années 1900, cette théorie circulait dans les cercles néonazis dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, puis dans d’autres mouvements suprémacistes et d’extrême droite au cours des dernières décennies. Plus récemment, elle a été remise de l’avant par l’auteur français Renaud Camus, dans un ouvrage publié en 2011.
«C’est possible de rattacher ses origines à des groupes suprémacistes et d’extrême droite, mais aujourd’hui, ça s’est un peu élargi. Ses concepts se sont propagés dans des cercles médiatiques et politiques plus populaires opposés à l’immigration», précise Frédérick Nadeau.
En effet, les thèmes du «grand remplacement» circulent dans les pays où l’immigration polarise, comme aux États-Unis et en France. Lors de la dernière campagne présidentielle française, des candidats d’extrême droite, comme Éric Zemmour et Marine Le Pen, l’ont évoquée.
Quelle place occupe-t-elle au Québec?
Bien que présente au Québec, cette théorie demeure assez marginale, indique M. Nadeau.
«Au Québec, on a vu l’influence se faire sentir dans les années 2010-2015, avec l’émergence de mouvements ouvertement néofascistes, comme le groupe Atalante. Mais de manière générale, on n’en parle pas de façon aussi explicite qu’en France, où des partis politiques et des grands médias organisent des débats autour de la question.»
Il faut toutefois s’en méfier, prévient M. Nadeau.
«Le problème, c’est que comme toutes les théories du complot, ça prend appui sur des inquiétudes qui émanent de voir son pays ou sa culture changer. Et il n’y a aucun doute sur le fait que le visage du Québec et ses valeurs changent. Nous ne sommes plus dans le Québec des années 60. Il n’y a absolument pas de ‘’remplacement’’ qui guette le Québec pour autant, et surtout pas de remplacement organisé», insiste-t-il.
La peur de voir ses valeurs changer peut d’ailleurs déformer la réalité et contribuer à la montée en puissance de mouvances telles que celle du «grand remplacement», rappelle l’expert. En 2016, un sondage réalisé au Québec l’illustrait bien.
«On demandait aux Québécois d’estimer la proportion de musulmans dans la province. Dans les faits, la population musulmane représente environ 3% de la population. Mais dans les perceptions des gens, on était autour de 20%. C’est une différence énorme qui provient de l’anxiété de vivre dans un monde qui change. Il faut donc être prudent et ne pas sous-estimer ces mouvements, parce que le monde va continuer d’évoluer», conclut-il.