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«Le carnaval de l’alt-right canadienne»: comment l’extrême droite s’est approprié le convoi de camionneurs

MAXIME DELAND/AGENCE QMI
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Photo portrait de Andrea Lubeck

Andrea Lubeck

2022-02-01T21:26:35Z
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La preuve n’est plus à faire que les groupes de droite et même d’extrême droite ont infiltré le «convoi de la liberté», ces camionneurs qui protestent contre la vaccination obligatoire pour les routiers qui traversent la frontière. Comment et pourquoi est-ce arrivé? Qui sont les leaders et les participants au mouvement? On vous explique.

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Drapeaux confédérés et croix gammées          

Ils étaient environ 10 000 à manifester dans les rues d’Ottawa, devant le parlement, samedi et dimanche. Parmi les nombreuses affiches «Freedom» dans la foule, des symboles haineux et radicaux, comme des drapeaux confédérés et même des croix gammées, ont été aperçus. 

Bien avant le début de la pandémie, les groupes d’extrême droite tentaient de se faire entendre. Le ras-le-bol des citoyens et des camionneurs face aux mesures sanitaires et au gouvernement était donc la tempête parfaite pour que ces groupes s’approprient le convoi.

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MAXIME DELAND/AGENCE QMI
MAXIME DELAND/AGENCE QMI

«Le mouvement de contestation des mesures sanitaires n’est pas uniquement à droite, mais c’est vrai qu’il est très noyauté par la droite, et même par des groupes extrémistes qui ont un agenda antigouvernemental, suprématiste, et qui prônent l’accélération de l’effondrement du système», explique David Morin, professeur et titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent.

Comment la droite s’est-elle approprié le mouvement  

À la base, les deux camps présentent des affinités idéologiques.

Un rapport du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR) publié lundi soutient effectivement que les groupes anti-mesures sanitaires et les groupes d’extrême droite partagent une même idéologie fondée, notamment, sur le rejet des institutions de la démocratie libérale, comme la science, les médias et l’État.

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Pas étonnant, donc, que des groupes extrémistes de droite se soient emparés des revendications des camionneurs, tout comme les groupes de droite plus modérés, confirme David Morin.

«La présence de la droite plus radicale dans le paysage de la contestation des mesures sanitaires est observable depuis le début de la crise. [Grâce à ce mouvement,] ses partisans ont, dans une certaine mesure, enfin réussi à capitaliser politiquement sur cette crise pour avancer leurs pions et recruter du membership», précise-t-il.

Ainsi, à mesure que les mesures sanitaires sont devenues plus restrictives, les groupes d’extrême droite ont pu brandir la question du totalitarisme – en cohérence avec leur idéologie de rejet du système –, «ce qui est quand même ironique quand on sait que l’extrême droite est plutôt pour les régimes totalitaires», souligne M. Morin.

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Qui sont les participants?  

On vous rassure: ce ne sont pas tous les participants au convoi qui sont des sympathisants de l’extrême droite. «La plupart étaient là pour exprimer un ras-le-bol face aux mesures sanitaires, sans avoir d’idéologie sous-jacente forte», explique le professeur.

D’autres sont là avec une idéologie bien marquée à droite et tentent de faire des gains politiques, comme les membres du Maverick Party – dont certains organisateurs font partie – ou encore le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier. Ce dernier était d'ailleurs sur place samedi, observe David Morin. 

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Mais il ne faut surtout pas nier que des groupes de la droite plus radicale («l’alt-right canadienne»), y compris des groupes néonazis, ont trouvé là une occasion en or pour s’infiltrer dans le mouvement.

On a donc pu constater une espèce d’écosystème de la droite canadienne, alliant les plus modérés aux plus extrémistes. «C’était le grand carnaval de l’alt-right à Ottawa», illustre M. Morin.

Comment des symboles haineux se sont-ils retrouvés dans la manif?  

S’il a surtout été question de mesures sanitaires le week-end dernier, il ne faut pas oublier que l’extrême droite véhicule des idéologies racistes, voire suprématistes. Et celles-ci se sont donc naturellement frayé un chemin durant la manifestation.

«Ce qui est préoccupant, c’est que personne n’ait demandé [aux personnes avec des drapeaux arborant des symboles haineux] de les ranger, bien que ça n’aurait pas enlevé le caractère ignoble de sortir ce genre de drapeau dans une manifestation comme celle-là», souligne David Morin. Il n'est toutefois pas surpris d’avoir vu de tels symboles devant le parlement.

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Il croit d’ailleurs qu’il est important de dissocier une partie des gens qui ont participé au mouvement de ces extrémistes. Mais la responsabilité incombe tout de même aux participants de savoir qui sont les organisateurs et de se dissocier éventuellement de ceux qui auraient des agendas plus radicaux que soi. 

«Pour ceux qui sont tout de même allés, d’un côté, je ne pense pas qu’il faut les déresponsabiliser, mais de l’autre, on ne peut pas les accuser par association, renchérit David Morin. Sinon, ça tendrait à pousser du revers de la main le mouvement de contestation sanitaire en disant “De toute façon, c’est juste des gens qui ont un agenda politique très à droite”. C’est plus complexe que ça.»

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Reste que les participants qui n’ont pas de programme politique sont instrumentalisés à des fins politiques beaucoup plus partisanes, prévient-il. «Si vous embarquez dans ce genre de manif, il ne faut pas vous étonner que vous vous retrouviez à côté de groupes beaucoup plus extrémistes qui brandissent des croix gammées.»

Qui sont les leaders du mouvement?  

Un regard sur ceux qui sont considérés comme les trois principaux organisateurs – ou porte-paroles – du mouvement permet de comprendre comment la droit et l’extrême droite ont pu s’en emparer.

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Patrick King, l'un des organisateurs du convoi de la liberté, à Ottawa
Patrick King, l'un des organisateurs du convoi de la liberté, à Ottawa Photo tirée de Facebook

Le premier, Patrick King, est probablement celui dont les idées sont les plus radicales. Il est l’un des cofondateurs du Wexit, un mouvement indépendantiste des provinces de l’ouest du Canada, qui est maintenant devenu le Maverick Party. Il a tenu des propos islamophobes sur des tribunes publiques et prône la théorie du grand remplacement, une idéologie qui repose sur des principes racistes.

Tamara Lich, l'une des organisatrices du convoi de la liberté
Tamara Lich, l'une des organisatrices du convoi de la liberté Facebook / Captures d'écran

Il y a ensuite Tamara Lich, celle qui a mis sur pied la campagne de sociofinancement GoFundMe pour le convoi. Elle est administratrice du Maverick Party. Considérée comme étant la plus modérée des leaders du convoi, elle a appelé au calme lorsque des incidents se sont produits durant la manifestation.

Benjamin B.J. Dichter, l'un des organisateurs du convoi de la liberté, en entrevue avec Tucker Carlson de la chaîne américaine Fox News
Benjamin B.J. Dichter, l'un des organisateurs du convoi de la liberté, en entrevue avec Tucker Carlson de la chaîne américaine Fox News Capture d'écran de Fox News

Enfin, il y a Benjamin (B.J.) Dichter, dont le nom apparaît aussi comme organisateur de la campagne de sociofinancement. Il a lui aussi tenu des propos islamophobes, notamment durant un rassemblement du Parti populaire du Canada en 2019, durant lequel il a invité les gens à se «protéger des dangers des islamistes politiques». Il a également soutenu que le Parti libéral est «infesté d’islamistes».

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