Le Fonds FTQ à nouveau hanté par le crime organisé
L’homme d’affaires Rhéal Dallaire a tenté d’acheter l’entreprise du «roi du gyproc», Hugo Bernard

Jean-François Cloutier
Un homme d’affaires lié au crime organisé a tenté, en coulisse, de prendre le contrôle d’une des plus grosses firmes de systèmes intérieurs au Québec, active dans des projets immobiliers du Fonds de solidarité FTQ.
Au cours des dernières semaines, l’homme d’affaires Rhéal Dallaire aurait géré en sous-main Système d’intérieur BMNJ, selon des allégations dans un recours judiciaire de la Banque Laurentienne déposé en cour la semaine dernière.
La luxueuse résidence de Dallaire a été perquisitionnée l’an dernier en même temps que celles des Hells Angels Stéphane Plouffe et Martin Robert, deux des motards les plus influents du Québec, et du mafieux Francesco Del Balso (depuis décédé).
BMNJ est active dans deux projets financés par le Fonds FTQ, qui bénéficient de crédits d’impôt du gouvernement.
Il y a une dizaine d’années, le Fonds avait été éclaboussé par ses liens avec des proches du crime organisé, notamment durant la commission Charbonneau.
Difficultés financières
BMNJ, l’entreprise détenue par le «roi du gyproc», Hugo Bernard, est en sérieuse difficulté financière depuis plusieurs semaines au point où les 230 employés n’ont pas été payés au début février. L’entreprise a depuis été mise sous séquestre.

Selon les documents déposés en cour, la Laurentienne a perdu confiance, entre autres, après avoir constaté que Rhéal Dallaire s’activait en coulisses chez BMNJ.
Le 9 février, la Laurentienne dit avoir été avisée par un représentant de BMNJ qu’Hugo Bernard n’assurait plus la direction de l’entreprise. Ce représentant aurait ajouté que «les opérations de [BMNJ] étaient maintenant gérées en arrière-plan par M. Dallaire, et ce malgré [que] la banque [ait été avisée que] celui-ci n’était plus un acquéreur potentiel pour les opérations de [l’entreprise]».
- Écoutez l'entrevue avec Jean-François Cloutier, journaliste au Bureau d’Enquête de Québecor au micro d’Alexandre Dubé via QUB radio :
En effet, un mois plus tôt, la Banque dit avoir convoqué Hugo Bernard pour une rencontre virtuelle parce que BMNJ n’avait pas respecté les conditions de financements accordés par la banque.
Toujours selon la Banque, Bernard était présent, mais aussi Nasreddine Bentounes, un comptable agissant comme conseiller financier pour Dallaire. Ce dernier a contacté notre Bureau d'enquête et nie ces allégations. Un avocat, Me Anthony Quevillon, devait aussi être présent pour représenter BMNJ, selon Bentounes.
Mandat de Dallaire
Or, «lorsque Me Quevillon s’est joint à la rencontre, il a précisé, à la surprise de la Banque, qu’il n’était pas l’avocat de [BMNJ], mais qu’il était plutôt mandaté par M. Dallaire», souligne la Laurentienne dans le recours.
Me Quevillon aurait alors informé la Banque que ce dernier comptait acheter BMNJ. Le même jour, l’avocat aurait avisé la Laurentienne que c’est une dénommée Isabelle Gagnon (la conjointe de Rhéal Dallaire) qui acquerrait plutôt l’entreprise.
«Il ne revenait certainement pas à un tiers acquéreur potentiel de négocier avec la Banque en ce qui concerne la situation financière de la Débitrice», martèle la Banque.
Contacté par notre Bureau d’enquête, Rhéal Dallaire a refusé de répondre à nos questions, nous dirigeant plutôt vers son avocat.
► Le 29 janvier dernier, une compagnie du nom de Systèmes d’intérieurs CMNJ a été inscrite au Registre des entreprises du Québec. La conjointe de Rhéal Dallaire, Isabelle Gagnon, et un autre membre de sa famille y apparaissent comme dirigeants.

Le Fonds dit surveiller la situation de près
Le Fonds FTQ dit surveiller de près la situation chez BMNJ.
«À la suite des récents développements entourant Systèmes d’intérieur BMNJ, qui s’est placée à l’abri de ses créanciers, le Fonds immobilier et ses partenaires suivent la situation et prendront les mesures nécessaires pour assurer la réalisation des travaux», a indiqué le porte-parole Patrick McQuilken.
«Selon les vérifications que nous avons menées pour nos projets en cours, BMNJ est un sous-traitant pour un projet à Brossard et un autre à Montréal», a-t-il ajouté.
BMNJ dit être active au projet Solar Uniquartier, sur la Rive-Sud, et au Maestria, au centre-ville.

Selon son site internet, BMNJ a aussi travaillé au projet Square Children «en partenariat avec le Fonds immobilier de solidarité FTQ».
Le Fonds de solidarité gère un actif de près de 19 milliards $ pour 769 000 épargnants qui comptent sur cet argent, entre autres, pour leur retraite.
Sous-traitants vérifiés
Le Fonds a souligné qu’il revenait à l’entrepreneur général de choisir les sous-traitants sur les chantiers des projets dans lesquels le Fonds immobilier de solidarité FTQ investit.
Il a toutefois indiqué que «les promoteurs, les entrepreneurs généraux et leurs sous-traitants [étaient] soumis au processus du Fonds en ce qui a trait à la vérification diligente et à leur bilan social». Un sous-traitant doit donc être accepté par le Fonds avant de pouvoir travailler sur un de ses projets.
Pas une première
Ce n’est pas la première fois que le Fonds a des enjeux avec des proches du crime organisé.
La commission Charbonneau avait indiqué que le bras immobilier du Fonds, à l’époque appelé Solim, avait eu des projets avec Ronald «Ronnie» Beaulieu, ami de Jocelyn Dupuis et surtout proche des Hells Angels, dont un bar de danseuses nues.
Jocelyn Dupuis, le patron de la FTQ-Construction, avait été décrit dans les médias comme un «ouvreur de portes» au Fonds FTQ pour le crime organisé. Il était notamment intervenu pour aider le frère d’un caïd à obtenir du financement.
En 2014, le Fonds avait nommé à la tête de son conseil d’administration Robert Parizeau afin de moderniser sa gouvernance. Ce dernier s’était retiré en 2018.
La descente aux enfers d’Hugo Bernard

- 28 novembre 2023 : Bernard aurait du mal à payer des dettes en raison d’un train de vie luxueux et autodestructeur, incluant drogue, escortes et voitures de luxe, révèle notre Bureau d’enquête.
- 29 novembre 2023 : Il quitte temporairement la présidence de BMNJ.
- 15 janvier 2024 : La Banque Laurentienne exige un plan de remboursements de dettes de BMNJ totalisant plus de 5 millions $.
- 9 février 2024 : La Banque dit être informée que les opérations de BMNJ sont maintenant gérées en arrière-plan par Rhéal Dallaire.
- 11 février 2024 : La Banque amorce une procédure visant à faire nommer PricewaterhouseCoopers (PWC) comme séquestre pour administrer l’entreprise.
- 12 février 2024 : Le juge Jean-Yves Lalonde de la Cour Supérieure autorise la mise sous séquestre.
Qui est Rhéal Dallaire

- Promoteur immobilier
- Sa maison de Westmount a été perquisitionnée en mars 2023 par l’Escouade nationale de répression du crime organisé (ENRCO).
- Il a été un des principaux créanciers de Carboneutre, une entreprise infiltrée par le crime organisé nommée à la commission Charbonneau.
- Une de ses compagnies a vendu, en 2019, des terrains vacants à Montréal au co-chef de la mafia Leonardo Rizzuto.
- En 2020, le mafieux Stefano Sollecito a déclaré habiter dans une maison appartenant à une entreprise de la conjointe de M. Dallaire.
- Sa résidence de L’Estérel, acquise de l’ex-impresario Guy Cloutier, dans les Laurentides, a été la proie d’un incendie criminel en 2019.
- Il a plusieurs antécédents criminels en matière de trafic de drogue, d’escroquerie, de fraude, d’extorsion, de vol et de voies de fait dans les années 90.
SOUS-TRAITANT DANS DEUX PROJETS

Le Maestria
- Important complexe au cœur du quartier des spectacles à Montréal
- Deux tours aériennes de 58 et 61 étages reliés par une passerelle
- Projet évalué à 730 M$ en 2022
- 700 appartements locatifs et 1042 condos

Le Solar Uniquartier
- Projet de 7000 unités au total
- À l’angle des autoroutes 10 et 30
- Connecté au Réseau express métropolitain (REM)
- Investissement prévu de 3 milliards $ à terme
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