Le convoi de la liberté... non, celui de la honte
Josée Legault
Sur fond d’une occupation tenace du centre-ville d’Ottawa par le soi-disant convoi de la liberté, la rentrée parlementaire s’y fait sous haute pression. Après quatre jours, la réaction de Justin Trudeau était donc très attendue.
Avec raison, le premier ministre a tracé hier une distinction nette entre l’exercice légitime de la liberté d’expression et la propagation de discours, gestes ou symboles visant au contraire à intimider ou à propager la haine.
«Tous les Canadiens ont le droit d’exprimer leur opinion ou leur désaccord avec leur gouvernement, a-t-il lancé, mais ils n’ont pas le droit de menacer ou de harceler leurs concitoyens, ni de propager des messages de haine».
Considérant la vue répétée de croix gammées nazies au sein de la manif massive des camionneurs et les scènes d’intimidation verbale et physique de journalistes et de résidents jusque dans les locaux d’une soupe populaire, Justin Trudeau a visé juste.
Dans les rues d’Ottawa, quelque chose d’essentiel sur le plan des valeurs s’est en effet brisé. Pour les naïfs persuadés de l’inexistence au pays d’une extrême droite d’inspiration trumpienne, dont une frange suprémaciste blanche agissante, la preuve du contraire leur est servie.
Se consoler
Comme je l’écrivais vendredi dernier, le convoi dit de la liberté, c’est du trumpisme trempé dans le sirop d’érable et enroulé dans l’unifolié. Heureusement, on peut se consoler d’avoir évité une invasion du parlement comme celle du Capitole le 6 janvier 2021.
Le silence complice des organisateurs du convoi, doublé de l’indifférence de nombreux participants face à ces mêmes actes d’intimidation et la propagation de symboles nazis n’en sont pas moins inquiétants.
C’est pourquoi le convoi dit de la liberté, au lieu d’avoir simplement permis à une minorité de camionneurs opposés aux mesures sanitaires d’exprimer leur ras-le-bol dans le calme, s’est vite transformé en convoi de la honte.
Car nul doute qu’une fois galvanisée par leur long siège devant le parlement, la constellation d’extrême droite qui s’est greffée fort aisément au convoi, poursuivra son recrutement en sol canadien sur les médias sociaux.
Il faut donc distinguer l’écœurement normal de nombreux Canadiens sous le poids d’une pandémie entêtée, d’un événement cherchant à l’instrumentaliser à des fins idéologiques troublantes.
D’où même la prolifération bien préparée d’affiches arborant le message «Fuck Trudeau», d’une grossièreté toute trumpienne. Le Trudeau étant vu par eux comme un dangereux «radical» de la «gauche extrémiste» libérale.
O’Toole pourrait le regretter
Voilà d’ailleurs où sa sortie d’hier rencontre du même coup ses propres intérêts politiques. Car, oui, il arrive parfois que la défense de certaines valeurs ne soit pas contraire à l’intérêt partisan de celui qui les exprime.
De fait, le choix qu’ont fait des députés conservateurs de soutenir ce débarquement massif anti-Trudeau pourrait coûter des plumes au Parti conservateur d’Érin O’Toole, dont le leadership tient par un fil de plus en plus mince.
S’il a perdu le contrôle de son caucus, c’est avant tout parce qu’il s’est montré incapable d’articuler lui-même une position claire sur l’événement.
Il pourrait le regretter aussi parce que seuls les conservateurs ont à craindre de perdre des appuis au profit du Parti populaire du Canada de Maxime Bernier. Lui-même venu encourager le convoi à visière pleinement levée, étant déjà connu pour son appui ouvert aux mouvements antivax.
Demain : les événements d’Ottawa auront-ils aussi un impact politique sur la rentrée parlementaire à Québec ?