Restrictions sanitaires: le commerce de détail en état de choc
Martin Jolicoeur et Julien McEvoy
Toujours sous le choc de l’annonce de jeudi, les grands détaillants du Québec évaluent toujours leurs options dans l’attente de l’adoption d’un décret qui, en principe, devrait les forcer à imposer le passeport vaccinal à leur clientèle.
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Même si la voie judiciaire demeure sérieusement envisagée et que certains magasins grande surface flirtaient ouvertement la veille avec la « désobéissance civile », l’heure était aux jeux de coulisse, hier.
« Je parlerais davantage d’“intenses représentations” auprès des ministères que de préparation à une guerre de tranchées devant les tribunaux », a tenté d’illustrer au Journal, hier, le président de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT), Richard Darveau.
Influencer les détails
La stratégie des détaillants visés : utiliser toutes les occasions à leur disposition pour tenter d’influencer le contenu du décret encore en préparation avant qu’il ne soit adopté par le gouvernement.
« Nous le faisons autant pour nos membres que pour leurs clients, a fait valoir le président du Conseil canadien du commerce de détail, Michel Rochette. Il nous faut à tout prix éviter que la tension monte à l’entrée des commerces. »
Le temps presse : l’obligation vaccinale imposée aux commerces de plus 1500 mètres carrés (16 000 pi2) est censée entrer en vigueur le 24 janvier. Bien des détails restent à être communiqués.
Pour le moment, le ministère de la Santé et des Services sociaux se limite à préciser que seuls les « commerces dont l’activité principale est la vente de produits d’épicerie ou de pharmacie » seront exemptés. Mais selon son ministre, Christian Dubé, les Walmart et Costco devront s’y conformer malgré leur offre alimentaire.
Des clients dépassés
C’est là le genre de subtilité qui réussit à exaspérer autant les détaillants que les consommateurs, visiblement fatigués de la succession de mesures de contrôles sanitaires imposée par le gouvernement de François Legault depuis bientôt deux ans.
À Montréal, vendredi, la lassitude des clients était palpable près d’un magasin à grande surface.
« Ils ont essayé l’alcool et le pot, et là ils essayent ça. C’est n’importe quoi. Je fais mon bon citoyen, je les écoute, mais ça commence à être difficile de les prendre au sérieux », a réagi Gabriel Samson.
Quelques pas plus loin, un autre client mal informé des dernières mesures annoncées par Québec soulève un doute quant à leur application.
« Je viens d’arriver, mais mon téléphone est mort en raison du froid juste avant mon départ de la maison », raconte Guillaume Applebay.
Il se demande ce qu’il aurait fait s’il avait dû présenter son passeport vaccinal en arrivant au magasin.
« Mon téléphone est à terre à cause du gel. [...] Est-ce que j’aurais pu entrer pareil ? » se demande-t-il.
Grande frustration
Christian Bélair, directeur général de la quincaillerie indépendante Lortie et Martin, de Sainte-Agathe-des-Monts dans les Laurentides, comprend la situation et se désole que tant de complications retombent sur les épaules de sa clientèle et de ses employés.
« J’ai des clients, dit-il, des contracteurs de profession, qui me commandent pour 700 000 à 800 000 $ par année de matériaux à qui je devrai dire que je ne peux pas continuer de les approvisionner parce que mon magasin a 40 000 pi2. »
« Comme entrepreneur, je me dis que ça n’a pas d’allure de les envoyer ailleurs. Je vais devoir respecter les règles, mais je vous assure que c’est très frustrant. » Il espère que, fort de sa flotte de 12 camions de livraison, il saura garder la majorité de sa clientèle.
Le dossier n’est pas clos
Pendant ce temps, plusieurs grandes chaînes tentent d’interpréter au mieux chaque mot de la conférence de presse de jeudi. Le premier ministre y a annoncé la réouverture des commerces le dimanche (à compter de la semaine prochaine) et l’obligation vaccinale pour les clients de tous les commerces de plus 16 000 pi2.
Cela inclut nombre de succursales des librairies Renaud-Bray, prompt vendredi à réclamer que le gouvernement ajoute le commerce du livre – un secteur jugé non essentiel – aux autres secteurs déjà exemptés de l’application de cette mesure (pharmacies et marchands d’alimentation).
Est-ce que son président serait prêt à s’adresser aux tribunaux ?
« Spontanément, les querelles juridiques ne sont pas une avenue que nous favorisons, nous a répondu le président de Renaud-Bray, Blaise Renaud. Cependant, nous pensons que le gouvernement a encore le loisir de corriger le tir [...] Nous demeurons optimistes quant à la capacité du gouvernement de faire preuve de flexibilité dans ce dossier. »
À l’opposé, la voie judiciaire ne semble pas être totalement exclue par Walmart Canada qui, comme on le sait, dispose d’une offre alimentaire et de pharmacie importante, notamment, précise-t-on par le biais de ses pharmacies affiliées Accès Pharma.
« Suite à l’annonce d’hier, écrit son porte-parole, nous prendrons le temps d’analyser soigneusement le décret du gouvernement à venir. »
Costco, Walmart Simons et les autres grands nagent dans le brouillard
Sans décret gouvernemental, difficile pour les grands détaillants du Québec comme Costco, Walmart, Canadian Tire, La Baie, ou même Simons de se préparer, ou même de se prononcer sur les mesures annoncées en conférence de presse jeudi dernier.
Ce jour-là, le premier ministre du Québec François Legault a confirmé la réouverture des commerces le dimanche à compter du 23 janvier et l’imposition d’un passeport vaccinal dans les magasins grandes surfaces (plus de 16 000pi2) à compter du 24 janvier, exception faite des pharmacies et des commerces d’alimentation.
« Un Costco va devoir demander un passeport, vaccinal, un Walmart va devoir exiger un passeport vaccinal », a précisé le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, en réponse aux questions des journalistes.
D’autres exemptions ?
Pourtant, nul ne saurait nier que Costco et Walmart disposent d’une vaste offre alimentaire... Et que cette dernière exploite également une chaîne de pharmacie, dont les habitués pourraient difficilement se passer.
Pourront-elles en conséquence être exemptées de l’application souhaitée par Québec de l’obligation vaccinale de leurs clients ? C’est là un des nombreux détails que devra venir clarifier le décret gouvernemental actuellement en préparation à Québec.
Délais très courts
« Même en optant pour une procédure accélérée, c’est une tâche qui demandera sans doute aux fonctionnaires d’y travailler toute la fin de semaine. Ce n’est pas une mince affaire, prévient une source gouvernementale proche du dossier. Les enjeux techniques, pratiques et juridiques d’un tel document sont nombreux. »
- Martin Jolicoeur
VOICI D’AUTRES QUESTIONS QUI DEMEURENT SANS RÉPONSE :
- Les magasins de 1500 mètres carrés sont visés par ces mesures. Mais, doivent-ils compter la taille de leurs entrepôts ?
- Est-ce que les employés non vaccinés pourront continuer de travailler dans ces magasins ?
- De quels outils les commerces disposeront-ils pour contrôler l’accès à leurs magasins ? Est-ce que le gouvernement leur fournira les outils requis ?
- Un employeur pourra-t-il par exemple imposer à son employé le téléchargement d’un lecteur de vaxicode sur son téléphone cellulaire ?
Des dimanches divins pour les propriétaires de dépanneurs
Ils profitent grandement de la fermeture de la plupart des autres commerces
Pour un troisième dimanche de suite, les épiceries et la grande majorité des commerces seront fermés demain. Décriée par certains, la mesure a de quoi faire sourire les propriétaires de dépanneurs, toujours ouverts et plus rentables que jamais.
« Le malheur des uns fait le bonheur des autres », lance Yves Servais, directeur général de l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec (AMDEQ), qui ne représente pas de supermarchés.
Sans avoir de chiffres officiels, M. Servais parle d’une augmentation de plus ou moins 20 % du chiffre d’affaires des dépanneurs le dimanche depuis le début de l’année au Québec.
Les ventes bondissent
Le premier ministre François Legault a imposé, le 30 décembre dernier, la fermeture de tous les commerces le dimanche, sauf ceux jugés essentiels. La raison invoquée était de donner du répit aux commerces qui manquent d’employés. La mesure prendra fin la semaine prochaine.
« C’est idéal pour nous, ils nous ont fait un cadeau. Notre chiffre d’affaires a augmenté d’un bon 30 % », indique pour sa part Albert Sleiman, qui possède six dépanneurs.
Situés à Montréal, Laval, Deux-Montagnes, Joliette et Saint-Félix-de-Valois, ses commerces ne donnent pas sur de grands boulevards et sont ancrés dans des quartiers résidentiels.
« On vend plus d’épicerie, le lait et le pain, ça explose. Même les SAQ, qui ont moins de stock, nous ont donné un coup de main : on vend aussi plus de vin », se réjouit le commerçant.
À Saint-Boniface, en Mauricie, le propriétaire du Dépanneur Sonic parle lui aussi d’un bond de 30 % de ses ventes le dimanche.
« Je viens de faire ma commande de lait, elle a presque doublé », lance Charles Lemoyne, patron des lieux depuis 24 ans.
Avec une superficie de 4000 pi2 et des congélateurs remplis de pizzas et de mets préparés des Aliments M&M, il était bien placé pour profiter de la manne.
« On vend moins d’essence la fin de semaine, parce que les gens ne bougent à peu près plus, mais on est gagnant au final », indique M. Lemoyne.
La fermeture des commerces le dimanche a eu lieu au meilleur moment de l’année, pour les dépanneurs. « Le mois de janvier est normalement tranquille, il l’a été un peu moins cette année », indique Yves Servais, de l’AMDEQ.
Pharmaprix aussi
Il n’y a pas que les dépanneurs qui en profitent, puisque les pharmacies sont aussi ouvertes le dimanche depuis le début de l’année.
Pharmaprix, propriété de Loblaw depuis 2013 déjà, est de loin la chaîne qui offre la plus vaste gamme de nourriture grâce à sa « Zone marché ». On y trouve entre autres des légumes frais et de la viande.
Pharmaprix a bien observé une « légère hausse, mais pas nécessairement marquée » le dimanche. Mais « il est difficile de l’attribuer uniquement à la fermeture des autres commerces le dimanche », indique toutefois Johanne Héroux, de chez Loblaw.