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Le Canada instaure un système qui fera «bien paraître les grands pollueurs»

Des groupes environnementaux dénoncent ce qu'ils considèrent un sauf-conduit pour les entreprises pollueuses

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Photo portrait de Élizabeth Ménard

Élizabeth Ménard

2022-06-08T21:09:14Z
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Le Canada lance aujourd’hui son système de crédits compensatoires de gaz à effet de serre (GES). Il s’agit d’un système complexe dont l’efficacité est incertaine et qui pourrait avoir comme effet de permettre aux pollueurs... de continuer à polluer. Voici tout ce qu’il faut savoir.

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En direct de Los Angeles pour le Sommet des Amériques, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault présentait aujourd’hui les grandes lignes de son système de crédits compensatoires aux médias. 

«Ça permet à des entités qui ne sont pas réglementées par le système de tarification [...] de générer des réductions d'émissions en échange de compensations financières et à des acteurs qui sont réglementés d'acheter des réductions d'émissions afin d'atteindre leurs objectifs réglementaires», a-t-il expliqué. 

Ce que ça signifie, c’est que des entreprises, municipalités ou communautés autochtones, par exemple, qui n’ont pas d’obligation de réduire leurs émissions de GES, pourront investir dans des projets de réduction, comme la plantation d’arbres ou de nouvelles technologies, en échange d’une compensation financière. Ces réductions seront ensuite traduites en crédits que des entreprises pollueuses pourront acheter pour réduire, sur papier, leurs propres émissions. 

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«Les compensations n’empêchent pas le carbone de pénétrer dans l’atmosphère et de réchauffer la planète, mais sur papier, elles font bien paraître les grands pollueurs responsables», dénonce la chargée de la campagne Nature et Alimentation chez Greenpeace Canada, Salomé Sané. 

La directrice générale de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l'Atlantique, Sabaa Khan, va dans le même sens.

«L'impact sera de neutraliser la situation actuelle plutôt que de susciter la transformation technologique nécessaire et de s'engager dans une vraie réduction des émissions de GES. C'est comme faire du surplace dans un moment qui nous commande d'aller beaucoup plus loin, de façon urgente», dit-elle.

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Comme un droit de polluer 

Les entreprises pétrolières et gazières seront éventuellement soumises à un plafond d’émissions annuel décroissant. Des discussions pour définir les paramètres de ce plafond doivent avoir lieu prochainement. 

Si elles dépassent le plafond imposé, elles auront le choix de payer la taxe carbone, qui est présentement à 50$ la tonne, ou d’acheter des crédits compensatoires qui seront probablement moins chers, selon les prévisions du ministère de l’Environnement et du Changement climatique. 

Dans son Plan de réduction des GES pour 2030, le ministère prévoit une augmentation de la production pétrolière et gazière d’ici 2030. 

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Est-ce que ces entreprises pollueuses vont se servir des crédits compensatoires pour s’acheter des droits de polluer plutôt que réduire réellement leurs émissions? C’est ce que craignent plusieurs groupes environnementaux. 

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«La science est claire : pour empêcher l’aggravation de cette crise mondiale, nous devons réduire immédiatement les émissions de gaz à effet de serre tout en protégeant et en restaurant les écosystèmes naturels. On doit dire non aux compensations et oui à l’élimination des combustibles fossiles», affirme Salomé Sané de Greenpeace Canada. 

Une stratégie complémentaire 

Le ministre Guilbeault croit pour sa part que les entreprises pollueuses vont vite comprendre qu’il n’est pas profitable de baser leur stratégie de réduction des GES sur l’achat de crédits compensatoires. 

«Des entreprises qui vont dire: moi je vais faire juste des crédits compensatoires et je vais toujours payer d'autres gens pour réduire mes émissions, ce n'est pas un modèle d'affaires très viable à long terme», se défend-t-il. 

Celui-ci insiste sur le fait que le système de crédits compensatoires est «complémentaire» à la tarification carbone. 

«Notre stratégie de réduction des GES ne repose pas sur ce mécanisme-là. Notre stratégie ne repose pas sur une seule chose mais sur une centaine de mesures qui sont déjà déployées au Canada et c'est ce qui nous amène à avoir confiance que le Canada va atteindre ses cibles pour 2030», fait-il valoir.  

Pas appliqué au Québec 

Comme le Québec a déjà son propre système de tarification du carbone et de crédits compensatoires, ce régime ne s’appliquerait pas dans la province, à priori. 

«L'objectif d'un système fédéral n'est pas de compétitionner ou remplacer des systèmes de crédits compensatoires existants dans les provinces. C'est complémentaire», assure le ministre Guilbeault. 

Selon l’avis de plusieurs experts, le système québécois est un échec. Est-ce que le fédéral réussira là où le Québec a échoué? M. Guilbeault refuse de commenter la situation précise de la province, mais avoue tout de même que l'efficacité du système qu’il présente aujourd’hui n’est pas garantie. 

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«C’est un système axé sur le marché. Nous allons voir quel est l’appétit, combien de crédits et de projets sont générés, dit-il. [...] Nous sommes assez confiants qu’il y aura un intérêt, mais le temps nous le dira.»  

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