Des promesses climatiques de réduction des GES brisées à répétition pour le Canada
Gabriel Beauchemin
Le Canada a toujours raté, et de beaucoup, ses cibles de réduction de gaz à effet de serre (GES). Selon des organisations environnementales à qui on a parlé, c'est surtout parce que le pays ne s'en donne pas les moyens; il pourrait par exemple inverser la tendance en adoptant une loi climat.
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«C’est clair qu’au Canada, on a un cycle désastreux de promesses climatiques brisées», indique sans détour Caroline Brouillette, analyste des politiques au Réseau action climat Canada.
Lorsque l’on compare les objectifs de réduction des GES que l’on s’est donnés depuis les années 1990 avec les émissions réelles du pays, on constate très rapidement l’immense décalage entre ce qui était visé et ce qui s’est finalement produit. À aucun cas on n'a été proche d'atteindre nos cibles, ce qui est préoccupant étant donné que celles qu'on vient de se donner cette année sont plus ambitieuses que jamais.
Loi climat
«Ce n’est pas parce que nos cibles étaient trop ambitieuses, bien au contraire. La raison en fait, c’est qu’il y avait une absence totale de cadre de gouvernance climatique au Canada», soutient Caroline Brouillette.
L’objectif d’un cadre de gouvernance climatique, ou d’une loi climat, c’est de forcer le gouvernement à respecter ses cibles à travers le temps en les enchâssant dans un cadre légal, explique-t-elle. La loi viendrait obliger le gouvernement (peu importe celui qui est au pouvoir) à présenter un plan de match détaillé sur la façon dont il compte atteindre ses cibles. Un comité d’experts non partisans et indépendants le conseillerait en parallèle sur les meilleures stratégies pour y parvenir.
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Cette loi climat serait d’une grande pertinence, croit aussi l’analyste des politiques climatiques d’Équiterre Émile Boisseau-Bouvier.
«Ça vient accroître la redevabilité des politiciens, explique-t-il. Ils ont des comptes à rendre à une certaine fréquence, ça peut être aux deux ans par exemple, et où ils doivent dire : voici notre cible 2030, voici où on en est en 2020, voici pourquoi on est là en 2020, voici où on pense être en 2025 et voici comment nous pensons y arriver.»
Subventions aux énergies fossiles
Les subventions accordées aux énergies fossiles et la place que ce secteur occupe dans notre économie expliquent aussi, en partie, nos échecs.
«Le Canada subventionne fortement cette industrie-là, et c’est de l’argent qu’on investit dans des secteurs qui ne sont pas compatibles avec la transition qui est nécessaire pour atteindre nos cibles de GES, relève Émile Boisseau-Bouvier. C’est le boulet canadien, si je peux le nommer ainsi, dans la lutte aux changements climatiques.»
Un projet de loi à l’étude au Canada
La situation pourrait bientôt changer puisqu’un projet de loi est actuellement à l’étude, le projet de loi C-12, qui vise justement à doter le pays d’un cadre de gouvernance climatique.
Le projet de loi cherche notamment à mettre en place des objectifs contraignants pour que le Canada atteigne la carboneutralité d’ici 2050. Il pourrait être adopté d’ici la fin de la session parlementaire ou à l’automne.
La semaine dernière, le gouvernement Trudeau a d’ailleurs accepté, à la demande du NPD, de présenter deux rapports de plus d’ici 2030 sur les progrès qui vont avoir été réalisés sur le plan de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Initialement, le projet de loi en prévoyait un premier seulement en 2030.
«Pour le Réseau action climat Canada, c’est positif que les partis travaillent ensemble pour renforcer le projet de loi C-12, mais on va vraiment attendre d’avoir la version finale du projet de loi pour pouvoir faire un examen détaillé des amendements», commente Caroline Brouillette.
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Les lois climat à travers le monde
Le Canada pourrait s'inspirer des réussites du Royaume-Uni qui s'est doté, en 2008, d'une loi climat sans précédent.
«La loi britannique, ce qu’elle fait, c’est qu’elle fixe des budgets carbone aux cinq ans et ce qu’on voit, c’est qu’à date, le Royaume-Uni a réussi à respecter chacun des budgets carbone qu’il s’est fixés», indique Caroline Brouillette.
Le pays s’est également donné un objectif impressionnant de réduction de ses émissions de GES lors du sommet sur le climat de Joe Biden : 78% sous les niveaux de 1990 d’ici 2035.
«De façon générale, ce qui est intéressant au Royaume-Uni, c’est que la loi a permis de dépolitiser la question des changements climatiques, poursuit l’analyste des politiques au Réseau action climat Canada. Chacun des partis va quand même avoir des plans différents, mais il n’y a pas de désaccord sur le fait que ce soit important ou qu’il faille y répondre de façon sérieuse.»
Autres exemples : les lois de la Nouvelle-Zélande et de la France, toutes deux adoptées en 2019. Dans ces deux cas-ci, comme leur adoption est encore récente, il est difficile de mesurer à quel point elles seront capables de mener à une réduction significative des émissions de GES, mais elles ont au moins le mérite d’enchâsser leurs cibles dans la loi.
«Dans le cas de la loi de la Nouvelle-Zélande, ce qui est intéressant, c’est que tout comme celle du Royaume-Uni, elle fixe des budgets carbone et elle met en place un comité scientifique, explique Caroline Brouillette. Mais une de ses plus grandes faiblesses, c’est qu’elle ne requiert pas que les cibles de réduction des émissions et les politiques soient adoptées en partenariat avec les Maories, qui sont les peuples autochtones de la Nouvelle-Zélande.»
Ici au Canada, la place que l’on accorde aux peuples autochtones à travers le projet de loi C-12 est encore trop mince selon l’analyste, mais comme le projet de loi est toujours à l’étude, d’autres amendements peuvent encore être adoptés.
«À suivre», conclut-elle.
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