Café Reine Garçon: des commerces qui s'affichent LGBTQ+, c'est encore important en 2022
Jean-Michel Clermont-Goulet
En s’affichant sur une carte interactive qui regroupe des commerces inclusifs LGBTQ+ à travers le monde, le Café Reine Garçon, situé sur le Plateau-Mont-Royal, a une mission principale : faire sentir à tous et à toutes qu'ils y sont les bienvenus.
Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau ont ouvert leur café de l’avenue Duluth en 2016. L’établissement compte une petite scène accueillant des soirées poésie et des lancements d’album, et pour les copropriétaires (et amoureuses), il était important que l’endroit soit résolument inclusif.
«[Par le passé] il y avait tellement de spots lesbiens, de spots avec des femmes lesbiennes comme tenancières. Aujourd’hui, il n’y en a plus pour diverses raisons. On s’est dit que c’était important de s’afficher et montrer qu’il y a des lieux tenus par des couples lesbiens, ouverts à tous et toutes», mentionne Geneviève.
Il y a quelques mois, la nouvelle plateforme américaine Everywhere is Queer a approché le couple pour que leur «bébé» soit affiché sur une carte interactive qui regroupe des commerces tenus par des personnes issues des communautés LGBTQ+ d’un bout à l’autre du monde. À ce jour, c’est le seul commerce québécois du genre à y être.
«C’est sûr qu’on a dit oui. Tout ce qu’on peut faire pour s’afficher comme queer, femmes entrepreneures, comme lesbiennes, on trouve ça important. Si ça peut nous permettre d’être un exemple pour d’autres... c’est important de se voir, de se reconnaitre», souligne Mélodie.
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Le tourisme LGBTQ+
Le fait d’apparaître sur une carte disponible à l'international permet évidemment aux touristes de passage de repérer d’emblée leur café comme un endroit non seulement sécuritaire, mais aussi accueillant. D’ailleurs, les deux femmes de 36 ans, qui sont aussi comédiennes, optent elles-mêmes pour le tourisme LGBTQ+ lorsqu’elles voyagent.
«J’ai été dans un cadre hétéronormatif pendant longtemps», raconte Mélodie, qui a eu des copains jusqu’à l’âge de 30 ans. «Je voyais que Geneviève me poussait pour le tourisme queer et ça m’a pris du temps de comprendre pourquoi. Pis là, je comprends. C’est tellement chouette.»
Le tourisme LGBTQ+ permet «de vivre, de s’affirmer sans subir des représailles et le jugement d’autrui», nous explique Alain A. Grenier, professeur au département d’études urbaines et touristiques à l’École des sciences de la gestion (ESG).
Tant en voyage qu’à la maison, les établissements qui s’affichent comme LGBTQ+ friendly offrent un espace sécuritaire et identitaire aux personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans et queer notamment, qui sont assujetties, encore aujourd’hui, à des jugements - voir des menaces - face à leur différence.
Au tournant des années 60-70, alors que le tourisme LGBTQ+ était encore très underground, les personnes cherchaient à s’émanciper à l’international et fuir leur milieu de vie quotidienne le temps d’un voyage, parce qu’elles étaient ostracisées et risquaient de tout perdre.
«À un moment donné, il y a un besoin d’émancipation», explique M. Grenier, lui-même gai. «C’est formidable d’être capable d’être soi-même sans subir le regard des autres, encore en 2022.»
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Encore du chemin à faire
La métropole est parmi les villes où le tourisme LGBTQ+ est prisé, notamment en raison de son Village, où une panoplie de commerces inclusifs sont présents - même s’ils ne sont pas sur la fameuse carte. En revanche, «ce n’est jamais complètement gagné, même à Montréal», selon le professeur en tourisme.
«Il y a quelque chose de contradictoire dans tout ça : on a besoin de quartiers identitaires pour se rassembler, et d’un côté, ces milieux-là sont un peu la preuve qu’on ne peut pas aller partout», dit-il.
À l’image du Café Reine Garçon, Alain A. Grenier salue tout de même le fait que des commerces LGBTQ+ «de quartier» existent à l’extérieur du Village, comme le bar lesbien dans Rosemont-La-Petite-Patrie, Notre-Dame-des-Quilles.
La métropole gagnerait-elle à avoir davantage de commerces inclusifs clairement ouverts aux communautés LGBTQ+? «Oui», répond Mélodie, sans hésiter. «Si on était vraiment tous égaux, on n’aurait pas besoin d’un lieu pour se rassembler. C’est encore important en 2022, malheureusement.»
Pourquoi le nom «Café Reine Garçon»?
L’explication découle de la pièce de théâtre du dramaturge québécois Michel Marc Bouchard il y a une dizaine d’années, Christine, la reine-garçon.
L’œuvre relate l’histoire de Christine, reine de Suède au 17e siècle, une «femme forte», une «grande figure féministe» qui tergiversait avec son genre.
«Christine venait nous chercher. Elle savait bien s’entourer et on s’est dit que c’était un emblème fort de sens», explique Mélodie, ajoutant que Geneviève et elle souhaitaient s’afficher comme un couple de femmes entrepreneures dès le début de leur aventure.