Le boys' club est encore bien vivant à l'Assemblée nationale
Genevieve Abran
Ces dernières semaines, une quinzaine de femmes ont annoncé leur départ de la scène politique québécoise. Derrière cette réalité se cachent plusieurs obstacles qui limitent encore la présence des femmes aux plus hautes fonctions.
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L’Assemblée nationale a été conçue par et pour des hommes et, bien que les femmes y aient maintenant accès, les façons de faire n’ont pas changé, résume la députée de Joliette Véronique Hivon.
Après 14 ans en politique, la péquiste a récemment annoncé qu’elle ne se représenterait pas aux élections de l’automne prochain. Elle souhaite «avoir plus de liberté et de normalité» et veut désormais «exister en dehors de la politique».
Tout comme Véronique Hivon, au moins 15 femmes ont annoncé qu’elles ne solliciteraient pas de nouveau mandat le 3 octobre prochain. Catherine Dorion, Hélène David, Danielle McCann, Marguerite Blais, Lise Thériault et Christine St-Pierre en font notamment partie.
Une institution 100% masculine
«Je pense que les femmes sont probablement très marquées par le fait qu’elles ont de grandes ambitions, mais, une fois à l'intérieur des partis politiques, une fois élues, elles sont extrêmement déçues», explique la professeure de science politique de l’UQAM Carolle Simard.
Ça semble être le cas de la députée de Taschereau Catherine Dorion, soutient-elle. Lorsque la députée solidaire a annoncé son départ de la scène politique, elle a montré du doigt l’institution comme étant «extrêmement contraignante avec des cadres rigides et dépassés».
Véronique Hivon abonde dans le même sens. «C’est un univers qui a vraiment été forgé par des réflexes masculins d’hommes blancs qui, à l’époque, avaient des conjointes à la maison qui pouvaient s’occuper de tout le reste de l’univers quand eux ne faisaient que travailler.»
Selon la péquiste, il est important d’avoir «une masse critique de femmes [à l’Assemblée nationale] pour aussi remettre en question les manières de travailler, qui, parfois, sont présentées comme un acquis, quelque chose d’immuable en politique».
L’Assemblée nationale, un boys’ club
La députée libérale Christine St-Pierre n'y va pas par quatre chemins: la politique provinciale est un boys’ club. Et malgré les luttes menées par les femmes depuis leur arrivée en politique, celui-ci persiste.
«C’est sûr que c’est à force d’être plus présentes, plus nombreuses, qu’on va arriver à changer cette mentalité-là et démontrer qu’une femme peut très bien occuper un poste qui, traditionnellement, était octroyé à des hommes», estime-t-elle.
Selon Mme St-Pierre, qui quitte la politique après 15 ans de bons et loyaux services, le boys’ club se fait aussi ressentir parmi le personnel politique. Les conseillers qui entourent les ministres, et même le premier ministre, sont trop peu souvent des femmes.
La politologue Carolle Simard rappelle de son côté que, s’il est effectivement important d’avoir des femmes qui siègent au Salon bleu, il est d’autant plus important qu’elles soient ultimement incluses dans les décisions qui sont prises par le gouvernement.
Elle prend à titre d’exemple les cas de Danielle McCann et de Marguerite Blais, qui ont été les «boucs émissaires de la gouvernance de la COVID-19». La mauvaise gestion du début de la pandémie leur a complètement été attribuée, déplore-t-elle. Afin de se faire pardonner leurs erreurs, elles ont complètement été écartées dans les médias, puis remplacées par des hommes au front de la gestion de la pandémie.
«Depuis des décennies maintenant, c’est la même chose dans tous les gouvernements démocratiques: le pouvoir est concentré entre les mains de quelques personnes», indique Carolle Simard. Et la plupart du temps, ce cercle restreint est essentiellement composé d’hommes.
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La politique municipale, plus accessible?
Un autre élément vient limiter l’engagement des femmes sur la scène provinciale: la réalité du travail de député fait en sorte qu'il est plus difficile de concilier vie professionnelle et vie familiale.
«Malgré toutes les avancées et le fait que le Québec est l’une des sociétés les plus égalitaires au monde, la charge mentale et le leadership de l’organisation familiale sont encore, malheureusement, prioritairement le lot de beaucoup de femmes dans les couples», regrette Véronique Hivon.
Comme les députés doivent fréquemment se rendre à Québec pour siéger à l’Assemblée nationale, les multiples déplacements interrégionaux peuvent être un frein pour plusieurs femmes, déplore de son côté Christine St-Pierre. Cette réalité ferait en sorte que des femmes hésiteraient davantage à faire le saut en politique provinciale ou fédérale, estime la députée libérale.
Une dynamique différente de celle qui avait été constatée l’automne dernier, alors que certaines des plus grandes villes au Québec, comme Longueuil (Catherine Fournier), Gatineau (France Bélisle) ou encore Sherbrooke (Évelyne Beaudin), avaient basculé dans les mains de femmes.
Possible d’améliorer la situation
Carolle Simard trouve «décourageant» de voir autant de femmes quitter la politique provinciale. «C’est un message négatif envoyé aux personnes qui auraient envie de se lancer et de faire carrière en politique, des jeunes femmes, par exemple.»
Pourtant, certaines avancées peuvent être faites pour faciliter l’intégration des femmes en politique provinciale.
Véronique Hivon est d’avis que revoir l’organisation du temps pourrait permettre un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Elle se réjouit de voir que les «mentalités changent». «Les gens ne s’attendent plus nécessairement à ce que vous fassiez 12 activités la fin de semaine puis que vous n’ayez plus une minute pour voir votre famille», observe-t-elle.
La création d’un CPE ou d’une halte-garderie dans l’Assemblée nationale pourrait simplifier la conciliation travail-famille, pense la péquiste. Elle affirme qu’il faudrait aussi permettre aux députés d’avoir un congé parental à la naissance de leur enfant. Beaucoup de femmes ont souvent la «pression» de revenir plus tôt, a-t-elle pu elle-même constater lorsqu’elle a adopté sa fille 10 jours après son élection, en 2008.
Le traitement médiatique réservé aux femmes serait aussi un frein à leur entrée en politique provinciale, parce qu’elles se sentiraient «intimidées», pense Véronique Hivon, qui estime aussi que les mondes politique et médiatique pourraient collaborer davantage.
«On va toujours regarder l’apparence physique d’une femme», assure Christine St-Pierre. Si une femme arrive mal coiffée ou sans maquillage, elle se le fera certainement dire. «Pourtant, les hommes peuvent arriver avec le même veston 365 jours par année et personne ne va dire qu’ils sont mal habillés», critique-t-elle.
«Les hommes font des erreurs, mais c’est comme si les femmes n’avaient pas le droit à l’erreur», remarque Carolle Simard. Elles reçoivent un traitement plus sévère, de la part des hommes, mais aussi de la part des autres femmes. «Il y a beaucoup de femmes qui détestent les autres femmes. Souvent, les femmes sont les pires ennemies des femmes. [...] La sororité des femmes, c’est un concept qu’on ne reconnaît pas vraiment dans la vie politique», insiste la politologue.
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