L’autre grande crise du logement que le Québec a déjà connue
Martin Landry
Depuis longtemps, les Montréalais et l’ensemble des Québécois ont l’habitude de déménager le 1er juillet. Chaque année, des centaines de milliers de personnes déménagent aux alentours de cette date. D’ailleurs, Statistique Canada dévoilait qu’en 2018, près de 1 285 500 Québécois avaient changé d’adresse dans les cinq années précédentes.
Cela donne lieu à un impressionnant mouvement semblable au jeu de la chaise musicale alors que les locataires quittent leur logement pour s’installer dans un autre, qui vient tout juste d’être laissé par les anciens occupants
1. UNE TRADITION BIEN DE CHEZ NOUS
Déménager le jour de la fête du Canada est une tradition propre au Québec qu’on ne retrouve nulle part ailleurs au monde. La raison est bien simple, dans la province, plus des deux tiers des baux se terminent le 30 juin. Plusieurs locataires choisissent donc la première journée de juillet (un jour férié) pour déménager. Le phénomène est particulièrement important à Montréal.
2. LA GRANDE CRISE ÉCONOMIQUE
C’est durant la crise économique des années 1930 que les problèmes liés au déménagement sont survenus à Montréal. À l’époque, trouver un logement demeurait un défi pour beaucoup de personnes qui subissaient les conséquences du krach boursier.
Plusieurs propriétaires perdent leur habitation. Entre 1931 et 1941, la proportion de propriétaires à Montréal est ainsi passée de 15 % à 11,5 %. À cause du chômage et des conditions de vie difficiles, plusieurs locataires montréalais peinent aussi à payer leur loyer, ce qui entraîne de nombreux déménagements souvent involontaires.
Sur la première photo d’archive proposée, les meubles disposés sur le trottoir et l’absence de camion de déménagement peuvent laisser croire que la famille en question a probablement été expulsée de son habitation.
Lorsqu’elles ne sont pas expulsées, les familles dont les revenus diminuent progressivement tentent de s’en sortir en déménageant dans un logement moins dispendieux.
Malheureusement, « moins cher » rime bien souvent avec « plus petit » et « en mauvais état », ce qui pousse les gens à enchaîner les déménagements sans beaucoup plus de chance. Fréquemment, faute de mieux, les familles démunies doivent s’entasser dans des habitations exiguës et insalubres. Le roman Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy donne un excellent aperçu de cette dure réalité.
3. LE BESOIN DE LOGEMENTS SOCIAUX NE DATE PAS D’HIER
La situation économique difficile mène tout de même les autorités à réagir et à mettre en place des mesures d’aide et de secours publics. Les différents paliers de gouvernement contribuent en prenant le relais des organismes de charité qui s’occupaient traditionnellement des personnes démunies. Ils offrent des emplois aux chômeurs en mettant sur pied des chantiers de travaux publics, ils organisent entre autres un système d’allocations en argent pour la nourriture, le loyer, le chauffage et l’électricité. Cela dit, ces mesures ne suffisent pas toujours aux familles les plus pauvres qui ont du mal à se trouver un logement abordable qui leur convient.
La Deuxième Guerre mondiale aura eu le mérite de relancer l’économie au pays et d’améliorer le sort de plusieurs personnes, mais la question du problème d’accessibilité au logement n’est pas encore réglée. Après la guerre, certains groupes d’action catholiques commencent alors à se mobiliser pour exiger que le gouvernement s’implique dans le dossier du logement social et qu’il finance la rénovation et la construction d’habitations répondant aux besoins de la classe ouvrière. Le gouvernement tarde à les écouter. Cependant, ils obtiennent une importante victoire avec la construction des Habitations Jeanne-Mance dans le centre-ville de Montréal à la fin des années 1950. Ce complexe d’habitation très moderne à l’époque compte 788 logements à bas loyer et permet d’abriter 1633 personnes.
4. TENTATIVES DE L’ÉTAT POUR RENDRE LE LOGEMENT ACCESSIBLE
De nouvelles mesures visant à favoriser l’accès au logement sont mises en place vers la fin des années 1960. En 1968, la Société d’habitation du Québec est créée par le gouvernement pour prendre en charge le dossier. La formule des HLM (habitation à loyer modique) financées par le public devient alors populaire dans la province. Elle permet de loger plus de gens dans le besoin. Malgré ces mesures instaurées par les autorités, la question de l’accessibilité au logement demeure, encore aujourd’hui, une préoccupation des organismes communautaires. Chaque été, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) profite ainsi de la période de déménagement pour réitérer ses demandes au gouvernement en matière d’investissement dans les logements sociaux.
Même si la situation s’est améliorée depuis les années 1930, le problème demeure réel. Chaque année, plusieurs familles se retrouvent sans logement à Montréal après le 1er juillet. Vivant déjà le stress du déménagement, ces familles préfèreraient sans aucun doute vider leur camion devant leur nouvelle habitation et savourer une bonne pizza au lieu des soucis de logement qui les préoccupent.
Au Québec, on déménageait en mai...
Cela dit, le 1er juillet n’a pas toujours été la journée du déménagement. Jusqu’en 1974, les Québécois avaient plutôt l’habitude de déménager le 1er mai parce que la majorité des baux arrivaient à échéance le 30 avril.
Cette coutume de déménager au printemps remonte en fait au XVIIIe siècle. On en retrouve les traces dans une ordonnance de l’intendant Bigot datant de 1750. La tradition a ensuite été officialisée par une disposition du Code civil de 1886, qui indiquait que le 1er mai était la date d’échéance uniforme des baux résidentiels. C’est avec la création de la Régie du logement du Québec dans les années 1970 que la date du 1er mai a été changée. En effet, la nouvelle loi laissait le propriétaire et les locataires définir la date d’échéance du bail. Or, pour effectuer la transition, une disposition de cette loi prévoyait aussi de prolonger tous les baux qui se terminaient le 30 avril ou le 1er mai 1975 jusqu’au 30 juin 1975. Cette date a été bien reçue par la majorité des gens. Elle avait l’avantage d’éviter des problèmes aux familles qui devaient auparavant trouver une nouvelle école pour leurs enfants parce qu’elles déménageaient avant la fin de l’année scolaire.
Les Québécois, qui avaient déjà l’habitude de déménager à date fixe, se sont facilement adaptés à cette nouvelle date qui demeure, quarante ans plus tard, la journée presque officielle du déménagement au Québec.
... À New York, on déménageait en octobre
Bien que cette tradition soit aujourd’hui unique à notre province, ça n’a pas toujours été le cas. À New York, une « journée du déménagement » a aussi existé jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Comme nous, les New-Yorkais avaient fixé la date de la fin des baux au 30 avril. Vers la fin du XIXe siècle, ils ont ajouté une deuxième date, qui a pris la place de la première. Au début du nouveau siècle, donc, à New York, le déménagement se faisait donc le 1er octobre. Toutefois, les problèmes causés par la Deuxième Guerre mondiale ont eu raison de la journée de déménagement. Beaucoup d’employés des compagnies de déménagement étaient en effet absents parce qu’ils avaient été envoyés au front, ce qui compliquait les choses lors des nombreux déménagements simultanés. Puis le retour massif des soldats après la guerre a entraîné une pénurie de logements. Les législateurs ont alors décidé d’abandonner la date fixe de la fin des baux et la tradition a disparu.