«Théorie du genre»: voici ce qui est vraiment enseigné à vos enfants à l'école
Sarah-Florence Benjamin
Dans le cadre d’une manifestation à l’échelle canadienne instiguée par le groupe «1 Million March 4 Children», des parents ont exprimé leur crainte de voir leurs enfants «endoctrinés» par la «théorie du genre» dans les cours d’éducation à la sexualité. Qu’en est-il du contenu réel du programme enseigné au primaire et au secondaire? On fait le point.
«Il faut comprendre que [ce qui est enseigné à l'école] c’est un programme qui a été conçu par des experts et qui a été testé longtemps avant de se retrouver dans les classes. On se calque sur le rythme d’apprentissage des enfants, donc on ne va pas être en train de leur parler de transition médicale à 7 ans», lance d'entrée de jeu Morag Bosom, chercheure et doctorante en sexologie. Celle-ci croit que la crainte de certains parents est alimentée par une certaine mécompréhension de ce qui est enseigné dans les cours d’éducation à la sexualité.
Faisons donc un peu d'ordre dans tout ça. À quoi fait-on référence lorsqu’il est question de «théorie du genre»? Dans les faits, il s’agit d’un champ d’études interdisciplinaire qui analyse les représentations et l’expression du genre dans la société: ce qui est considéré masculin, féminin, ce qui sort des normes, etc.
Ce genre de notion est plutôt enseignée à l’université en sciences sociales plutôt qu'à l'école primaire ou secondaire.
Selon le contenu des cours d’éducation à la sexualité mis en place en 2018 par le ministère de l’Éducation, il n’est pas vraiment de question de diversité de genre avant la 6e année.
En 6e année, les enfants apprennent notamment «comment la discrimination basée sur l’identité de genre ainsi que l’orientation sexuelle peuvent affecter les personnes» et le «rôle que chacun peut jouer dans le respect de la diversité sexuelle et de la différence» selon les documents ministériels sur les différents thèmes abordés durant le cours.
C’est en secondaire 1 qu’il sera plus question d’identité de genre comme tel. Les jeunes de 12 à 13 ans sont appelés à «reconnaître le rôle de la puberté dans la consolidation de [leur] identité de genre». Selon le feuillet à l’usage des parents du Ministère expliquant le contenu du cours d’éducation à la sexualité le but de cette section du programme est de permettre aux élèves «de comprendre ce qui influence leur identité et réfléchir à ce sujet».
Pour les élèves plus jeunes, le contenu prévu par rapport à l’identité de genre se concentre surtout sur les normes et stéréotypes associés au genre, les inégalités entre les hommes et les femmes.
C’est ce qui est écrit dans le programme du ministère. Cela n’empêche pas, cela dit, que des discussions aient lieu en classe à propos de questionnements que les élèves amèneraient eux-mêmes. Elles ne sont cependant pas obligatoires et dépendent du degré d’aisance de l’enseignant avec les enjeux dont il est question.
Le programme d’éducation à la sexualité sera appelé à changer dès 2024 alors qu’il sera intégré au cours Culture et citoyenneté québécoise instaurée par la CAQ. La manière dont on parle de l’identité de genre est semblable au parcours prévu dans le programme d’éducation à la sexualité de 2018.
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Un apprentissage essentiel
Morag Bosom, qui collabore avec la plateforme d’éducation sexuelle Club Sexu comme consultante, considère qu’il est essentiel qu’il soit question de ces enjeux en classe, non pour leur faire adopter une idéologie, mais pour leur offrir un espace sécuritaire pour la réflexion.
«On offre un moment où les jeunes peuvent poser des questions et discuter. On leur montre qu’il existe plusieurs façons de vivre, mais ça ne veut pas dire qu’ils vont nécessairement vouloir l’adopter. Le but c’est surtout de développer leur empathie», précise Morag Bosom.
Ce n’est pas parce qu’on leur parle de diversité que plus de jeunes vont soudainement se questionner leur genre, rappelle la chercheure. «Les personnes en marge de l’hétéronormativité existent depuis la nuit des temps. Ce qui est différent aujourd’hui, c’est qu’on a créé un contexte où ces jeunes se sentent assez en sécurité pour s’afficher, ce qui donne l’impression qu’il y en a plus.»
Elle s’inquiète tout de même que la présente «hystérie médiatique» donne lieu à des discours de plus en plus hostiles envers la communauté 2SLGBTQIA+.
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Où s’arrêtent les «droits parentaux»
L’éducation à la sexualité et à la diversité de genre serait en contradiction avec les «droits parentaux» selon le groupe «1 Million March 4 Children».
Ce sont ces mêmes droits qui ont été invoqués par les gouvernements du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan lors de l’introduction de règlement interdisant l’usage de pronoms différents ou de nom différent de celui reçu à la naissance pour les élèves sans autorisation de leurs parents.
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Cet argument ignore totalement que les droits des parents ne peuvent contredire ceux des enfants, notamment le droit à la sécurité, ont souligné plusieurs experts.
«Le programme d’éducation n’impose pas d’identité ou des façons de penser à ramener à la maison, rappelle Morag Bosom. Il a juste pour but de leur présenter l’éventail des possibilités.»
Pour la chercheure en sexologie, il existe une différence entre vouloir protéger ses enfants et leur imposer une vision de la vie. «Quand on crée des environnements où on dit qu’il n’y a qu’une manière acceptable d’être ou de vivre, c’est réellement là que nos enfants ne sont plus en sécurité. Ce dont les enfants ont besoin, c’est d’une école où on peut poser des questions et où on ne vit pas de discrimination, pour tout le monde.»