Otan: vers un renforcement de la facade sud-est face à la Russie ?
![](/_next/image?url=https%3A%2F%2Fm1.quebecormedia.com%2Femp%2Femp%2F083bd4e0-5e56-11ec-9839-4be824ab8fdb_ORIGINAL.jpg&w=3840&q=75)
Fabien ZAMORA | AFP
L'annonce par Emmanuel Macron que la France était disposée à engager des militaires en Roumanie dans le cadre d'une éventuelle augmentation de la présence de l'Otan pourrait aboutir à un renforcement de cette présence de l'Alliance sur la façade sud-est de l'Europe, en plein épisode de tensions avec la Russie.
• À lire aussi: Ukraine : «tout» franchissement de la frontière par la Russie entraînerait une réaction
• À lire aussi: Les États-Unis autorisent les pays baltes à envoyer des armes américaines à l’Ukraine
« Je salue chaleureusement l'annonce du président Emmanuel Macron sur la disponibilité de la France à participer à la présence militaire avancée de l'Otan en Roumanie », a déclaré le président roumain Klaus Iohannis sur Twitter.
La veille, Emmanuel Macron avait dit la « disponibilité » de la France « à (s')engager sur de nouvelles missions, afin de prendre toutes (ses) responsabilités dans des missions de type eFP (enhanced Forward Presence, ou Présence avancée renforcée, NDLR) en particulier en Roumanie si elles étaient décidées » dans le cadre de l'Otan.
Cette déclaration d'apparence technique ouvre en réalité la porte à un fort renforcement de la présence militaire de l'Otan en Roumanie et donc dans la zone de la mer Noire, où elle est actuellement beaucoup plus faible qu'au Nord, dans la région de la Baltique.
Cette annonce traduit aussi le rapprochement franco-roumain sur les questions de défense et semble enfin signifier une volonté française de prendre un plus grand rôle dans l'Otan, à propos de laquelle M. Macron a déclaré fin 2019 qu'elle était en état de « mort cérébrale ».
« C’est une réorientation importante. Après un investissement majeur (et pérenne) sur la Baltique, la France veut être présente dans la région de la mer Noire. Et renforcer ses liens avec un vieux pays ami que nous avons trop délaissé », selon le directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), Bruno Tertrais.
Sur son aile nord-est, dans les pays Baltes et en Pologne, l'Otan déploie avec l'eFP quatre groupements tactiques dirigés chacun par un pays: Canada, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis. Cela représente des milliers de militaires, sans commune mesure avec le dispositif en Roumanie, infiniment plus léger.
« Jusqu'à présent il y a une différence entre le Nord-Est et le Sud-Est de l'Europe » en ce qui concerne la présence de l'Otan, explique une source diplomatique européenne. Si le projet aboutit, « l'engagement sera de même niveau ».
Contexte ukrainien
« Ce serait très important si la France prenait la tête d'un groupement tactique de l'Otan en Roumanie », analyse pour l'AFP George Scutaru, directeur général du New Strategy Center, un think-tank roumain.
Occupant actuellement la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, la France montre un intérêt accru pour la sécurité de la façade Est du continent. La ministre des Armées Florence Parly a organisé mi-janvier à Brest (nord-ouest de la France) une réunion des ministres de la Défense du format B-9, regroupant la Bulgarie, la République tchèque, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie.
« Symboliquement, c'est important que la France organise cela pour la première fois. Généralement, c'étaient plutôt les États-Unis. Tout le monde a salué le fait que la France s'intéresse au flanc Est », relève un diplomate d'un de ces pays.
Toutefois, la décision de l'Otan n'est pas encore prise et doit être débattue, peut-être en février. Joe Biden s'est dit mercredi prêt à renforcer la présence américaine en Roumanie.
Ces déclarations s'inscrivent évidemment dans le cadre des tensions entre l'Otan, les États-Unis, l'Europe et la Russie, notamment autour de la situation de l'Ukraine, que la Russie pourrait vouloir envahir selon les accusations de Occidentaux. Moscou est opposé à tout renforcement de l'Otan à proximité de ses frontières.
Au sein de l'Alliance, certains pays pourraient ne pas être réjouis par la perspective de milliers de soldats de l'Otan sur les rives de la mer Noire, un espace géopolitique complexe dominé par la Russie et la Turquie, pays membre de l'Otan mais qui a des proximités avec Moscou et avec lequel la France entretient des relations parfois tendues. La mer Noire est une voie d'accès pour la Russie aux différents théâtres de crise du Moyen-Orient et d'Afrique.
La Bulgarie, également membre de l'Otan, est traditionnellement proche de la Russie. Le gouvernement insiste sur le fait qu’aucune discussion officielle n’a eu lieu sur un renforcement de l'Otan dans la région et, cette semaine, le président Roumen Radev, régulièrement attaqué sur ses supposées sympathies pro-russes, a déclaré : « Ces crises n'ont pas de solution militaire, mais demandent un dialogue et des efforts diplomatiques de désescalade ».
Enfin, l'annonce du président français illustre aussi le rapprochement de Paris et Bucarest sur les sujets sécuritaires, où chaque pays marque son intérêt pour les préoccupations de l'autre. Ainsi, la France envoie régulièrement des bâtiments en mer Noire -- une frégate française participera début avril à un exercice avec la Roumanie -- tandis que la Roumanie prévoit de déployer ses forces spéciales dans la mission Takuba au Sahel.