La rentrée à l’école des licornes
Sylvain Dancause
Comme père, enseignant et citoyen, j’ai lu la lettre ouverte du ministre de l’Éducation: «Une rentrée en toute sécurité pour le bien de nos enfants.»
Comme plusieurs de mes concitoyens, je m’inquiète de ce qui se passe avec notre système de santé. Est-ce que l’ouverture des écoles est un pari risqué, oui ou non? Je ne saurais dire. J’imagine que ça dépend de la nature du pari.
Comme père de trois enfants, je suis heureux de savoir qu’ils seront de retour sur les bancs d’école. Est-ce trop tôt? Le citoyen espère que non.
Comme enseignant, je constate, depuis le printemps 2020, les dommages collatéraux engendrés par la pandémie. D’un point de vue pédagogique et/ou psychologique, il existe une longue liste d’avantages indéniables d’un retour rapide en classe. Personne ne peut contester ce fait.
- Écoutez la chronique de Sylvain Dancause, enseignant de mathématiques et de sciences au secondaire et blogueur au Journal:
Le plan
Un détail est un petit élément constitutif d'un ensemble qui peut être jugé comme secondaire. Selon le ministre Roberge, aucun détail n’a été négligé pour offrir une rentrée sécuritaire à nos élèves et au personnel. Est-ce que ça veut dire que l’Ontario, avec son installation de plus de 70 000 unités de filtration HEPA autonomes, a perdu son temps avec un élément qui ne peut même pas être qualifié de secondaire?
Si par détail, on entend «l’installation» de la nouvelle procédure d’autogestion de la maladie jumelée à la devise «0 suivi = 0 problème», en effet, la rentrée s’annonce sécuritaire. Quand on gère les cas de COVID-19 comme on gère les cas de gastro, il y a évidemment moins de risque que ça chie.
Néanmoins, si certains doutent du plan pour éviter que le personnel tombe au combat, personne ne peut remettre en doute la qualité du plan pour assurer la relève si cela devait arriver. Le plan de contingence pour le retour en classe «indique que les directions d'école devront identifier des personnes-ressources, comme des “parents volontaires”, pour pouvoir prendre le relais»...
Bref, il s’agit du même plan insignifiant pour assurer la relève en temps normal*. On l’appelle le plan de valorisation de la profession.
En toute sécurité?
De deux choses l’une: soit on ouvre les écoles afin de favoriser la propagation du virus dont on ne doit pas prononcer le nom, soit on croit vraiment que les écoles représentent des milieux contrôlés sécuritaires. S’il s’agit de l’option 1, tout comme mon collègue Luc Laliberté, j’aimerais le savoir. Je vais enfin trouver un peu de cohérence entre le discours et les actions.
S’il s’agit de l’option 2, nous sommes définitivement dans le trouble. Pour les acteurs sur le terrain, il est insultant d’entendre ce genre de discours. C’est nous prendre pour des imbéciles.
À tous les membres de l’équipe des licornes, mettons une chose au clair une bonne fois pour toutes: les écoles ne sont pas des milieux sécuritaires.
Lundi matin
Comme enseignant, je serai à mon poste lundi. J’accueillerai mes élèves avec le sourire. Ce que je pense de cette rentrée n’a aucune importance. Je me dois d’être un modèle solide. Peu importe la situation, il ne faut jamais transférer notre anxiété aux jeunes qui nous sont confiés. Je ferai preuve de professionnalisme, d’empathie et de dynamisme afin que mes élèves soient heureux à l’école et bien dans ma classe.
J’arriverai à l’école vers 8 h 30. J’irai m’installer à mon bureau, à la salle des enseignants du troisième étage. Je pourrai sûrement discuter avec mes 49 collègues qui partagent ce local trop petit, sans fenêtres.
À 9 h 15, la première cloche va sonner. Environ 1500 élèves se déplaceront dans les corridors étroits de l’école surpeuplée. Je sais, il ne faut surtout pas m’inquiéter. Le surveillant d’élèves va appliquer du gel sur les mains des jeunes lors de leur entrée. Et tout le monde portera son masque correctement. Je suis persuadé qu’aucun ado n’aura mangé, ne se sera mouché ou n’aura touché à son masque avec les mains souillées.
À 9 h 20, la deuxième cloche va sonner. Le cours va commencer (ici vous pouvez revenir au premier paragraphe de cette section du texte).
En ce qui concerne la «sécurité», tout va bien. Depuis la rentrée 2020, il y a une ligne de «tape magique» sur le plancher à l’avant de ma classe. Derrière cette ligne, je suis en sécurité. Quand mon pied droit traverse cette dangereuse ligne, j’entre en zone potentiellement contaminée... Je fais alors très attention.
Il semble qu’il y aura, un jour, un lecteur de CO2 dans ma classe. Ah! Je respire mieux maintenant. Je saurai enfin à quel moment je dois ouvrir ma fenêtre. Fenêtre qui ouvre de quelques centimètres afin d’éviter qu’un élève se tire en bas du troisième étage. Mais plusieurs de mes collègues n’ont pas de fenêtres dans leurs locaux. Bof! Ils n’auront qu’à souffler dans un sac de papier brun afin de calmer leur crise d’anxiété.
Je verrai 90 élèves dans ma journée. Ces derniers partageant parfois des cours avec d’autres élèves, selon les options. Je changerai aussi de local à quelques reprises. Des locaux occupés par d’autres enseignants avec d’autres groupes pendant des périodes de 75 min.
À 12 h 5, je pourrai retourner à mon bureau pour dîner.
Je vais tout de même faire un détour par la cafétéria de l’école. J’ai hâte de voir les sourires de plusieurs centaines d’élèves lorsqu’ils pourront mordre dans leurs sandwichs.
Mes salutations ici aux restaurateurs de la province.
Je penserai à vous.
- Depuis quelques années, lors de la rentrée scolaire, des centaines de postes d’enseignant à temps plein ne sont pas pourvus. Plus de 4300 profs ont été embauchés en vertu d’une tolérance d’engagement. À ce nombre, il faut ajouter près de 26 000 profs qui n’ont aucune autorisation légale d’enseigner.
- En Outaouais, à l’automne 2020, les parents ayant au moins un DEC recevaient un appel à l’aide de la part de leur centre de services scolaire (CSS). Un récent diplômé du secondaire avait même été embauché pour enseigner une matière à sanction. Au même moment, le CSS de Portneuf recherchait des candidats ayant au moins un DES en vue de combler ses besoins en suppléance.
Merci à François-Xavier Darisse pour le partage de cet extrait.