Le Tournoi pee-wee de Québec, là où la légende de Guy Lafleur est née
Le Tournoi est en deuil de son plus grand ambassadeur
Jessica Lapinski
Il faisait tempête quand l’équipe de Rockland a pris la route vers le Colisée, le 25 février 1962. Dans la neige, il aura fallu quelque 12 heures à la formation pour parcourir les 400 km qui la séparaient de Québec et du Tournoi international pee-wee, où l’un des leurs allait écrire la prémisse de sa légendaire carrière.
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«Guy Lafleur a toujours dit : ma carrière a commencé avec le Tournoi pee-wee», raconte le directeur général Patrick Dom.
L’événement, qui s’ouvrait hier après une année de pause forcée en raison de la pandémie, pleure désormais son plus grand ambassadeur.
Car si Lafleur a toujours reconnu que sa carrière avait débuté chez les pee-wee à Québec, dans l’œil du public, le tournoi est en partie né avec le passage du Démon blond.
Pas de pee-wee à Thurso
Entre 1962 et 1964, le Lafleur aura fait la pluie et le beau temps sur la glace du Colisée. Il n’a que 10 ans lorsqu’il s’y présente pour la première fois. Pourtant, deux semaines plus tôt, rien ne laisse présager que le jeune attaquant va faire le déplacement jusqu’à Québec.
À l’époque, Thurso, ville d’origine de «Flower», ne compte pas d’équipe pee-wee, rappelle Jean-Marc Lalonde, qui aura été son premier entraîneur au tournoi.
C’est lui qui repère Lafleur lors d’une compétition de la catégorie moustique – aujourd’hui appelée «atome» – de l’autre côté de la rivière des Outaouais, à Clarence-Rockland.
19 buts en un match
Soixante ans plus tard, M. Lalonde est encore pas mal fier de son coup. Mais sans vouloir enlever quoi que ce soit au flair du passionné de hockey, il faut dire que le talent de Lafleur est dur à manquer. En cinq matchs dans le tournoi, il inscrit pas moins de 45 buts !
«Dont 19 contre Lake Placid» se souvient M. Lalonde, aujourd’hui âgé de 86 ans.
Tout au long de l’événement, l’entraîneur suit avec attention les prouesses du prodige de Thurso. Ce qu’il voit l’impressionne tellement qu’il appelle le ministre fédéral du Sport mineur, Jay Monteith, afin qu’il assiste à la finale. C’est d’ailleurs lui qui remettra le trophée de champions à Lafleur.
«Après la partie, je suis allé au restaurant. Il y avait deux agents de la police provinciale de l’Ontario qui avaient vu Guy jouer. Ils savaient que mon équipe allait à Québec. Ils m’ont dit : “Jean-Marc, ça te ferait un bon joueur!”», se remémore M. Lalonde.
En traîneau sur le lac
Il n’en fallait pas plus pour que l’entraîneur passe un coup de fil à Réjean Lafleur afin de lui demander si son fils pouvait se joindre à la formation de Rockland pour le Tournoi pee-wee.
La réponse ne tarde pas et pendant les deux semaines suivantes, le jeune Lafleur fait fréquemment le voyage entre Thurso et Rockland afin de s’entraîner avec sa nouvelle formation. Mais à l’époque, il n’y a pas de pont de glace qui relie les deux municipalités.
«Sa mère l’emmenait en ski à la moitié de la rivière et moi, j’avais deux gars qui ramassaient Guy pour l’emmener en traîneau jusqu’en Ontario», précise l’entraîneur.
«L’athlète du futur»
Quand la formation de Rockland arrive à Québec après 12 heures de route dans la tempête, il est 2 h du matin. À cette heure aussi tardive, les familles d’accueil ont toutes quitté le lieu de rencontre.
L’équipe doit donc passer la nuit à l’hôtel Saint-Roch, dans le quartier du même nom. Mais le long voyage et le changement de plan n’ont aucun impact sur le jeu de Guy Lafleur. Et ce, même s’il a parfois trois ans de moins que ses adversaires.
«La première partie qu’il a jouée contre Beaupré, il a fait trois buts et deux passes, relate Jean-Marc Lalonde. Le lendemain, on a joué contre Charny, et il a fait cinq buts et trois passes!»
M. Lalonde estime d’ailleurs que c’est dans ce deuxième match qu’il a vu naître la légende de Guy Lafleur.
«J’ai réalisé que c’était l’athlète du futur de notre sport national», dit-il.
400 km pour le voir jouer
L’entraîneur n’est pas le seul à constater le talent exceptionnel de sa recrue. Le petit Lafleur fait courir les foules au Colisée.
Son équipe aussi, car après avoir remporté le titre de la classe C, elle déjoue tous les pronostics et rafle le trophée de la classe B, puis celui de la classe A contre Rimouski. Lafleur marque deux fois dans ce duel aux allures pourtant inégales.
«Ça n’arrivait pas dans ces années-là, alors toute l’attention était sur nous», rappelle le capitaine de la formation, Denis Roy.
«On avait eu 14 000 personnes pour la dernière partie, ajoute M. Lalonde. Beaucoup de gens de Rockland étaient montés pour venir au tournoi. Mais il n’y avait plus de place. J’étais allé voir à la porte pour qu’on les laisse rentrer, ils venaient de conduire 400 km!»
Il analysait les matchs
Mais malgré ses prouesses, tant M. Lalonde que M. Roy se souviennent du petit Lafleur comme d’un joueur humble, voire timide.
«Je ne pense pas qu’il était conscient de son talent. Il arrivait, il jouait, il comptait des buts. On gagnait en équipe et on perdait en équipe», précise Denis Roy.
Six décennies plus tard, sa passion pour le hockey marque encore son entraîneur. «Entre les parties qu’on jouait, il regardait les matchs. Je le trouvais toujours assis à la même place, dans deux bancs situés au nord dans le Colisée. Il s’asseyait tout seul et il analysait les rencontres.»
Bénévole de la première heure au Tournoi pee-wee, Ghislain Bérubé se souvient encore du lancer frappé dévastateur du prodige.
«Ce n’était pas un mangeux de puck. Il passait la rondelle, en plus de son lancer frappé effrayant. C’était un gros travaillant», explique-t-il.
Après son couronnement avec Rockland, Guy Lafleur reviendra à Québec en 1963 et en 1964, cette fois avec une équipe de Thurso dirigée par le frère Léo Jacques et Jean-Paul Meloche.
«Le meilleur en 60 ans»
En trois tournois, il récolte 48 buts, trois titres de la classe C et se voit décerner deux fois le trophée Red-Storey, remis au joueur le plus spectaculaire.
«Il y a 2000 joueurs pee-wee par année et c’est le meilleur que j’aie vu en 60 ans, souligne M. Bérubé. Il a joué trois ans, il a eu trois championnats. C’était une merveille de la nature. Il y a des gars qui l’ont joué quatre fois et qui n’ont jamais rien gagné.»
Encore conquises des années plus tard
Guy Lafleur a fait courir les foules dès sa première participation au Tournoi pee-wee, et rien n’avait changé quand il y revenait plusieurs années plus tard.
Denis Roy, capitaine de la formation de Rockland en 1962, se souvient très bien des autographes que ses coéquipiers et lui signaient à des partisans conquis par la jeune équipe.
«On récoltait le succès de Guy, sourit-il. On était de petites vedettes du Tournoi et tout le monde cherchait notre signature.»
Ils ne parlaient pas anglais
Pourtant, rares étaient ceux qui savaient qui étaient ces petits gars de l’Ontario quand ils sont arrivés à Québec. Si bien que le Tournoi les avait placés dans des familles d’accueil anglophones.
Mais le hic, dit M. Roy, c’est que les joueurs ne parlaient pas un mot d’anglais...
«Ils ont été très gentils avec nous, ils nous ont fait visiter la ville, ils nous ont emmenés au Château Frontenac, mais on ne pouvait pas communiquer beaucoup!» raconte-t-il.
Quand Denis Roy parle de ses années pee-wee aux côtés de Lafleur, qu’il aura côtoyé sur la glace jusque dans les rangs juniors, sa gorge se noue d’émotion.
«À 9 ans, ç’a été mon grand voyage. Ç’a été vraiment des années formidables, surtout que j’ai eu la chance d’y aller trois années de suite. C’était le début de mon rêve.»
Disponible et généreux
Après son passage sensationnel au Tournoi pee-wee entre 1962 et 1964, Lafleur y est retourné plusieurs fois comme invité.
«Il a toujours été disponible, mentionne le directeur général, Patrick Dom. Quand on lui demandait de venir, il était toujours généreux.»
«Il prenait toujours le temps de parler avec des jeunes pour leur dire à quel point c’était important, ce qu’eux allaient vivre dans les prochains jours.»
M. Dom savait aussi que chaque fois que le Démon blond était de l’événement, sa présence éclipserait celle de tous les autres anciens joueurs.
«Sans dire qu’on avait peur, on craignait pour la personne qui signerait des autographes à côté de lui, parce que c’était sûr que la file serait plus longue pour Guy Lafleur. C’est la même chose quand il faisait une mise au jeu officielle : c’était sûr que c’était toujours lui qui était le plus acclamé!» dit-il.
Le grand manitou du Tournoi a été marqué par la gentillesse, la générosité et l’humilité de celui qu’il qualifie «d’icône».
«Il savait très bien qu’il était l’idole d’un peuple, mais jamais il ne s’en vantait. Quand il est venu en 2019, tout le monde voulait le voir, lui parler, prendre une photo avec lui.»
«Les gens lui racontaient des histoires : “Te rappelles-tu quand tu as marqué un but en telle année contre tel gardien ?” Il se souvenait de tout. Il parlait avec tout le monde, ça ne le dérangeait jamais.»
Le grand retour des pee-wee
Après une année d’absence et son report au mois de mai en raison de la pandémie, le Tournoi pee-wee de Québec s’ouvrait finalement hier au Pavillon de la jeunesse.
Afin d’honorer la mémoire de Guy Lafleur, tous les joueurs porteront sur leur casque le numéro 10 de l’ancien attaquant
Il n’a jamais oublié d’où il venait
Jean-Marc Lalonde n’oubliera jamais cet appel. L’ancien entraîneur, devenu par la suite député, se trouve dans sa chambre d’hôpital. Quelques jours plus tôt, il a subi une intervention chirurgicale au cœur.
Au bout du fil, c’est Guy Lafleur. On est au début de 2021, le légendaire attaquant est encore à ce moment en rémission de son cancer. Il souhaite prendre quelques minutes pour obtenir des nouvelles de son ami.
«J’étais vraiment surpris, raconte M. Lalonde. On ne s’attend pas à recevoir un appel de Guy Lafleur à l’hôpital!»
M. Lalonde était surpris, pourtant, son jeune protégé devenu au fil des ans la grande vedette du hockey québécois n’a jamais semblé oublier les gens qui l’ont appuyé à ses débuts.
À l’école en hélicoptère
Même des années après avoir porté l’uniforme de Rockland au Tournoi pee-wee, le Démon blond continuait à multiplier les visites dans la municipalité ontarienne.
Il y était en 1979, alors qu’il était pourtant à l’apogée de sa gloire avec le Canadien, pour des retrouvailles entre les vainqueurs de l’édition 1962 du Tournoi pee-wee. La Ville de Rockland avait décrété que le 21 juin était «la journée Guy Lafleur», explique M. Lalonde.
«On avait fait venir tous les joueurs. J’avais de la difficulté à rejoindre Michel Labelle, alors j’avais mis la police à sa recherche, rigole-t-il. Et c’est ben certain que Guy était là.»
En 2015, son ancien entraîneur l’avait invité à rencontrer les élèves d’une école. Lafleur est arrivé à bord de son hélicoptère, raconte-t-il.
«Il avait pris les arrangements avec la ville. Il a atterri dans la cour d’école et il a rencontré 675 jeunes de l’école Sainte-Trinité, ainsi que leurs professeurs et la direction.»
Un dieu à Rockland
Cinq ans plus tard, à la demande de M. Lalonde, Lafleur allait discuter avec trois jeunes hockeyeurs du coin, qui venaient d’être repêchés dans la Ligue junior de l’Ontario.
«Ici à Rockland, Guy, c’est un dieu. Tout le monde le connaît. J’ai d’ailleurs parlé au maire [il y a quelques jours] pour qu’il ait sa statue dans la ville.»
Une histoire d’amour
Patrick Dom, directeur général du Tournoi pee-wee, rappelle pour sa part que « Flower » savait très bien qu’il devait en grande partie sa carrière à son passage à l’événement.
«Il venait d’une place où personne n’était connu. À sa dernière année, les As de Québec lui ont demandé s’il pouvait rester à Québec, mais son père trouvait qu’il était un peu trop jeune. Il est revenu à 15 ans, donc pas très longtemps après», pointe-t-il.
«Quand Guy parlait de sa carrière, et ça on l’a toujours apprécié, il mentionnait toujours le Tournoi pee-wee. Même quand il a été intronisé au Temple de la renommée. C’est une histoire d’amour entre la ville de Québec et lui, qui part de sa première participation au Tournoi à sa dernière année avec les Remparts.»
Le 62e Tournoi pee-wee
◆ Du 1er au 15 mai
- 130 équipes
- 13 pays participants
Horaire
◆ Du 1er au 8 mai
- AA-Élites, AA et A
◆ Du 9 au 15 mai
- AAA, BB et Scolaire
Des entraîneurs et entraîneuse connus
- Arron Asham – Islanders de New York
- Simon Gagné – Remparts de Québec
- Brian Mullen – Rangers de New York
- Caroline Ouellette – Équipe Québec féminin
- Jason Pominville – Canadien de Montréal
- Wayne Primeau – Majors de Markham