La nouvelle loi 101 menacerait des emplois au Québec
Des entreprises pourraient délocaliser leurs activités en raison des pratiques de l’Office québécois de la langue française

Patrick Bellerose | Bureau parlementaire
Des patrons refusent de se plier à la nouvelle loi 101, laquelle exige qu’ils s’impliquent eux-mêmes dans la francisation de leur entreprise, et menacent de déménager des emplois, voire l’ensemble de leurs activités, à l’extérieur du Québec.
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GP Conceptal et le fabricant d’équipement industriel pour boulangeries Rexfab contestent devant la Cour supérieure une disposition de la nouvelle loi 101 qui oblige désormais un membre de la direction à être impliqué directement auprès de l’Office québécois de la langue française (OQLF) dans le processus de francisation de l’entreprise.
Elles sont appuyées dans leurs démarches par le géant de l’affichage extérieur BroadSign Canada et la firme d’avocats en immigration GoToCanada.
Auparavant, ces trois entreprises (comme plusieurs autres) confiaient leur processus de francisation à GP Conceptal, une petite firme de Saint-Lazare dirigée par Chantal Larouche.
Afin de contourner la nouvelle disposition, une vingtaine de clients de GP Conceptal ont d’abord nommé Mme Larouche «directrice de la francisation» de leur entreprise.
Mais le petit tour de passe-passe n’a pas trompé l’OQLF, qui refuse de répondre à Mme Larouche.
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Incapables d’opérer
Le 17 mars dernier, la Cour supérieure a rejeté une demande d’injonction en attendant une décision sur le fond.

Rexfab plaidait que, sans l’aide d’un consultant, son entreprise pourrait se voir obligée d’embaucher des unilingues francophones pour des postes où elle juge la maîtrise de l’anglais essentielle.
Cette mesure pourrait l’obliger à délocaliser aux États-Unis une vingtaine de ses 85 employés, affirme le propriétaire de Rexfab.
La firme d’avocats en immigration GoToCanada «exprime les mêmes préoccupations», écrit la juge Katheryne A. Desfossés.
BroadSign Canada, qui emploie entre 100 et 250 personnes au Québec selon le Registre des entreprises, va plus loin. Sans l’assistance de GP Conceptal, «l’entreprise ne pourra poursuivre ses activités au Québec», a-t-elle déclaré au tribunal.
Ces deux dernières n’ont pas rendu nos appels.
«Exode silencieux»
Selon le lobbyiste de GP Conceptal, Denis Villeneuve, deux compagnies ont déjà délocalisé des emplois en raison de la réforme de la loi 101.
«Les entreprises ont le choix. Elles peuvent mettre à pied une bonne partie de leur effectif québécois pour engager des télétravailleurs en Ontario et ailleurs dans le monde. Certains des clients de GP Conceptal ont commencé à le faire, affirme-t-il, tout en refusant de nommer ceux-ci. C’est un exode silencieux de sièges sociaux et d’entreprises internationales.»
L’Office de la langue jugé trop rigide
Le propriétaire de Rexfab, Pierre Meunier, assure qu’il souhaite se conformer à la loi 101. Mais il demande de la flexibilité dans son application, afin de ne pas être désavantagé face à ses compétiteurs.
«Si j’ai un problème de fiscalité, je vais consulter un fiscaliste. Si j’ai un problème de francisation [...] j’engage une consultante qui est spécialisée pour les programmes de francisation», fait-il valoir en entrevue.
En tant que patron d’une PME, il affirme n’avoir ni l’expertise ni le temps à consacrer à ce processus qui peut prendre «plusieurs semaines, plusieurs mois».
Le recours à une spécialiste pourrait aussi lui permettre d’obtenir des accommodements prévus à la loi dont il aurait ignoré l’existence autrement.
Puisque 80 % de ses activités sont liés au marché américain, M. Meunier réclame une dérogation afin de ne pas avoir à traduire l’ensemble des documents qui passent par ses bureaux de Sherbrooke. Un tel processus serait «lent et onéreux», plaide-t-il.
Son but, dit-il, est d’obtenir une entente «gagnant-gagnant» avec l’Office québécois de la langue française (OQLF).
En français, même aux États-Unis
Pour Denis Villeneuve, lobbyiste pour GP Conceptal, la décision de l’OQLF de ne pas répondre à Mme Larouche a déjà eu des conséquences néfastes pour deux autres entreprises, Smooch Technologies (Zendesk) et Groupe Gorilla, qui se sont retrouvées sur la liste des entreprises non conformes de l’OQLF.
«À partir du moment où la loi 96 a été mise en application, [l’OQLF] ne s’est adressé qu’aux hauts dirigeants de l’entreprise, qui sont aux États-Unis, en français. Eux ne comprenaient pas c’était quoi. Ils n’ont pas transmis les documents et ils se sont retrouvés en contravention à la charte», raconte-t-il.
Décision accueillie favorablement
Au bureau du ministre de la Justice, on accueille «favorablement la décision rendue par la Cour supérieure» à cette étape préliminaire.
«Les dirigeants d’entreprise doivent pouvoir parler français au Québec. Il s’agit d’une question de respect», écrit l’attachée de presse de Simon Jolin-Barrette.
Quelques mesures de la nouvelle loi 101
◆ Les entreprises de 25 à 49 employés devront y souscrire d’ici le 1er juin 2025
◆ Celles de compétence fédérale de 50 personnes et plus doivent dès maintenant s’y soumettre
◆ L’entreprise inscrite auprès de l’Office québécois de la langue française «ne peut être représentée auprès de celui-ci que par un membre de sa direction»
◆ Prendre les moyens raisonnables pour éviter d’exiger une autre langue que le français
◆ Respecter le droit des travailleurs d’exercer leurs activités en français