La musique en 2019: 15 albums marquants
André Péloquin
Cette année, j’ai eu la chance d’écouter grosso modo des centaines de disques pour en recenser plus ou moins 250 dans ces pages au gré des semaines. Fin d’année oblige, on ferme les comptes en revenant sur les 15 albums qui m’ont le plus interpellé au fil des mois. Bonne fin d’année et, surtout, bonne écoute !
Billie Eilish
When We All Fall Asleep, Where Do We Go? ★★★★
Sensation pop de l’année, Billie Eilish faisait face à des attentes incommensurables à l’approche de la parution de ce premier LP à l’effervescence bouillonnante. Si l’interrogation coiffant l’œuvre est libre à toutes interprétations, la réponse à la question à 100 $ – est-ce à la hauteur ? – est sans équivoque : oui. Sans être une révolution – les amateurs de Bat For Lashes, voire de Klô Pelgag, seront en terrain connu –, Billie Eilish propose une pop très champ gauche, sombre et expérimentale, tout en demeurant étrangement accessible. Et tout cela dès son premier LP !
CORRIDOR
Junior ★★★★1/2
Parmi les maisons de disques les plus respectées, on retrouve Sub Pop qui a notamment contribué à la montée du grunge pour avoir épaulé Nirvana à ses débuts. S’ajoutait cette année Corridor, premier groupe rock québécois francophone à rejoindre ses rangs avec Junior, un troisième album à la croisée des chemins entre l’urgence et l’expérience. Enregistré en un mois et demi, Junior s’inscrit dans la présente vague de rock garage mi-graveleux, mi-éthéré, sans toutefois singer la compétition. Bref, les astres s’alignent et, bien malgré le quatuor, projettent une lueur d’espoir sur une scène rock alternative locale boudée par les médias depuis la montée – justifiée, on s’entend – du rap dit keb’.
JENNY LEWIS
On The Line ★★★★
L’album de rupture est quasi un passage obligé, mais rares sont les artistes qui le livrent avec autant de brio que l’auteure-compositrice-interprète rock folk Jenny Lewis qui revient ici à la charge cinq ans après The Voyager (2014), son troisième LP solo. Aussi vulnérable que forte, On The Line est riche en constats, musiques, collaborations (de Ringo Star à Beck... ainsi que le tristement célèbre Ryan Adams) et – surtout – en textes trash, imagés et poétiques à souhait. Ça se lit et ça s’écoute bien même ! Sûrement le meilleur disque en carrière de la chanteuse.
Les Sœurs Boulay
La mort des étoiles ★★★★
Dire que La mort des étoiles était attendu tient de l’euphémisme. Idem pour les attentes l’entourant, d’ailleurs. Si le tandem s’est tout d’abord fait connaître par ses mélodies aux harmonies relevées, puis surtout par son talent pour découper le quotidien amoureux au scalpel, Mélanie et Stéphanie Boulay épatent ici en se frottant à des sujets plus sombres et universels – une certaine fin du monde, mettons – tout en évitant les écueils du prêchi-prêcha ou du surdimensionné.
Lizzo
Cuz I Love You (deluxe edition) ★★★★1/2
La chanteuse et rappeuse captive les États-Unis depuis avril avec la parution de Cuz I Love You, un troisième album qui lui permettait finalement de rejoindre le grand public. Lizzo se distingue maintenant aux quatre coins du globe depuis le dévoilement des détails de l’édition 2020 des Grammy la semaine dernière (où l’artiste domine du côté des nominations). Et avec raison : son mariage de soul et de rap arrive à son apogée sur Cuz I Love You. Pour celles et ceux qui n’ont pas encore tenté l’expérience : allez-y !
Maybe Watson
Enter The Dance ★★★★1/2
Maybe Watson livre un nouvel album solo complet (doublé d’une websérie), huit ans après une carte de visite homonyme. À mi-chemin entre les mouvances actuelles plus trap et un son plus old school, disons, l’artiste y va de rimes douces-amères (ou drôles-sombres, si vous préférez) et – qui plus est – denses. Enter The Dance livre, au fil des écoutes, des interprétations des textes délicieusement étriqués de Watson, justement. Soyez patient(e)s !
LES COWBOYS FRINGANTS
Les antipodes ★★★★
Bien que d’autres projets s’appliquent à la même formule, rares sont les artistes qui tissent également un fil d’Ariane aussi solide entre leurs pièces. Là où plusieurs groupes assèneraient tout un coup du lapin aux mélomanes (une chanson affligée puis *BAM !* une toune joyeuse puis *POW !* un slow déchirant, etc.), les Cowboys Fringants – eux – amènent sans heurt leur convoi à destination. Musicalement parlant, c’est somptueux, festif, ambitieux, mais aussi délicieusement triste. Du grand Cowboys ! D’accord, consacrer Les antipodes comme le zénith du projet serait un exercice cruel (et lourd en plaintes dans ma boîte de courriels), mais entendons-nous qu’il figure au moins parmi les meilleurs du quatuor!
Leonard Cohen
Thanks for the Dance ★★★★1/2
À l’instar de 2Pac, notamment, Leonard Cohen demeure productif via l’au-delà avec ce deuxième album posthume piloté et achevé par son fils, Adam, et un entourage de choix (dont Javier Mas, musicien qui accompagnait le défunt en concert depuis belle lurette, tout comme Beck, Patrick Watson et Richard Reed Parry d’Arcade Fire). Non seulement la voix fatiguée du grand monsieur rend l’œuvre encore plus auguste, mais les instrumentations riches de Thanks for the Dance en font un des disques les plus intéressants du dernier pan de carrière de Cohen. Chapeau bas !
Menoncle Jason
La grosse piastre ★★★1/2
Trois choses que j’aime dans la vie : 1, le rire de ma fille ; 2, la vidéo YouTube où un chien se coince la tête dans une tranche de pain (oui, oui) et 3, avoir de nouveaux artistes favoris du moment. C’est donc avec un plaisir quasi honteux – c’est son deuxième album, après tout – que je découvre ici Menoncle Jason, crooner du Nouveau-Brunswick qui fait dans le lounge country. Imaginez un croisement entre les textes sincères de Lisa LeBlanc et la voix d’Orville Peck avec une touche d’humour et vous aurez une bonne idée du projet. Ne vous laissez pas berner par le nom un brin « pouet, pouet » de l’artiste (mes excuses, mais bon). C’est très, très satisfaisant !
Philemon Cimon
Pays ★★★★
Trop longtemps ai-je redouté cet album paru à la fin du mois de mai. Peut-être parce le modus operandi de l’auteur-compositeur-interprète – crinquez le spleen à onze, en gros – ne s’alignait pas avec mes chakras d’alors. Ceci étant dit, Pays est un chef-d’œuvre folk (et ça vient d’un type qui n’est pas un inconditionnel de Cimon). Si vous cherchez des références, imaginez un combo alliant la retenue de Safia Nolin et l’errance de Mount Eerie (le déchirant A Crow Looked at Me vient étrangement en tête) puis laissez-vous porter par la vague.
Sara Dufour
Sara Dufour ★★★★
À la parution de son premier LP, en 2016, je disais que Sara Dufour était un brin trop fleur bleue à mon goût et, surtout, à surveiller. Des années plus tard, je réitère que l’auteure-compositrice-interprète folk country commande l’attention et dépasse les attentes avec cet album homonyme plus sérieux (mais pas tant lorsqu’on considère des pièces comme Baseball) et encore plus sincère, autant sur le plan du chant que de la réalisation. À titre de référence : les fans de Fred Fortin, voire de Lisa LeBlanc, vont adorer.
Solange
When I Get Home ★★★★
Après s’être finalement défait du titre de « la sœur de », Solange poursuit sa démarche RnB délicieusement champ gauche avec un quatrième album exigeant (autant pour l’artiste que pour ses auditeurs). Si vous aimez déjà la chanteuse, foncez. Pour les autres mélomanes, remontez peut-être jusqu’à True (2012) avant de vous lancer. Seul bémol (qui n’en est pas vraiment un en fin de compte) : sans nécessairement être une suite à A Seat At The Table (2016), When I Get Home a plusieurs atomes crochus (les thématiques abordées, les références jazz et rap houstonien, etc.) et ne profite donc pas de l’effet de surprise de cette œuvre précédente. Il s’apprécie donc davantage au fil des écoutes.
Pierre Lapointe
Pour déjouer l’ennui ★★★★1/2
Tout d’abord, une confession : j’adore Pierre Lapointe pour ses coups de gueule, sa curiosité, son ambition, ses influences et j’en passe. Côté musique ? Ça opère moins ces jours-ci (mes excuses). Et, pourtant, petit miracle en 2019 : après avoir été déçu par Ton corps est déjà froid, l’iconoclaste pop me séduit à nouveau avec un huitième LP aigre-doux doté d’un savant dosage entre le minimalisme, la quiétude et la vulnérabilité. Les fans de ses albums Paris tristesse et Seul au piano apprécieront tout particulièrement. Idéal pour le temps morne, donc.
PUP
Morbid Stuff ★★★★
Contrairement à Weezer ou Star Wars, ce n’est pas avec sa seconde œuvre que Pup sombrera, mais bien avec la suivante. Vous l’aurez deviné, le titre du troisième album du combo punk pop canadien n’est pas très original. Au programme : idées sombres, dépression, un penchant probant pour la bouteille et – cerise sur le sundae – pensées suicidaires. Si cette fournée de textes du chanteur Stefan Babcock est inquiétante à souhait, les musiques – elles – sont toujours aussi hymniques. Comme un coup dans le ventre, mais pour les tympans.
Sarahmée
Irreversible ★★★★
C’est avec la mâchoire au sol et la dopamine dans le proverbial tapis qu’on se sort de la première écoute de l’artiste locale... et le plaisir croît avec l’usage, si vous me permettez la formule éculée. Sur ce LP, la chanteuse et rappeuse s’impose avec un flow explosif, des rimes qui épatent et des rythmiques aussi pop que « world » (moombathom, cumbia et j’en passe). Loin d’être une nouvelle venue dans le milieu, Sarahmée semble toutefois tenir « ze » album qui la consacrera auprès du grand public d’un océan à l’autre et, surtout, d’ailleurs.