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La guerre en Ukraine, un désastre tactique pour l’armée russe

Vladimir Poutine lors de la parade du 9 mai
Vladimir Poutine lors de la parade du 9 mai AFP
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Photo portrait de Gabriel  Ouimet

Gabriel Ouimet

2022-06-01T14:50:00Z
2022-06-01T14:53:10Z
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Le 3 juin marquait le 100e jour de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine et un constat demeure, malgré les percées russes dans l’est du pays: l’armée de Vladimir Poutine peine à atteindre certains de ses objectifs fondamentaux, notamment en raison de techniques désuètes héritées de l’époque soviétique.

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Après des semaines de bombardements intensifs, l’armée russe contrôle désormais une partie importante de Severodonestk, une ville stratégique de 100 000 habitants dans la région du Donbass. 

Une avancée qui a des allures de consolation pour Moscou, puisque les dirigeants russes semblaient initialement s’attendre à une victoire rapide qui n’est jamais venue, rappelle Éric Ouellet, professeur spécialisé en commandement militaire stratégique et en prise de décision au Collège des Forces canadiennes. 

«Dès le début du conflit, les dirigeants ont fait des erreurs d’analyse assez importantes. Ils s’attendaient à une victoire éclair et ils ont été gourmands en voulant s’emparer de l’ensemble de l’Ukraine, mais leurs troupes étaient vraiment insuffisantes pour occuper un pays de cette taille», analyse-t-il. 

Et même après avoir revu ses objectifs à la baisse en se concentrant sur le contrôle de l’est de l’Ukraine, l’armée russe a continué de connaître des déboires. 

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Des soldats utilisés comme «chair à canon»  

En plus d’avoir déployé trop peu de troupes, les dirigeants russes ont carrément sacrifié une partie des soldats à leur disposition en s’en servant comme de «chair à canon», soutient le professeur Ouellet. 

«C’est une tactique utilisée par les Soviétiques, pendant la Deuxième Guerre mondiale: ils envoient leurs unités les moins fortes à l’assaut dans le but d’épuiser l’ennemi. Une fois l’ennemi épuisé, ils envoient leurs meilleures unités. Mais pour employer une telle stratégie, il faut avoir des forces massives. Or, ils n’ont pas les centaines de milliers de soldats en réserve pour être capables de mener de telles opérations avec succès», soutient-il. 

L’armée russe aurait perdu plus de 30 000 soldats depuis le début de l’invasion le 24 février dernier, selon les services de renseignement ukrainien. 

Une photo de ce qui serait le corps d'un soldat russe tué en Ukraine.
Une photo de ce qui serait le corps d'un soldat russe tué en Ukraine. AFP

Des véhicules lourds laissés à eux-mêmes  

Les forces russes ont également subi de nombreuses embuscades qui leur ont coûté cher en matériel, surtout en véhicules lourds. Jusqu’à récemment, les blindés et autres véhicules de combat russes semblaient avancer rapidement en territoire ennemi, sans soutien d’infanterie. Une grave erreur, note Éric Ouellet. 

«Il doit y avoir une symbiose entre les différentes forces, c’est bien connu depuis la Deuxième Guerre mondiale. Si un escadron de chars détecte des ennemis armés de missiles antichars, ils envoient l’infanterie pour neutraliser la menace. Une fois que le chemin est libre, les tanks peuvent avancer. Sinon, ils deviennent vulnérables. Les bataillons russes ne l’ont pas fait, et ils ont perdu énormément de véhicules pour cette raison», détaille-t-il.

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Des détails techniques de fabrication, notamment la disposition des munitions dans certains des meilleurs tanks russes, font aussi en sorte qu’ils ont été particulièrement vulnérables aux attaques ukrainiennes. 

Un tank russe détruit et abandonné en Ukraine.
Un tank russe détruit et abandonné en Ukraine. AFP

Oryx, un blogue sur l'armée et le renseignement qui comptabilise les pertes russes en Ukraine sur la base de photographies envoyées de la zone de guerre, rapportait que la Russie avait perdu plus de 664 tanks et environ 3000 autres véhicules blindés en date du 13 mai dernier. Les services de renseignement américains estiment quant à eux les pertes à plus de 1000 tanks. 

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Une chaîne de commandement déficiente  

«Quand un problème survient sur le terrain, l’armée russe tarde à s’adapter, parce que la prise de décision est très centralisée. Les soldats doivent demander la permission avant de réagir et elle doit être accordée à un très haut niveau. Le temps que l’ordre revienne, la situation sur le terrain a [pu] changer ou [...] dégénérer», explique Éric Ouellet. 

Cela fait en sorte qu’une fois empêtrées dans une situation dangereuse, les forces russes ne peuvent pas en sortir aussi rapidement qu’elles le voudraient. 

Au début du mois de mai, deux bataillons russes constitués d’une centaine de véhicules et de plus de 1000 hommes ont tenté d’installer des ponts flottants pour traverser la rivière Donetsk, dans la région du Donbass. Exposées aux tirs de l’artillerie ukrainienne, les troupes russes y ont subi une humiliation. Elles y ont perdu plusieurs hommes et environ 75 véhicules militaires.

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Dans une telle situation, les armées occidentales font preuve d’assez de souplesse pour que les soldats et officiers sur le terrain puissent s’adapter, soutient M. Ouellet. Ce n’est pas le cas avec l’armée russe. 

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Logistique rouillée, véhicules abandonnés  

Le 3 mars dernier, les services de renseignement occidentaux annonçaient qu’un énorme convoi russe constitué de plusieurs centaines de véhicules militaires et long de 64 km s’était immobilisé à 30 km de Kyïv, en raison de nombreux problèmes logistiques – notamment un manque de carburant – et de crevaisons.

Un Ukrainien se prenant en photo devant un tank russe abandonné.
Un Ukrainien se prenant en photo devant un tank russe abandonné. AFP

 Les soldats russes ont été plusieurs fois contraints d'abandonner leurs véhicules dans un contexte semblable depuis le début de l’opération en sol ukrainien, poursuit M. Ouellet.

À la mi-mai, le blogue Oryx estimait que plus de 336 camions et véhicule russes, ainsi que 283 tanks, avaient été abandonnés ou capturés en Ukraine. 

Des soldats inexpérimentés et démotivés  

Vladimir Poutine a fait appel à de nombreux conscrits pour envahir l’Ukraine. Or ces soldats, en plus de ne pas être aussi motivés que les volontaires, sont très peu entraînés avant d’être envoyés au combat. Cela nuirait à la cohésion au sein des différents bataillons et limiterait leur capacité à atteindre des objectifs simples, soutient M. Ouellet. 

Vladimir Poutine
Vladimir Poutine AFP

L’ensemble de ces facteurs ferait en sorte que Vladimir Poutine, au fait des déboires de son armée, s’impliquerait de plus en plus dans les décisions militaires sur le terrain, ce que les analystes occidentaux voient comme une grave erreur pour la suite des choses.

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