La grande contre-attaque ukrainienne prend forme, estiment des experts
AFP
Offensives ciblées en plusieurs points de la ligne de front, frappes dans la profondeur, incursions sur le sol russe : l'armée ukrainienne et ses supplétifs testent crescendo le dispositif défensif de l'adversaire, signe que la grande contre-attaque se rapproche, estiment des experts.
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Le ministère russe de la Défense affirme avoir repoussé avec succès dimanche une « offensive de grande envergure » déclenchée par l'armée ukrainienne dans le Donbass (est).
Les forces ukrainiennes, a assuré un responsable d'occupation russe, ont également attaqué lundi matin les positions russes dans la région méridionale ukrainienne de Zaporijjia.
L'Ukraine, quant à elle, a simplement confirmé mener des « actions offensives » dans certains secteurs du front, continuant d'entretenir le brouillard de la guerre autour de la grande contre-offensive qu'elle prépare depuis des mois. Une opération en vue de laquelle chars et autres blindés, artillerie ou missiles de longue portée occidentaux ont été livrés et une douzaine de nouvelles brigades formées, soit environ 40 000 hommes.
En parallèle, des forces russes pro-ukrainiennes multiplient depuis deux semaines raids et bombardements sur le sol russe, dans la région frontalière de Belgorod.
« L'Ukraine gonfle ainsi artificiellement le kilométrage des zones de contact à surveiller, renforçant les logiques de dilemme imposé », note l'analyste militaire belge Joseph Henrotin, le rédacteur en chef de la revue spécialisée DSI.
« Il n'est pas tant question d'infliger des pertes aux forces russes que de les "faire courir" et d'influer sur leur moral mais aussi sur celui de la population russe, qui voit la guerre s'inviter dans son quotidien », poursuit l'expert.
« Shaping »
Dans la même veine, plusieurs radios russes victimes d'un « piratage », ont diffusé lundi un faux discours du président Vladimir Poutine faisant état d'une « invasion » ukrainienne.
Ces manoeuvres s'ajoutent à de multiples sabotages et frappes dans la profondeur ayant visé ces dernières semaines des noeuds ferroviaires, des centres de commandement ou encore des dépôts de carburant et de munitions russes.
Un ensemble d'opérations qui, de l'avis des experts, participent d'un effort ukrainien de « shaping », un terme militaire anglais qui désigne le « modelage » du champ de bataille, tant au niveau tactique que psychologique, en vue d'établir un rapport de force favorable avant une attaque.
« Une opération offensive qui vise à percer le front et planter le drapeau sur un objectif important est soit lancée par surprise, comme dans le cas de Kharkiv en septembre 2022, soit tout le monde sait que vous allez attaquer donc vous préparez l'opération en façonnant le champ de bataille », estime l'historien militaire français Michel Goya, qui vient de publier avec Jean Lopez « L'ours et le renard - histoire immédiate de la guerre en Ukraine » (éd. Perrin).
La Russie n'est pas en reste. Elle a intensifié ses attaques aériennes sur Kiev ces dernières semaines pour fixer la défense antiaérienne ukrainienne autour de la capitale et pousser les Ukrainiens à consommer ses stocks de missiles.
L'armée russe s'emploie aussi depuis des mois à consolider ses lignes de défense tout le long du front, à coup de tranchées, de mines et de « dents de dragon », ces pyramides de béton censées entraver la progression des chars.
Mystère sur l'endroit
Cette agitation dans les deux camps, ainsi que la mise en place d'un certain nombre de brigades ukrainiennes sur plusieurs zones possible d'attaque pour brouiller les pistes, sont "l'indice d'une opération assez proche", selon Michel Goya.
« Les signes annonciateurs se multiplient », renchérit William Alberque, de l'Institut international pour les études stratégiques (IISS), prédisant que « nous allons probablement voir de plus en plus de forces armées se déployer dans les deux semaines à venir ».
Autre indice, selon l'expert : l'extrême prudence des Ukrainiens sur le plan de la communication.
Dimanche, un clip diffusé par le ministère ukrainien de la Défense montrait des soldats le doigt posé sur la bouche pour rappeler à la population que « les plans aiment le silence », tout en prévenant qu' « il n'y aurait pas d'annonce sur le début » de l'offensive.
Une grande inconnue demeure : l'endroit que choisiront les Ukrainiens pour concentrer une masse de manoeuvre et tenter de percer les lignes russes, dans l'espoir de reconquérir les territoires occupés par Moscou.
Parmi les options possibles figurent la région de Lougansk (est), dans le Donbass, et la région de Zaporijjia, où la prise de Melitopol, une des principales villes du Sud ukrainien occupée par la Russie, permettrait de séparer les forces russes de l'est et du sud.
Mais quel que soit le lieu choisi, « une seule opération ne suffira pas, il faudra d'autres batailles derrière », prédit l'historien Michel Goya.