La fois où je me suis retrouvée à danser dans un club ultra VIP avec Usher habillée comme la chienne à Jacques
Caroline G. Murphy (Le Sac de Chips)
L’histoire remonte à 2016. C’était hier, mais c’était aussi l’époque où on commençait à comprendre que tout s’en allait sur la bum, mais où le monde ne s’était pas encore écroulé sur nous.
Tout tenait avec de la broche.
Y compris ma Honda Fit, dans laquelle je suis montée avec mon copain du temps pour filer vers New York rejoindre une amie qui arrivait de Suisse pour fêter son 30e anniversaire. En passant aux douanes, l’Américain m’avait demandé ce que je faisais dans la vie. Quand j’avais répondu «journaliste», il avait ajouté: «Journalist eh? But what do you do for money?», avant de sourire de toutes ses dents trop blanches en nous tendant nos passeports en riant.
J’avais hâte de revoir Sophie. On s’était rencontrées en 2005. C’est la petite-fille du frère de l’homme avec qui ma grand-mère a passé 20 ans et elle m’avait accueillie chez elle pour quelques jours de repos pendant une longue tournée d’auberges de jeunesse. On disait qu’on était cousines, c’était pas mal plus simple.
Fack ma cousine suisse que j’avais revue deux ou trois fois seulement depuis nos 19 ans avait décidé de venir célébrer son entrée dans la trentaine avec trois amis à New York. En bons Nord-Américains, on a décidé d’aller les rejoindre sur un coup de tête, parce que 500 kilomètres à parcourir, dans le fond, c’est quoi, «eh»? Rien.
On a déposé nos valises dans un hôtel trop cher du Lower East Side, car c’était aussi la longue fin de semaine de Pâques et que le week-end du combo «mort et résurrection» de Jésus-Christ fils de Dieu, ben tout est plein.
La fin de semaine a débuté tranquillement. On s’est tous retrouvés le vendredi pour une tournée des classiques de NYC. Marche, gros building, statue que la majorité des passagers du Titanic n’auront finalement jamais vue, etc.
Le samedi, on est parti en petit groupe chacun de notre côté, avec le plan de se retrouver pour souper. De notre bord, on a traversé à Brooklyn par le Williamsburg bridge pour un après-midi relaxe de printemps. Mon chum s’est acheté un affreux béret et moi des lunettes d’aviateur de type «Carrie Bradshaw essaie de se remettre de son break-up avec Big dans les bleachers du Yankee Stadium». J’ai ramassé Combat Rock de The Clash dans un magasin de vinyles usagés. Lui était particulièrement excité de trouver le White Album. Je lui ai demandé c’était quoi ce record tout blanc avec rien dessus. Mon chum était mortifié.
• À lire aussi: Usher en tête d'affiche de la mi-temps du Super Bowl 2024
• À lire aussi: Jason Derulo sacre une volée à deux gars qui l’ont appelé Usher
On est retourné au soleil avec nos achats. Je portais mes vieux Kickers bruns et lui des souliers de marche. On trainait sûrement une gourde Nalgene. Deux Québécois en escapade à New York. À 15h30, rien ne laissait présager qu’on reviendrait seulement à l’hôtel le lendemain matin, après avoir dansé à côté d’une des plus grosses stars des années 2000.
Vers 19h, on s’est dirigés vers le centre-ville, en retard pour le souper officiel d’anniversaire dans un BBQ coréen. On était une bonne tablée. Les quatre Suisses, nous deux, une amie new-yorkaise d’origine taïwanaise que Sophie avait rencontrée dans un échange et un homme qui est venu nous rejoindre au moment de commander le repas principal. La fêtée nous l’a présenté: «Je l’ai rencontré lors du mariage d’une amie en Suisse il y a quelque temps. On était à la même table. Il a étudié là-bas et il est ici maintenant. Il m’avait dit de le contacter si je passais par New York alors je l’ai invité.» On va l’appeler le Prince pour les besoins de ce texte.
Le souper était sympathique. On échangeait des anecdotes et on riait. Quand la facture est arrivée, parce que oui, les Américains, greatest nation on earth, ne séparent toujours pas les factures, l’ami mystérieux a ramassé le bill.
Alors qu’on se demandait encore ce qui venait de se passer, et pourquoi un homme avec qui la petite-fille du frère du chum de ma grand-mère a passé environ deux heures lors d’un mariage en 2014 venait de payer mon souper, ce dernier a lancé «So, are we going out?»
On s’est tous regardé une demi seconde, mais on savait la réponse. Ben oui, on sort. On a 30 ans. On est à NYC. Qu’est-ce qu'on a d'autres à faire? En se levant, Sophie m’a glissé à l’oreille: «On passe au guichet et on lui paye l’alcool au bar?». Ça m’apparaissait honnête. Un inconnu venait de me payer le souper, j’avais l’intention de lui remettre la pareille. C’est doux des fois la naïveté. C’est rassurant.
On est sorti du resto pour constater qu’une grosse limousine noire nous attendait à l’extérieur. Ce n’était pas la dernière surprise de la soirée. Le prince nous souriait. On est monté à bord.
On savait pas où on s’en allait, mais je pense que c’est exactement à ce moment-là que j’ai décidé de m’en foutre un peu. Destiny's Child jouait dans le char. On est passé devant le Washington Square Park et j’ai eu une petite pensée pour une Meg Ryan de 20 ans, les cheveux plein de spray net qui dépose Billy Crystal pis son bat de baseball devant l’Arc de Triomphe en marbre après une ride d’une traite Chicago-New York. Eux aussi, ils étaient naïfs.
On est débarqué devant un fleuriste à Soho. Fallait-il que le Prince qu’on suivait aveuglément ramasse des fleurs en chemin? Peu importe. On est tous rentrés dans le commerce de trois mètres carrés. Ça sentait bon, mais y’avait pas l’air d’avoir d’employé sur place. Pis là, les portes du fond du magasin se sont ouvertes pour nous laisser passer.
Derrière les portes, un club est apparu sous nos yeux. Un endroit plein de chandeliers pis des lumières de mur mauve (ouin, on était en 2016). Les gens étaient propres, leurs habits brillaient. Leurs cheveux étaient soyeux, leurs bijoux étaient bien dosés.
Mon chum était toujours en corduroy avec son béret en laine et ses souliers de marche. J’avais toujours ma robe en tissus d’oiseaux achetée au Simons des Promenades Saint-Bruno quatre ans avant, des bas de Flashdance par-dessus mes souliers pis nos vinyles dans un gros sac en bandoulière.
Je ne me suis rarement sentie aussi peu à ma place, sauf la fois où je suis entrée par accident dans le garde-robe du premier ministre belge en 2013.
La logique aurait voulu qu’on se fasse refuser l’accès avant même de passer les portes. Mais ce n’était pas ce genre de soirée-là.
On a continué de suivre celui qui allait nous ouvrir toutes les portes. Il disait bonsoir aux gens, offrait poignées de main et tapes sur l’épaule à plusieurs bouncers et serveuse en paillettes. Je ne sais pas combien de billets ont changé de mains. J’avais perdu le compte depuis les premières portes. J’étais étourdie.
Notre petit groupe rapiécé de Taiwan à Montréal, en passant par la Suisse, est passé à travers je ne sais combien de salles de plus en plus impressionnantes pour finir dans un endroit qui nous apparaissait royal. Je regardais partout en arrondissant les yeux. Je cherchais constamment Sophie du regard, mais je pense qu’elle absorbait autant que moi ce qui se passait. On en parlerait plus tard, j’imagine.
La salle dans laquelle on s’est finalement posé était immense. Une piste de danse dans le milieu, des salles privées semi-ouvertes tout autour, d'autres fermées. De la pyrotechnie aussi, partout. On nous a menés dans une des salles. Trois ou quatre membres du staff nous attendaient en souriant. On s’entendait à peine par-dessus la musique. Ils nous ont demandé le genre de drink qu’on aimait. Je pense avoir dit: «Euh, amaretto, gin, euh, vodka, rhum... pis euh, he likes whiskey», en pointant mon chum. Trois minutes plus tard, un cart arrivait avec toutes les bouteilles d'alcool possibles et imaginables. Je pensais avoir donné des suggestions, je ne savais pas que j’ordonnais une liste d’épicerie complète.
À partir de là, tout est devenu un peu flou.
Je me souviens avoir crié à une employée qui n’avait rien demandé que c’était la fête de mon amie et qu’on avait tous fait plusieurs kilomètres pour ce moment-là pis que c’était ben beau la vie dans le fond (...) Un autre trois minutes plus tard, quatre ou cinq personnes sont arrivées avec une pile de cupcakes qui brillaient de mille feux. Où est-ce qu’on était? Pourquoi recevait-on tout ce qu’on demandait?
Pendant qu’on regardait mourir les feux de Bengale dans un monde dans lequel les frontières du possible devenaient de plus en plus confuses, on a senti l'atmosphère changer dans la salle. C’est comme si, tout à coup, tout le monde était devenu plus conscient de comment il dansait. De l’espace qu’on occupait dans l’air. Une petite foule compacte se taillait un chemin à travers la foule.
Le petit tas de monde serré s’en venait vers nous et nos faces qui portaient sûrement encore des traces de glaçage. Pas d'issue possible. On était coincés dans notre linge laid, entre quatre immenses canapés en velours rose (on était en 2016) et les carts de boisson. Le petit groupe est entré dans notre espace privé. Ils se sont tous installés sur le canapé d’à côté.
Tranquillement, la musique est redevenue maître des lieux. Tout a repris son rythme et on a continué de danser.
Mais à côté, tout le monde dansait autour de quelqu’un. Un membre du groupe donnait clairement le rythme. À travers le flou de ma vision, j’ai reconnu sa face. Au même moment, mon chum, dans les vapeurs de whisky, m’a crié à l’oreille «C’TU USHER?».
Oui, c’était Usher. Oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh, oh
Oh my gosh.
Sophie me regardait, les yeux ronds. Elle l’avait reconnu bien avant moi.
Pourquoi Usher dansait à côté de nous? Avec nous, dans notre boot de club?
On ne sait pas trop.
Le prince est allé le saluer. Il avait l’air content de la tournure de la soirée.
On a dansé à côté de l'interprète de Yeah! pendant quelques heures. Quand je l’ai frôlé, je lui ai dit allô d’un mouvement de menton comme si je le connaissais. En route pour les toilettes, j’ai texté mes collègues du Sac de chips sur mon cellulaire collant de vodka. «J danss à côté d’Usher à nisyikl.»
À un moment donné, le Prince nous a dit qu’il s’en allait. Qu’on pouvait rester tant qu’on voulait. Qu’on se reverrait sûrement jamais pis que ça avait été une belle soirée.
Usher est parti avec son entourage au petit matin.
On était encore là. T’as beau pas comprendre ce qui se passe, tu réalises forcément à un point ou un autre qu’une soirée comme ça, ça ne se représentera sûrement pas bientôt. Tu ne veux pas qu’elle finisse.
On a finalement quitté les lieux après le lever du soleil.
On n’était pas allé au guichet. On n’avait pas sorti notre portefeuille. Pis on avait dansé avec Usher.
Le lendemain (ben, plus tard dans la journée), on s’est rejoint dans un café. On n’a pas vraiment parlé.
Après sa première gorgée de café, Sophie a dit: «Donc... hier?»
On a ri en se disant que la trentaine commençait pas pire.