La CDPQ et le retrait de l’investissement pétrolier, un impact minimal sur les GES
Jean-Thomas Bernard
À la fin septembre, le PDG de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), M. Charles Emond, a annoncé le retrait de son institution des investissements dans la production pétrolière d’ici la fin de l'année 2022. Cet engagement fait partie des actions entreprises par la CDPQ pour soutenir la transition énergétique vers une économie mondiale dont les émissions nettes de carbone seraient nulles en l’an 2050.
C’est l’objectif recommandé par l’ONU pour limiter le réchauffement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre (GES) à moins de 2 °C. Même si l’objectif de réduction des émissions de GES reçoit l’approbation de la plupart des nations, il y a quand même lieu d’analyser si l’engagement pris par la CDPQ est approprié pour contribuer à l’objectif visé, qui est la baisse des émissions de GES. C’est l’objet de cet article. Malheureusement, la réponse est négative.
Les investissements de la CDPQ dans la production pétrolière s’élèvent présentement à 4 milliards de dollars, soit 1% de son actif total. Même si cette part est modeste, c’est la responsabilité première de cette caisse de retraite d’évaluer les rendements et les risques de ses placements. Depuis les crises pétrolières de 1973 et 1979, prévoir l’évolution du prix du pétrole est un exercice dont les résultats sont très incertains et les initiatives visant à réduire les émissions de GES en accentuent le degré d’incertitude. Il est tout à fait normal que la CDPQ révise l’allocation de son portefeuille pour prendre en compte ce nouveau contexte.
Cependant, dans ce cas-ci, en plus des considérations de rentabilité, il y a aussi la volonté exprimée de contribuer directement à l’effort collectif de diminution des émissions de GES. Les caisses de retraite sont de plus en plus soumises à des pressions exercées par différents groupes les invitant à retirer leurs investissements dans la production des énergies fossiles qui constituent la principale source des émissions de GES. Ce mouvement à caractère financier est très vaste et il est chapeauté par un organisme relié à l’ONU, soit l’alliance financière pour émission nette zéro à l’an 2050.
Cet organisme est présidé par le Canadien Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, et il inclut 160 entreprises contrôlant 70 000 milliards de dollars d’actifs; leur but est de contribuer, par le financement, à la réalisation de projets contribuant aux objectifs de l’Accord de Paris, qui fut signé en 2015 et qui est présentement mis à jour lors de la rencontre de la COP26 à Glasgow. La CDPQ est donc en bonne compagnie.
Voici la séquence des effets espérés par les promoteurs de ces initiatives financières: la réduction à l’accès au financement pour les producteurs pétroliers ferait augmenter les coûts de production de ces derniers, qui seraient amenés à hausser leurs prix; ces prix accrus seraient incorporés dans les produits finaux (essence, diésel, huile à chauffage, carburant des avions) achetés par les consommateurs, qui seraient ainsi incités à réduire leur usage et à faire appel à des produits moins intensifs en carbone. Il n’y a pas de doute qu’une hausse du coût du financement aurait un impact négatif pour le développement de projets comme l’exploitation des sables bitumineux, qui fournit un des pétroles les plus dispendieux. Est-ce que la même conclusion s’applique à l’ensemble de la production pétrolière à l’échelle mondiale? Il est bon de rappeler que, présentement, 55% de la production mondiale du pétrole provient des pays membres de l’OPEP+. Leur pétrole est extrait par des sociétés d’État qui n’émettent pas d’actions et qui reçoivent leur financement par des prêts ou par des avances de leur gouvernement respectif. Allons-nous construire des murailles autour de ces pays pour assurer qu’aucun dollar additionnel ne se retrouve à leur disposition pour effectuer leurs opérations pétrolières? Le capital financier est très fluide et trouve facilement les failles: une telle stratégie est vouée à l’échec. De plus, elle entraînerait un déplacement de la production pétrolière, des pays où elle est soumise aux conditions de marché ouvert vers les pays où elle est sous le contrôle de l’État; ceci accentuerait un transfert massif de la rente pétrolière vers ces derniers, à savoir, l’Arabie saoudite, la Russie et les autres membres de l’OPEP+.
La création d’obstacles inefficaces visant la production des matières fossiles détourne l’attention de la véritable cause des émissions de GES qui leur sont reliées: il y a émission de GES parce que les consommateurs utilisent les services fournis par les énergies fossiles. Il y a production parce qu’il y a consommation, et ce sont les comportements des consommateurs qui doivent changer, soit par des baisses de consommation, soit par la substitution vers des produits moins intensifs en carbone. L’action que la CDPQ s’apprête à entreprendre peut donner bonne conscience, mais elle ne réduit pas les émissions de GES au Québec.
– Jean-Thomas Bernard, professeur auxiliaire, science économique, Université d’Ottawa