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L'article provient de Le Journal de Montréal
Opinions

La fierté de parler français

Photo Adobe Stock
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Marie-Hélène Forget, Professeure en didactique du français, Université du Québec à Trois-Rivières

14 décembre 2022
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Monsieur Legault,

Lors de votre discours du 1er décembre dernier, vous avez présenté les trois priorités de votre gouvernement: «devenir un Québec plus prospère, plus vert et plus fier». Plus fier, notamment, de parler français. Car le déclin du français vous inquiète, et avec raison. Nous sommes effectivement condamnés au minimum à la vigilance.

Pour y parvenir, vous proposez de contrôler l’immigration. Cette stratégie vous sert bien. Il est évidemment plus facile de rejeter la faute sur l’étranger que de se regarder soi-même. De mon point de vue, votre tactique est non seulement irresponsable du point de vue culturel et social (économique, s’il faut le considérer), mais elle constitue une diversion trompeuse qui mérite un rappel à l’ordre.

Voyez-vous, je forme depuis plus de 10 ans maintenant les futures enseignantes de français du secondaire. L’an dernier, l’une d’entre elles, au retour d’un stage dans sa région d’origine de Lanaudière (tout près de votre circonscription), nous a fait part de son découragement d’avoir constaté combien les élèves avaient perdu leur fierté de parler français: là où, dix ans plus tôt, elle-même et ses collègues de classe avaient été des élèves très fiers de leur langue et désireux de la préserver, voilà que les élèves d’aujourd’hui, de la même école, se demandent pourquoi on ne passe pas tout à l’anglais, plus simple, plus «cool», omniprésent...

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La culture

Savez-vous que depuis un bon moment le cours de français est l’un des moins appréciés des élèves québécois? On dit que l’on protège ce que l’on aime... ça craint. Pour trop d’élèves, la langue est compliquée, les lectures sont lassantes et écrire ne sert qu’à être évalué. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’approche par compétences n’est absolument pas en cause ici. La classe de français sert depuis toujours au développement des compétences en lecture, en écriture et en communication orale. Les connaissances sur la langue et les textes sont bel et bien enseignées. Les enseignantes font leur travail.

Ce qui achoppe, selon moi, c’est qu’on a perdu de vue... la culture. Car il ne suffit pas de connaître l’aspect «technique» d’une langue pour l’aimer, il faut aussi pouvoir la vivre, ce qui passe par la culture.

Imaginons, Monsieur Legault, que vous fassiez preuve d’audace et de vision en donnant le mandat à votre ministre de l’Éducation non pas juste de rénover les écoles, mais aussi (et peut-être surtout) de s’attaquer, enfin, à ce qui entrave l’envie d’apprendre le français. Un tel mandat viserait à repenser les programmes de français du primaire et du secondaire pour qu’on entre dans l’apprentissage de la langue... par la culture. Car, voyez-vous, la langue et la culture sont à la fois le reflet et le moteur l’une de l’autre. Cette entrée par la culture a d’ailleurs été prônée à la suite des États généraux de 1996, mais a ensuite été mise aux oubliettes... on voit où cela nous a menés.

Je m’explique mal pourquoi les classes du primaire ne sont pas truffées d’albums et de romans jeunesse d’autrices et d’auteurs québécois, néo-québécois et autochtones, reconnus d’ailleurs pour leur qualité. Je me demande aussi pourquoi il n’y a pas davantage d’autrices et d’auteurs, de poètes et slameurs, d’artistes de la chanson, de la scène, du théâtre et de l’humour en résidence dans les écoles du Québec. Comment se fait-il qu’aucun artiste parmi les Borduas, Lemoyne, Ferron ou Riopelle, les Manuel Mathieu ou les Frank Polson ne soit connu des jeunes Québécois à la sortie de l’école obligatoire?

Le Québec de demain

Ainsi, au lieu de sortir les épouvantails de l’immigration non francophone pour expliquer le déclin du français au Québec et celui de notre culture, vous devriez vous demander pourquoi la culture n’est pas plus présente à l’école et comment la classe de français pourrait devenir un lieu de culture, de fierté et d’inclusion pour tous les jeunes Québécois, car c’est bien eux, le Québec de demain.

Photo courtoisie, Service des communications de l’UQTR
Photo courtoisie, Service des communications de l’UQTR

Marie-Hélène Forget, Professeure en didactique du français, Université du Québec à Trois-Rivières

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