La face sombre du Canada
Joseph Facal
Admettons que vous êtes un camionneur qui gagne sa vie en traversant régulièrement la frontière canado-américaine.
Je peux comprendre que les mesures sanitaires qu’on vous impose sont discutables et vous agacent.
Je reconnais aussi que manifester est un droit démocratique reconnu, mais...
Prévisible
Mais cette protestation d’une infime minorité de l’industrie du camionnage fut rapidement récupérée et détournée par cette collection d’hurluberlus qui a toujours été là, mais à laquelle la crise et les réseaux sociaux donnent une visibilité et une vigueur renouvelées.
Un honnête camionneur ne volera pas de la nourriture dans un refuge pour itinérants, ne saccagera pas un hôtel, n’intimidera pas des employés, ne va pas déféquer en public.
Plus grave encore que les comportements de voyous observés, il y a les discours proférés.
C’est un concentré de la bouillie qui circule quotidiennement dans ces égouts à ciel ouvert que sont les réseaux sociaux.
« Dictature sanitaire », « apartheid », glorification des armes pour protéger nos « libertés menacées », plans occultes des gouvernements pour nous asservir, fixation névrotique sur Bill Gates, appels délirants à renverser un gouvernement légitimement élu, négations risibles des faits et basculement dans un monde parallèle.
Il est impossible de ne pas faire le parallèle avec les excités qui marchèrent sur le Capitole de Washington, le 6 janvier de l’an dernier, parmi lesquels on sait maintenant que se trouvaient des gens disposés à tenter un coup d’État d’opérette, mais un coup d’État tout de même.
- Écoutez la chronique de Joseph Facal au micro de Benoît Dutrizac sur QUB radio:
À Ottawa, on a revu les mêmes tristes drapeaux confédérés qu’à Washington... et un drapeau nazi.
Si Maxime Bernier s’approchait de moi pour m’encourager, je partirais en courant si je tenais à préserver un minimum de crédibilité.
Si Donald Trump Jr. twittait son appui à mon mouvement, je me poserais de sérieuses questions.
Mais non, apparemment, ces manifestants s’en faisaient une fierté, ce qui en dit long.
L’industrie du camionnage, j’en suis sûr, doit être embarrassée d’être associée à cette jacquerie tragi-comique. Plusieurs camionneurs s’en sont d’ailleurs rapidement dissociés, et c’est tout à leur honneur.
Il était pourtant facilement prévisible que la frustration de certains camionneurs – compréhensible, mais ni plus ni moins que celle d’un tas d’autres travailleurs – serait instrumentalisée par ces excités.
Pourquoi je le sais ? Parce qu’à leur insignifiante échelle, les chroniqueurs le vivent aussi.
- Regardez aussi l'éditorial de Philippe-Vincent Foisy animateur du matin à QUB radio sur le sujet :
Haine
Chaque fois qu’un chroniqueur critique, souvent très légitimement, les restrictions gouvernementales, voyez les commentaires de certains lecteurs.
Ils diront : « Ah, vous sortez du déni, il était temps, enfin quelqu’un des grands médias qui dit la vérité ! ». La récupération est immédiate.
On peut bien relever – oh, comme c’est facile ! – les erreurs de nos gouvernements, se désoler de ce que nous vivons, et pérorer sur le souhait de retrouver au plus vite une certaine normalité.
Qui ne le souhaite pas ?
Mais rien ne justifie la moindre complaisance envers la colère des semeurs de haine et de division débarqués à Ottawa.
L’analyser, oui, la cautionner, jamais.