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L'article provient de Le Journal de Montréal
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La crise entre l’Ukraine et la Russie décortiquée

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Audrey Sanikopoulos

2022-01-22T09:00:00Z
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L’inquiétant regain de tension entre l’Ukraine et son imposant voisin russe donne une impression de déjà-vu à la communauté internationale, qui rappelle dangereusement l’époque de la Guerre froide.

• À lire aussi: Le Canada prêtera jusqu’à 120 M$ à l’Ukraine

• À lire aussi: Moscou promet «les conséquences les plus graves» si ses préoccupations sont ignorées

Promise depuis plus d’une décennie, l’entrée de l’Ukraine dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est au cœur de la bataille que se livrent actuellement les deux pays de l’Est.

Moscou accuse les pays occidentaux d’avoir rompu leur promesse prise à la fin de la Guerre froide de ne jamais élargir l’OTAN jusqu’aux frontières russes.

«[Les Russes] veulent qu’il y ait une renonciation formelle et officielle à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et qu’on retire les forces de l’OTAN des républiques baltes parce qu’elles sont très rapprochées», a expliqué Jacques Lévesque, professeur en sciences politiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et spécialiste de la Russie.

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Il faut savoir que l’OTAN est fortement reliée à la Guerre froide, période de fortes tensions et d’affrontement entre les États-Unis et l’Union soviétique. Créée après la Seconde Guerre mondiale, cette alliance politique et militaire a pour objectif d’assurer la sécurité de l’Europe occidentale et d’éviter toute expansion de l’Union soviétique grâce à un partenariat avec les États-Unis.

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L’origine du conflit

Pour comprendre l’origine de la crise actuelle, il faut remonter à la chute de l’empire soviétique et à la fin de la Guerre froide, en 1991, lorsque l’Ukraine, désormais indépendante, débute un dialogue avec l’OTAN.

La saga reprend en 2008 lorsque le président américain de l’époque, George W. Bush, propose un processus d’adhésion rapide au sein de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie, deux anciens pays membres de l’Union soviétique. La France, l’Allemagne et l’Espagne s’opposent cependant à l’idée, par crainte de représailles de la Russie, ce qui empêche l’avancement du dossier pendant plusieurs années.

Le bras de fer entre les deux pays se poursuit alors en 2014, lorsque la Russie parvient facilement à annexer la région de la Crimée, une péninsule située entre les deux pays et qui avait déclaré son indépendance en 1991 avant d’accepter le rattachement à l’Ukraine l’année suivante.

En plus de la Crimée, le Donbass, bassin minier situé entre les deux pays et considéré comme une région économique et culturelle importante de l’Ukraine, est en proie depuis 2014 à une guerre avec des séparatistes prorusses, dont le Kremlin est largement considéré comme le parrain militaire et financier.

«L’Ukraine a perdu la Crimée, et en plus pour prendre une possibilité d’influencer et de freiner la volonté ukrainienne de rejoindre un jour l’OTAN, la Russie a soutenu [...] la rébellion du Donbass, qui existe toujours. Et c’est ça en ce moment que les Ukrainiens cherchent à reprendre éventuellement par la force», a expliqué M. Lévesque.

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En réaction au conflit en Crimée, l’OTAN a accru son soutien en Ukraine et ses pays membres ont refusé de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie. L’organisation a également renforcé sa présence en mer Noire et a intensifié sa coopération maritime avec l’Ukraine.

«Avec une aide américaine lente, prudente, on leur a envoyé des armements, donné des conseils militaires pour renforcer l’armée ukrainienne. La Russie craignait maintenant, avec raison, que les forces rebelles du Donbass avaient monté suffisamment de moyens de défense», a mentionné le professeur Jacques Lévesque.

C’est cette crainte qui aurait conduit le président russe Vladimir Poutine à déployer depuis novembre dernier près de 115 000 soldats présents au Bélarus, pays voisin de l’Ukraine et de la Russie.

Face à ces mouvements de troupes inhabituels, la communauté internationale a choisi jusqu’ici l’option diplomatique afin d’éviter une escalade des tensions. Plusieurs responsables américains redoutent néanmoins que la situation dégénère en conflit en armée.

À qui la faute ?

Washington estime que la Russie peut attaquer l’Ukraine à tout moment. Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a mis en garde Moscou, soutenant qu’une invasion russe provoquerait une division du monde en deux, «avec la menace d’une guerre totale planant au-dessus de la tête de chacun».

La Russie assure ne pas avoir l’intention d’intervenir militairement en Ukraine. Néanmoins, un de ses diplomates n’a pas hésité à faire un parallèle clair avec la Guerre froide en décembre dernier. «Nous assistons actuellement à une sorte de remake de la Guerre froide, une Guerre froide 2.0», a-t-il soutenu, rejetant la responsabilité sur son ancien ennemi américain.

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Depuis l’année dernière, l’administration du président Joe Biden a approuvé l’envoi de 650 millions de dollars d’armes à l’Ukraine, dont 200 millions le mois dernier. Kiev presse cependant les Occidentaux, comme le Canada, de lui livrer des armes de défense supplémentaires.

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La ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, s’est rendue en Europe afin de rencontrer ses homologues pour faire le point sur la situation. Elle en a profité pour discuter avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky et son ministre des Affaires étrangères, afin de réaffirmer le soutien du Canada envers l’Ukraine.

Selon le spécialiste Jacques Lévesque, le renoncement de l’extension de l’OTAN par les États-Unis serait la solution pour mettre fin aux tensions actuelles. «Cela réglerait très largement le problème, surtout que les États-Unis ne vont de toute façon pas intervenir.»

– Avec l’AFP

La place du Canada dans ce conflit

Avec une communauté de 1,3 million de citoyens ayant des racines ukrainiennes, le Canada se devait de s’engager diplomatiquement dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie, mais plusieurs attendent des gestes concrets d’Ottawa.

Selon Jacques Lévesque, professeur et spécialiste de la Russie, la décision d’envoyer la ministre Joly sur place permettait de «réconforter les Ukrainiens et surtout de faire baisser les pressions de la communauté ukrainienne au Canada, qui demande au gouvernement canadien de s’impliquer».

Membre fondateur de l’OTAN depuis 1949, le Canada a annoncé vendredi un prêt jusqu’à 120 millions $ à l’Ukraine afin de l’aider à faire face à une possible déstabilisation économique en raison du conflit qui fait rage avec la Russie.

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«On sait qu’il y a d’autres choses dont ils ont besoin. On est en train de regarder [ce qu’on] peut faire de plus», a déclaré le premier ministre Justin Trudeau.

Si ce dernier n’exclut pas la possibilité d’envoyer des armes, comme d’autres pays membres de l’OTAN, il n’a toutefois pas formulé un engagement clair à ce sujet.

«[Il n’y a] aucune garantie qu’on va envoyer à l’Ukraine des armements pour se défendre, parce que le gouvernement canadien sait très bien qu’on risque de précipiter une intervention russe pour faire cesser les choses», a souligné le spécialiste.

Environ 200 membres des Forces armées canadiennes ont tout de même été déployés en Ukraine dans le cadre de l’opération UNIFIER, qui vise à renforcer les capacités militaires du pays de l’Est.

«Un engagement plus fort du Canada ne risque absolument pas d’arriver», a cependant précisé le professeur de l’UQAM.

Selon le recensement de 2016, un peu plus de 1,3 million de Canadiens (soit 3,8% de la population canadienne) sont d’origine ukrainienne. Principalement présente dans l’ouest du pays, cette communauté compte la troisième population d’origine ukrainienne la plus importante au monde après l’Ukraine et la Russie.

L’une de ses voix les plus fortes est la vice-première ministre, Chrystia Freeland. Petite-fille d’immigrants ukrainiens, elle a régulièrement fait l’objet de campagne de dénigrement de la Russie, en raison de ses prises de position en faveur de l’Ukraine.

Les dates clés du conflit entre la Russie et l’Ukraine

  • 1918: la République populaire ukrainienne connaît une brève indépendance jusqu’en 1920
  • 1991: proclamation de l’indépendance après la dislocation de l’URSS
  • 2008 : les États-Unis promettent que l’Ukraine fera un jour partie de l’OTAN
  • 2014 : la péninsule ukrainienne de la Crimée est annexée à la Russie, entraînant une guerre dans l’est de l’Ukraine avec des séparatistes prorusses, faisant plus de 13 000 morts
  • 10 novembre 2021 : Washington demande à la Russie d’expliquer des mouvements de troupes inhabituels à la frontière ukrainienne
  • 7 décembre 2021: le président américain Joe Biden menace la Russie de fortes sanctions économiques en cas d’invasion de l’Ukraine
  • 17 décembre 2021: Moscou dévoile deux projets de traités pour bannir l’élargissement de l’OTAN et l’établissement de bases militaires dans des pays de l’ancien espace soviétique
  • 28 décembre 2021: Moscou et Washington conviennent de pourparlers
  • 10 janvier 2022: des négociations tendues sont engagées entre Washington et Moscou
  • 14 janvier 2022: des sites gouvernementaux ukrainiens sont la cible d’une cyberattaque massive
  • 18 janvier 2022: la Russie déploie des soldats au Bélarus
  • 19 janvier 2022: Biden évoque une «incursion mineure» de la Russie en Ukraine
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