Contraception hormonale en chute libre au Québec: des femmes délaissent la pilule pour le calendrier
Anne-Sophie Poiré
La contraception hormonale est en chute libre au Québec depuis les 10 dernières années, comme le démontrent les chiffres de la RAMQ et du plus important groupe en assurance collective de la province. Beaucoup de femmes semblent abandonner les hormones au profit de méthodes naturelles.
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Entre 2013 et 2022, le nombre de personnes utilisant la pilule contraceptive, l’anneau vaginal, le stérilet hormonal et les injections contraceptives, comme Depo-Provera, a diminué de plus de 38%, selon les données de la Régie de l’assurance malade du Québec (RAMQ).
Beneva, le plus important groupe en assurance collective de la province, remarque une tendance similaire, avec une baisse de 23% des réclamations de contraceptifs hormonaux durant la même période. L’assureur couvre 30% du marché québécois.
Cette tendance se fait aussi sentir dans la population. En quelques heures à peine, une trentaine de femmes ont confié à 24 heures avoir abandonné la contraception hormonale dans les dernières années, après plus de 10 ans d’utilisation.
Aucune d’entre elles ne cherchait à tomber enceinte à ce moment.
Elles font partie d’une génération où la pilule contraceptive était prescrite d’office, dès l’apparition du cycle menstruel: pour régulariser les règles, diminuer leur abondance et la douleur ou faire disparaître toute trace d’acné.
Dès que les femmes commencent à avoir leurs menstruations, on leur prescrit la pilule. C’est comme ça qu’on règle les maux qui accompagnent l’apparition du cycle menstruel», souligne Nathalie Grégoire-Charette, directrice générale de l’organisme Serena Québec, fondé en 1955, qui se spécialise en gestion naturelle de la fertilité.
«On m’a prescrit la pilule assez rapidement dès l’âge de 16 ans», témoigne Olivia, 29 ans.
«Ça faisait mon affaire à l’époque parce que j’avais un copain et je ne voulais pas tomber enceinte. En plus, on me disait que ça aidait pour les seins et les boutons, alors c’était un plus pour une ado dans un contexte où personne ne m’a informé de l’impact que ça pourrait avoir sur mon corps. Je trouvais ça plutôt avantageux.»
Santé et charge mentale
La plupart des femmes interrogées ont arrêté la contraception hormonale pour des raisons de santé: migraines, vomissement, sautes d’humeur et même, les thrombophlébites, des caillots de sang qui se forment dans les veines des jambes ou des bras.
«Ironiquement, je commençais à regarder les autres moyens de contraception, n’étant pas fan des hormones — et des histoires qui vont avec —, puis j’ai fait une thrombophlébite», raconte Jeanne, 32 ans, qui prenait la pilule contraceptive depuis une quinzaine d’années pour traiter son acné.
«On m’a dit d’arrêter immédiatement la pilule. J’utilise maintenant le stérilet en cuivre sans hormone», précise-t-elle.
D’autres mentionnent une baisse de libido.
«J’ai arrêté, car je voulais voir comment mon corps, mes sautes d’humeur mais surtout ma libido étaient sans les hormones. En fait, ma libido n’était pas présente lorsque j’étais sur la pilule», indique Frédérique, 29 ans.
Outre les effets secondaires des hormones sur le corps et l’esprit, plusieurs soutiennent aussi avoir délaissé la contraception hormonale parce qu’elles n’en pouvaient plus de porter à elles seules ce fardeau.
«Il y a beaucoup de femmes qui sont juste tannées d’avoir le poids de la contraception sur leurs épaules. Elles disent que c’est au tour de leur partenaire, remarque l’infirmière au Centre de santé des femmes de Trois-Rivières, Catherine Pellerin. Elles retournent au condom ou exigent que leur conjoint ait une vasectomie. Elles ne veulent tout simplement pas de contraception même si elle est naturelle.»
«Je sens une énorme libération», lance Valérie, 34 ans, qui utilise la méthode du calendrier et le condom en période de fertilité depuis quatre ans.
«Je n’ai plus la pression d’oublier ma pilule et surtout, je partage maintenant la responsabilité et la charge mentale avec mon chum.»
Retour au naturel
Si certaines femmes qui se sont confiées à 24 heures se sont tournées vers le stérilet de cuivre sans hormone, la plupart se fient désormais à la méthode du calendrier — qui consiste à déterminer le moment de l'ovulation —, le coït interrompu et le condom en période de fertilité.
Ces moyens de contraception sont moins sûrs ux avec hormones, comme la pilule, l’anneau vaginal ou les injections, dont l’efficience varie entre 91% et 99,7% lors d’une utilisation parfaite.
Le coït interrompu, aussi appelé «retrait», est efficace de 73% à 96%, selon les données fournies par SOS Grossesse. Pour la méthode du calendrier, on parle d’une efficacité allant de 80% à 99%.
Malgré une baisse marquée de la contraception hormonale au Québec, ni le nombre d’avortements ni les réclamations pour la pilule contraceptive d’urgence n’ont augmenté. Au contraire.
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Entre 2012 et 2021, le nombre d’interruptions de grossesse volontaires (IVG) réalisées par des médecins omnipraticiens a chuté de 32%, confirment les dernières données de la RAMQ.
Est-ce que l’arrivée de la pilule abortive sur le marché québécois en 2019 pourrait expliquer cette diminution?
Pas totalement.
Entre janvier 2019 et mars 2023, 3373 personnes ont eu recours à la pilule abortive, dans le cadre du Programme d’accès universel gratuit à l’interruption volontaire de grossesse médicamenteuse de la RAMQ.
Ce nombre est insuffisant pour expliquer la baisse des IVG au Québec.
Sur le terrain, Nathalie Grégoire-Charrette de Serena Québec observe bel et bien l’engouement pour la contraception naturelle.
«Ça fait 10 ans environ qu’on n’a plus besoin de faire de promotion de notre organisme. Et depuis 2017, il y a une énorme croissance de la demande. Ce qu’on voit sur le terrain est totalement en accord avec les données de la RAMQ», assure-t-elle.
Les règles sont plus douloureuses; les symptômes prémenstruels comme l’anxiété, les difficultés de concentration ou la fatigue sont plus intenses; mais la vaste majorité des femmes interrogées assurent qu’elles se sentent «plus proches de leur corps».
«J’ai vu une énorme différence positive dans mon humeur. Comme si un voile s’était levé», affirme Catherine, 31 ans. «J’étais toujours déprimée avant, mais plus maintenant. Je trouve ça rassurant de pouvoir sentir mon corps et mes variations d’humeurs.»
Nouvelles technologies
Deux pharmaciens contactés par 24 heures affirment quant à eux ne pas avoir remarqué une baisse de la demande pour la contraception hormonale.
«Ces chiffres sont surprenants, parce que ce n’est pas ça qu’on ressent sur le terrain, indique le pharmacien propriétaire à Alma, Yann Gosselin-Gaudreault. S’il y a eu une baisse, ça s’est fait tellement graduellement qu’on ne l’a pas sentie.»
La pharmacienne et professeure à la Faculté de pharmacie de l'Université de Montréal, Ema Ferreira, ne croit tout simplement pas les chiffres de la RAMQ et de Beneva.
«Il faut être prudent. C’est normal que le contraceptif oral soit en déclin, parce qu’il y a d’autres options sur le marché», fait-elle valoir.
Il n’y a pourtant pas que la pilule qui est en déclin depuis les 10 dernières années au Québec (- 43,2%). Entre 2013 et 2022, l’anneau vaginal a connu une baisse de 37%, le stérilet hormonal de 24,4% et les injections contraceptives de 60%.
Ema Ferreira marque cependant un point: l’arrivée de nouvelles technologies contraceptives offre la possibilité aux femmes de choisir. Plusieurs préfèrent donc se détacher de la pilule contraceptive pour se tourner vers des méthodes longue durée.
L’implant contraceptif hormonal, ce petit bâtonnet installé sous le triceps qui libère des hormones pendant trois ans, est un bon exemple. Remboursé par la RAMQ depuis deux ans, il a connu une hausse spectaculaire de 1293% entre 2021 et 2022.
«On le voit beaucoup chez les jeunes», témoigne la Dre Céline Bouchard, médecin spécialisée en santé de la femme dans la ville de Québec.
Avoir le choix
La majorité des femmes n’ont pas consulté de professionnels de la santé avant d’abandonner la pilule contraceptive.
«Je me disais que c’était ma décision et celle de personne d’autre», résume Sophie.
C’est aussi ce que remarque l’infirmière au Centre de santé des femmes de Trois-Rivières, Catherine Pellerin.
«Il y a encore beaucoup de médecins qui vont prescrire la pilule aux femmes sans poser davantage de questions, mais, ce qu’on voie, c’est qu’elles veulent avoir le choix, explorer tous les moyens de contraception. Il faut qu’il y ait plus d’enseignement sur les différentes méthodes.»