La démolition de maisons unifamiliales, un enjeu électoral de taille à Longueuil
Anne-Sophie Roy
Des chantiers qui durent des mois, de petites maisons centenaires détruites et remplacées par des multiplex modernes, de l’abattage d’arbres mitoyens: il s’agit là de quelques images récurrentes dans le paysage de Longueuil depuis quelques années. À l’aube des élections municipales, des citoyens comptent bien conscientiser les candidats à la mairie pour mettre un frein à ce «massacre».
Si le dossier fait couler de l’encre depuis près d’un an, des citoyens dénoncent toujours la démolition de maisons unifamiliales au profit de «constructions rapides, similaires et sans âme». À cela s'ajoutent les visites impromptues de promoteurs immobiliers désireux de racheter leur résidence.
Le groupe Facebook «Résident.e.s de Longueuil pour un urbanisme cohérent», qui rassemble plus de 900 membres, documente ce qu’ils nomment un «fléau» et appelle à la mobilisation des élus pour que des «mesures sérieuses soient prises rapidement».
«On a constaté que la démolition de maisons pour des habitations modernes n’avait aucune cohérence architecturale. On souhaite qu’il y ait un cadre clair et costaud et que Longueuil prenne en considération ce qui est fait dans les autres municipalités», a expliqué au 24 Heures Lyette Bouchard, citoyenne et administratrice du groupe Facebook.
Des règlements trop permissifs?
Pressée par les citoyens d'agir devant la densification rapide, l’actuelle mairesse, Sylvie Parent, a voulu mettre «fin au Far West» sur son territoire en novembre 2020. Dès lors, des changements réglementaires sont apportés, dont la limite de deux étages par immeuble et de plus grandes marges minimales, entre autres. Il s’ensuivit un gel de l'émission des permis de démolition, une consultation citoyenne sur la question et le dépôt d’un mémoire citoyen qui dénonce «la perte du caractère architectural et patrimonial, la destruction de la biodiversité et la prolifération des stationnements de surface sur rue [qui] défigurent les quartiers et délabrent les milieux de vie».
La citoyenne Lyette Bouchard croit cependant que ces changements réglementaires sont loin d'être suffisants.
«La réglementation est assez maigrelette, ça a été fait vite pour calmer le jeu. Il faut prendre en considération le tissu social, les habitations à loyer modique et la coupe d’arbres et les îlots de chaleur», lance-t-elle. «Il faut que ça fasse plus mal que ça, quand on abat des arbres.»
«Ce qu’on remarque surtout à Longueuil, c’est l’accélération de ce phénomène-là, et les règlements de zonage et d’urbanisme sont trop permissifs», croit Pierre Olivier Bureau Alarie, architecte et cosignataire du mémoire Pour un urbanisme cohérent présenté à la Ville de Longueuil.
Malgré le gel des permis de démolition, des citoyens ont noté un grand nombre de chantiers pendant l'été, et plusieurs maisons qui faisaient partie du paysage de leur quartier depuis des décennies ont disparu avec le passage de l'excavatrice. Naissent souvent de ces chantiers de nouvelles constructions au goût plus contemporain, ce que déplore l'architecte, qui voit une importante disparité entre l’architecture d’un bungalow d’une soixantaine d’années et les nouvelles constructions d’un étage ou deux.
D'après ce dernier, le parti élu en novembre prochain devra saisir l’opportunité de revoir les règlements d’urbanisme pour devenir, du même coup, un chef de file en urbanisme au Québec.
Des promoteurs immobiliers «frôlent le harcèlement»
Tous les moyens sont bons pour mettre la main sur de nouvelles propriétés. Des promoteurs immobiliers multiplient le porte-à-porte, et des lettres de proposition de rachat sont déposées directement au domicile. Une citoyenne prénommée Stéphanie en compte maintenant quatre depuis mai 2021.
«Ça n’a plus d’allure, laisse tomber la mère de famille. Même si on leur écrit directement en leur disant d’oublier notre nom, ils continuent à nous en envoyer.»
Stéphanie possède un large terrain de 5400 pieds carrés dans le secteur de Coteau-Rouge, une denrée rare pour les développeurs immobiliers qui auraient l’espace nécessaire pour construire plusieurs propriétés. Si ces pratiques de rachat et de nouvelles constructions changent le visage de Longueuil, elles font aussi naître des problématiques collatérales.
«Les familles s’installent dans les multilogements et les écoles sont pleines. Je sais même pas si ma fille aura une place l’année prochaine, comme l’école du quartier reçoit trop d’inscriptions», affirme-t-elle.
Questionnée par le 24 Heures, la Ville de Longueuil affirme n’avoir délivré aucun permis pour effectuer du porte-à-porte en lien avec des services immobiliers au cours de l’année 2021. Elle invite donc les citoyens à demander aux colporteurs une copie du permis délivré par la Ville pour s’adonner à de telles pratiques.
Une nouvelle administration, la solution?
Longueuil n’est pas la seule municipalité du Québec aux prises avec un phénomène de démolition de maisons unifamiliales. Certaines pratiques ont été dénoncées à Candiac, à Laval et à Québec, entre autres. Les candidats en lice pour la mairie de Longueuil sont tous bien au fait de l’enjeu de la «défiguration» de Longueuil.
Le candidat Jacques Létourneau, d’Action Longueuil, veut «éviter les projets d’horreur et favoriser le développement harmonieux». Il compte y arriver en encadrant le développement du parc immobilier et en créant un fonds financier pour la revitalisation des maisons ouvrières, entre autres.
Du côté de l’équipe de Coalition Longueuil, menée par Catherine Fournier, elle s’engage à «encadrer fermement le phénomène des démolitions de maisons unifamiliales pour favoriser une densification à échelle humaine». Cela passe par la mise sur pied d’un comité de démolition citoyen et une révision des normes architecturales pour les nouvelles constructions, par exemple.
Pour Josée Latendresse, de Longueuil Ensemble, il est évident que Longueuil est «en train d’être défigurée et dénaturée avec ces démolitions peu encadrées». D’après elle, les citoyens se sont mobilisés avec raison, et elle ajoute que la «préservation du tissu social de la ville, de sa dynamique et le caractère de son bâti sont importants».
Finalement, Jean-Marc Léveillé, de Longueuil Citoyen, se dit préoccupé par l’enjeu, et il admet que Longueuil n’a pas un «cadre réglementaire suffisant pour encadrer les démotions et s’assurer d’avoir une densification cohérente». Il compte bien se doter d’une politique architecturale pour renforcir l’identité des quartiers, s’il est élu le 7 novembre prochain.