Les livraisons d'armes occidentales tardent, l'Ukraine s'impatiente
Gabriel Ouimet
En difficulté dans l’est du pays, l’Ukraine demande à ses alliés d’accélérer la livraison d’armes, puisqu’elle n’a reçu qu’une fraction des cargaisons promises depuis des mois par les Occidentaux.
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«Le ratio Russie/Ukraine en artillerie est de l’ordre de dix contre un dans certaines zones. Je reçois quotidiennement des messages de nos combattants qui nous disent "Nous tenons, dites-nous juste quand les armes arriveront"» a tweeté le conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhïlo Podoliak, quelques heures avant une réunion des Occidentaux à Bruxelles, mercredi.
L’Ukraine aurait reçu, jusqu’à maintenant, «qu'environ 10%» des armes dont elle a besoin, selon le ministère de la Défense du pays. Washington, Londres et leurs alliés avaient pourtant promis d’envoyer des systèmes de lance-roquettes multiples et des armes capables de combattre les troupes russes.
La Russie a de son côté annoncé avoir détruit un important dépôt d’armes fournies par l’OTAN dans l’ouest de l’Ukraine.
Les Occidentaux parviendront-ils à tenir leur promesse? Voici certains des défis que comporte la livraison d’armes et d’équipements militaires en temps de guerre.
Conserver le secret militaire
D’abord, comme certaines armes contiennent des technologies inédites, il faut s’assurer de les modifier afin qu’elles ne dévoilent pas leurs secrets si elles passaient aux mains des Russes pendant la bataille.
Avant d’acheminer leur matériel, les pays alliés doivent donc parfois le modifier, explique Éric Ouellet, professeur spécialisé en commandement militaire stratégique et en prise de décision au Collège des Forces canadiennes.
«On parlait d’envoyer des missiles antinavires Harpoon aux Ukrainiens. Mais la compagnie qui fabrique ces missiles est américaine, et ces missiles comportent des secrets technologiques que les Américains ne veulent pas dévoiler. Ils ne peuvent donc pas les envoyer sans faire de modifications», mentionne-t-il.
Ces modifications peuvent d’ailleurs être longues et complexes.
«Ça ne se fait pas du jour au lendemain, c’est un peu comme changer le DOS de votre ordinateur pour en mettre un autre, ce n’est pas évident», illustre le professeur.
Longue traversée de l’Atlantique
Une fois les cargaisons prêtes, encore faut-il les envoyer de l’autre côté de l’Atlantique lorsqu’elles viennent de l’Amérique du Nord.
Certains types d’équipement lourd promis par le Canada et les États-Unis, comme des obusiers et leurs véhicules, sont trop lourds pour être envoyés par avions, ce qui complexifie et ralentit leur acheminement.
«Les armes lourdes doivent venir par bateau parce qu’elles endommagent les avions et réduisent leur longévité de façon importante. Ça pourrait donc prendre des semaines avant qu’elles arrivent en Ukraine», soutient Éric Ouellet.
Loin des combats
Ensuite, les Occidentaux ne peuvent pas livrer d’armes directement en Ukraine. Il s’agirait, aux yeux de la Russie, d’une implication directe dans le conflit, ce qui pourrait faire escalader le conflit.
Les cargaisons doivent donc être laissées loin du champ de bataille, à la frontière d’un pays allié de l’Ouest, là où les troupes de Vladimir Poutine sont moins nombreuses, indique le brigadier général à la retraite et spécialiste des enjeux reliés à la défense et la sécurité internationale, Richard Giguère.
«On estime que ça passe beaucoup par la Pologne et la Roumanie. Le défi, c’est que les Ukrainiens doivent traverser le pays au complet pour approvisionner les troupes qui sont dans l’est, ce qui fait que les cargaisons ont beaucoup plus de risques d’être prises pour cibles», explique-t-il.
Pour vous donner une idée, plus de 1200 km séparent la région de Lviv, près de la frontière polonaise, à celle de Donetsk, où se déroulent des combats dans l’Ouest. Les livraisons, qui sont surtout effectuées par camions et par train, peuvent donc prendre plus de 15 heures.
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Des systèmes diversifiés et complexes
Une fois les cargaisons reçues, une course contre la montre est enclenchée pour former les soldats qui s’en serviront, indique Éric Ouellet.
«Il faut s’assurer que les armes peuvent être utilisées à leur plein potentiel et certains de ces systèmes d’armements sont très compliqués à utiliser, surtout lorsqu’on parle d’artillerie et de drones», dit-il.
Et ces formations ne seront pas de tout repos en Ukraine, assure Richard Giguère.
«Dans ma carrière, j’ai eu plusieurs formations sur des systèmes de combats. Certains d’entre eux m’ont pris jusqu’à deux mois à maîtriser et je n’avais pas de bombes qui me tombaient sur la tête», raconte le brigadier-général à la retraite.
L’éventail d’équipements acheminés en Ukraine pourrait aussi constituer un défi de taille.
«Plus on multiplie des sources de provenance des armes, plus il y a d’armes de modèles différents en circulation et plus la logistique est compliquée. Par exemple, des munitions américaines ne vont pas nécessairement dans des armes allemandes», illustre-t-il.