L'écrivaine Dominique Fortier s'est intéressée à la correspondance entre Herman Melville et Nathaniel Hawthorne pour écrire son nouveau roman
«La part de l'océan»


Marie-France Bornais
Écrivaine extraordinaire, récompensée du prix Renaudot et du prix littéraire du Gouverneur général, Dominique Fortier propose une incursion dans l’univers de deux monuments de la littérature américaine, Herman Melville et Nathaniel Hawthorne, dans son nouveau roman. La part de l’océan est né, en partie, de la découverte récente de lettres enflammées adressées à Nathaniel Hawthorne par l’auteur de Moby Dick. Peu à peu, ces hommes énigmatiques sont devenus des personnages.

En août 1850, Herman Melville fait la connaissance de l’écrivain Nathaniel Hawthorne lors d’une excursion dans les monts Berkshire, en Nouvelle-Angleterre.
Cette rencontre bouleversera la vie de l’écrivain qui, à l’époque, était déjà en train d’écrire l’histoire d’un grand cachalot blanc qui allait plus tard devenir un classique.
Au cours des mois suivants, alors qu’il écrivait Moby Dick, Herman Melville a adressé plusieurs lettres enflammées à Nathaniel Hawthorne tandis que sa femme tenait la maison, élevait leur fils et recopiait son manuscrit.
Moby Dick
Comment Dominique Fortier est-elle entrée dans l’univers de Melville? «J’avais dû lire des extraits de Moby Dick au secondaire, dans mon cours d’anglais. J’avais 16 ans, un anglais un peu inadéquat et c’est écrit dans une langue assez exigeante. Je n’avais pas du tout accroché et je n’avais pas tant eu le goût d’y retourner, jusqu’à ce que je tombe sur sa correspondance», révèle-t-elle en entrevue.
Des lettres différentes
«J’ai découvert par hasard les lettres qu’il a écrites à Nathaniel Hawthorne, qui est lui aussi un des pères de la littérature américaine, un monument. C’est des lettres qui étaient tellement éloignées de ce que je me rappelais de Moby Dick, qui est un livre total, immense, solide.»
«Ces lettres-là, au contraire, avaient quelque chose de tellement vulnérable! C’est des lettres d’amour, je pense. Ce qui est fascinant, c’est qu’on n’a toujours pas les réponses de Hawthorne. Je ne sais pas si elles ont été perdues ou détruites, ni ce qui leur est arrivé. Ce qu’on a, c’est la moitié d’une correspondance d’un écrivain à un autre, et c’est ce lien qui m’intéressait.»
Elle avait donc des trous à combler. «C’est toujours là que le roman se crée. Dans la relation entre Melville et Hawthorne, il nous manque une moitié, une perspective. Je n’ai pas tant essayé de la remplir. Je n’ai pas essayé de m’imaginer ce que l’autre avait répondu, de me mettre à sa place, surtout pas de mettre des mots dans sa bouche. J’ai essayé de garder ce mystère, de faire de son personnage ce que j’imaginais qu’il avait dû être pour Melville.»

Une passion à sens unique?
Dominique Fortier ajoute que, tout au long du roman, Melville va se demander si ses sentiments sont partagés. «Quand il rencontre Hawthorne, il a l’impression d’une fulgurance dans sa vie. D’une rencontre qui va changer le cours de sa vie. Mais il n’y a pas moyen de savoir si la réciproque est vraie. Il est toujours dans le doute, dans l’incertitude.»
Elle a essayé de creuser le besoin que Melville avait de cet homme, qui était pour lui un écrivain formidable, mais il le voyait aussi comme son lecteur. «Moby Dick est dédié à Hawthorne. Les premiers mots, sur la première page: “En témoignage de mon admiration à Nathaniel Hawthorne”.»
«Cet homme-là était pour lui à la fois un écrivain et un lecteur. J’essaie de voir comment se construit cette relation entre ces deux écrivains, qui ont toujours un pied dans le réel et un pied dans la fiction.»
La part de l’océan
Dominique Fortier
Éditions Alto
Environ 330 pages
▶ En librairie le 4 septembre.
- Dominique Fortier écrit des romans et des essais depuis une quinzaine d’années.
- Son premier roman, Du bon usage des étoiles, a reçu le prix Gens de mer du festival Étonnants voyageurs en 2009.
- Au péril de la mer a reçu le Prix littéraire du Gouverneur général en 2016.
- Les villes de papier lui a valu le prix Renaudot essai en 2020 et a été traduit dans une quinzaine de langues.
- La part de l’océan est son neuvième livre.
- Un livre compagnon est publié aux Éditions du Passage: Notre-Dame de tous les peut-être.
«À l’adolescence, pour faire oublier la ruine de son père et fuir la honte associée à cet échec, Melvill change son nom: désormais il sera Melville avec un e, comme si cela pouvait suffire à le prémunir contre le destin ou contre son héritage, l’empêcher de répéter les erreurs de l’auteur de ses jours, comme si cette fragile voyelle pouvait ériger une digue entre le malheur et lui.»
– Dominique Fortier, La part de l’océan, Éditions Alto
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