L'écoanxiété augmente au Québec et des experts disent que ce sera le mal du siècle: on fait quoi avec ça?
Élizabeth Ménard et Félix Pedneault
Près des trois quarts des Québécois de 18 à 34 ans affirment ressentir de l’écoanxiété, selon un sondage. Des experts s’alarment: ce sera le mal du siècle.
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Au bout du fil, Jessy Desjardins peine à aligner ses mots. Il devient émotif dès qu’on lui parle des générations futures.
«L’impuissance, la vulnérabilité, l’incapacité de sentir qu’on peut changer les choses»: c’est ainsi que le jeune homme de 27 ans décrit son écoanxiété.
Cette déclaration n’a rien de surprenant pour la psychologue Inês Lopes, qui étudie le lien entre l’environnement et la psychologie depuis plus de 15 ans. Elle reconnaît l’écoanxiété chez nombre de ses clients.
«J’avais un jeune qui consultait pour une anxiété alimentaire. Il avait 11 ans. Je me souviens, un jour, il m’a dit: de toute façon, je ne sais même pas pourquoi je stresse avec ça, on va probablement mourir d’autre chose, comme les changements climatiques», relate-t-elle.
Ça augmente, avec raison
Selon la psychologue et d’autres spécialistes consultés pour ce dossier, l’écoanxiété, cette nouvelle forme d’anxiété face aux changements climatiques, sera nécessairement le mal du siècle. Avec raison.
«Y’a beaucoup de gens qui me demandent: est-ce que ça stresse les jeunes de parler d’environnement? Oui. Mais ne pas en parler, ça les stresse aussi, fait-elle valoir. De voir qu’il y a plein de choses qui se passent et de voir que les adultes autour d’eux, que ce soit leurs parents, les enseignants, les politiciens, n’en parlent pas, ça aussi c’est stressant.»
Un sondage Léger portant sur la variation du niveau d’écoanxiété ressenti dans la dernière année, effectué la semaine dernière, illustre la tendance. Pas moins de 73% des Québécois de 18 à 34 ans affirment faire de l’écoanxiété et 38% d’entre eux affirment que leur niveau d’écoanxiété a augmenté dans la dernière année.
Ça touche aussi les autres strates de la population: au total, ce sont 59% des Québécois de 18 ans et plus qui affirment être écoanxieux. Le quart d’entre eux estiment que leur niveau d’écoanxiété a augmenté dans la dernière année.
«Un peu plus de la moitié des Québécois manifestent un sentiment d’anxiété ou une inquiétude face aux changements climatiques», explique le vice-président affaires publiques et communication chez Léger, Sylvain Gauthier, questionné à savoir ce que ces résultats signifient.
On peut penser que les nombreux événements météorologiques extrêmes qui ont eu lieu dans les derniers mois, comme les feux de forêt, les inondations et les canicules, ont contribué à cette hausse.
Jessy Desjardins, qui se décrit lui-même comme un écoanxieux, se reconnaît dans ces résultats.
«On dirait que c’est cette année que ç’a frappé, l’anxiété», constate le jeune homme.
Il n’a jamais consulté, en partie parce qu’il craint de ne pas être compris.
«C’est certain que s’il y a des spécialistes qui veulent offrir des solutions, ça va m’intéresser. Mais c’est tellement nouveau que je me dis : est-ce qu’il va y en avoir qui peuvent vraiment me comprendre ou m’aider?» se demande-t-il.
Il n’a pas tort. Peu de psychologues et de médecins sont formés pour reconnaître et répondre à l’écoanxiété.
Inês Lopes donnera d’ailleurs une formation sur le sujet à l’Ordre des psychologues du Québec en novembre.
De son côté, l’Association québécoise des médecins pour l’environnement milite d’ailleurs pour que les conséquences des changements climatiques sur la santé, mentale comme physique, soient abordées dans la formation des futurs médecins.
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Mécanisme de survie
L’écoanxiété est pourtant un mal nécessaire, pas une maladie dont on doit absolument guérir, plaident certains, dont notre lectrice Zoé Dumais dans une lettre ouverte.
La fondatrice de l’organisme Éco-Motion, qui travaille à normaliser les écoémotions, Isabelle Béliveau, abonde dans le même sens. «Notre corps sait qu’il faut s’adapter à ça pour survivre, souligne-t-elle. Plus on a l’impression que la société ne fait pas d’action pour atténuer ou s’adapter aux changements climatiques, plus on va ressentir des symptômes d’anxiété ou même de dépression.»
La doctorante en psychologie sociale Christina Popescu, qui consacre sa thèse à ce phénomène, confirme.
«C’est sûr que ça va aller en empirant puisqu’il n’y a rien qui est fait concrètement pour contenir un peu les bouleversements climatiques qui vont avoir lieu. Donc, oui, ça va empirer parce qu’il faut des réponses concrètes pour endiguer les inquiétudes des gens», souligne-t-elle.
S’impliquer pour aller mieux
La Dre Chloé Courteau-Vézina, généraliste qui exerce à Laval et membre de l’AQME, voit de plus en plus de patients écoanxieux défiler dans son bureau. Comment les aider? Elle ne le sait pas toujours.
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«C’est une excellente question à laquelle je ne suis pas aussi préparée que je voudrais l’être parce que ce sont des émotions qu’on partage [...] je comprends d’où vient l’inquiétude des gens», confie-t-elle.
Tout comme la psychologue Inês Lopes, elle conseille généralement à ses patients de s’impliquer.
«Plutôt que de rester dans des scénarios, revenir au moment présent et vivre des actions cohérentes avec nos valeurs, mentionne la docteure. J’ai plusieurs patients à qui je pense. Ils veulent protéger l’environnement, ils ne se sentent pas outillés pour le faire, et la plupart finissent par atténuer leur anxiété en s’impliquant dans différentes activités qui vont viser à protéger l’environnement», dit-elle.
C’est d’ailleurs ce que fait Jessy Desjardins, qui est végétarien depuis huit ans et se fixe de nouveaux objectifs écoresponsables chaque année.
Le jour du scrutin fédéral, il a soudainement décidé de modifier son vote après avoir vu une mère et ses enfants dans la file pour voter. «Je me suis dit : c’est pour eux que je vote dans le fond.»
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Selon la psychologue Inês Lopes, il est normal et valide de ressentir de l’anxiété face aux changements climatiques. C’est lorsque cette anxiété nous empêche de vaquer à nos occupations normales qu’il faut penser à consulter.
Peu de psychologues au Québec nomment l’écoanxiété dans leur offre de services. Mais ils savent reconnaître et traiter l’anxiété en général, il ne faut donc pas hésiter à consulter si on pense que c’est nécessaire, dit-elle.
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