L'eau est entrée à la Bourse de Chicago il y a un an
Anne-Sophie Poiré
- Le 7 décembre 2020, les premières transactions liées à l’eau étaient effectuées à la Bourse de Chicago.
- Les investisseurs peuvent parier sur la fluctuation du prix de l’or bleu depuis un an.
- Ce sont surtout les entreprises agricoles et les villes qui s’échangent ces droits d’utilisation de l’eau.
Il y a un an, l’eau faisait son entrée sur les marchés boursiers. Il est désormais possible pour les investisseurs de négocier la ressource naturelle à la Bourse de Chicago, au même titre que le blé ou le pétrole. L’eau pourrait-elle devenir une marchandise qui sera un jour réservée aux plus riches?
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Le 7 décembre 2020, les premières transactions liées à l’eau étaient effectuées. Jusqu'à maintenant, elles se concentrent sur le marché californien.
Les investisseurs parient sur la fluctuation du prix de l’or bleu.
Ça permet aux gros consommateurs de se protéger contre la volatilité des prix en cas d’aléas climatiques, comme les sécheresses qui sévissent en Californie après plusieurs années de très faibles précipitations et un hiver particulièrement sec.
«À la Bourse, on n’a pas le droit de vendre des choses qui ne nous appartiennent pas. Et dans le régime juridique en Californie, on ne peut pas être propriétaire de l’eau, mais on peut être propriétaire de droits d’utilisation de l’eau», détaille l’expert en géopolitique de l’eau et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques de l’Université Laval, Frédéric Lasserre.
C’est donc le droit d’utiliser l’eau qui s’échange à la Bourse, et non pas le droit d’en être propriétaire.
Le prix de l’eau
Une entreprise agricole achète une terre près d’une rivière. Elle souhaite utiliser cette eau pour l’arrosage de ses champs. Elle pourra déposer une demande de droit d’utilisation auprès du tribunal local.
«Elle devient propriétaire de la possibilité d’utiliser un million de mètres cubes d’eau par année», illustre M. Lasserre.
En Californie, 80% de la consommation de l’eau est faite par des entreprises agricoles.
Dans la dernière année, «on a vu des agriculteurs faire plus d’argent en vendant des titres d’utilisation de l’eau qu’en continuant d’exploiter leur terre», poursuit-il.
Mais qui pourrait bien être disposé à acquérir le droit d’utiliser une telle quantité d’eau?
Pour l’instant, «ce sont surtout les villes», fait valoir le spécialiste.
«San Diego et San Francisco ont acheté à des agriculteurs leur droit d’utilisation pour augmenter substantiellement leur volume d’eau disponible [...] et régler leur problème d’approvisionnement», dit-il.
Mais ce genre de transaction n’est pas nouveau.
Depuis plusieurs années, la Californie permet à des entreprises de posséder des permis d’utilisation d’eau à des fins commerciales, précise l’expert en géopolitique de l’eau. «Ça ne fait que faciliter des transactions qui se faisaient déjà de toute façon sur le marché implicite californien entre des agriculteurs et des villes, par exemple.»
Dangers
La cotation de l’eau à la Bourse sera-t-elle réellement utile pour redistribuer les volumes d’eau qui ne sont pas utilisés? Ou va-t-elle simplement servir à enrichir des spéculateurs?
«Je ne serais pas surpris d’apprendre que des investisseurs aient flairé la bonne affaire», reconnaît M. Lasserre. «Ça peut être tentant d’acheter des titres d’utilisation d’eau dans le but de les revendre plus cher.»
Depuis son entrée en Bourse, la valeur de l’indice de l’eau n’a cessé d’augmenter. Il atteignait le 7 décembre 730$ l’acre-pied – 1,2 million de litres –, contre 495$ l’an dernier.
L’expert croit toutefois que cette forte hausse ne pourrait être que «conjoncturelle» en raison des fortes sécheresses qui s’abattent sur la Californie.
«Il est encore trop tôt pour y répondre», lance M. Lasserre.
Au Québec toutefois, l’eau ne pourrait pas être cotée en Bourse, soutient-il, malgré que certains s'en inquiètent.
«Si on a une propriété qui touche une rivière, on peut utiliser raisonnablement l’eau sans affecter le droit des autres utilisateurs du bassin versant. On ne peut pas céder ou vendre ce droit à quelqu’un d’autre, parce que l’eau est un bien commun qui appartient à l’ensemble de la société. On a droit de l’utiliser, mais pas de la vendre», explique le spécialiste.