Justin Barron: une prise de conscience a tout changé
Anthony Martineau
BROSSARD | Lorsque Sidney Crosby analyse quoi que ce soit en lien avec le hockey, il faut logiquement y accorder une attention particulière, mais aussi lui laisser le bénéfice du doute. Il est quand même le meilleur joueur de sa génération et l’un des plus grands de l’histoire, après tout!
Revenons un peu dans le passé. Il y a maintenant un peu plus d’un an, les Canadiens échangeaient Artturi Lehkonen à l’Avalanche du Colorado en retour d’un jeune défenseur droitier nommé Justin Barron.
Dès le moment où il avait appris la transaction, avait raconté Kristopher Letang au collègue Renaud Lavoie, Crosby avait mentionné à ses coéquipiers des Penguins qu’il n’aurait jamais échangé Barron, s’il avait été le directeur général de l’Avalanche. Il voyait en lui, disait-il, un défenseur au grand potentiel pouvant éventuellement jouer plusieurs minutes chaque soir.
Malheureusement, Barron n’a pas été en mesure de prouver sa valeur aussi rapidement qu’il l’aurait souhaité à ses nouveaux patrons. À son cinquième match avec le CH, en avril 2022, l’arrière s’est blessé à la cheville et a vu sa saison prendre fin prématurément.
Puis, probablement encore un peu rouillé, le patineur natif de Halifax n’a pas convaincu la direction du Tricolore lors du dernier camp d’entraînement et a été envoyé au Rocket de Laval (LAH) pour débuter la saison.
Tout ça alors que d’autres jeunes défenseurs du club épataient la galerie.
Et surtout, tout ça pendant qu’Artturi Lehkonen venait de jouer un rôle majeur dans le sublime parcours éliminatoire de l’Avalanche vers la coupe Stanley.
Rien pour donner du poids aux propos de Crosby...
Mais dans le monde du sport, comme l’histoire l’a souvent démontré, rien n’est jamais coulé dans le béton.
Le 27 décembre, fort d’un éclatant début de saison avec le Rocket, Justin Barron a reçu un appel du CH. Il était officiellement rappelé par le grand club.
Et il était visiblement prêt à retrouver la grande ligue, cette fois.
Sans tambours ni trompettes, Barron est, depuis le 17 janvier dernier, le deuxième défenseur le plus productif du Tricolore. Revirement de situation, dites-vous?
À ses 22 derniers duels, il totalise 14 points. On parle d’une moyenne de 0,64 par partie, moyenne le plaçant tout juste derrière Michael Matheson (0,68), qui joue toutefois près de 10 minutes de plus que lui chaque soir.
«Ah oui? Vraiment? Je n’étais pas au courant de ça!», a réagi en souriant le principal intéressé, récemment rencontré par l’auteur de ces lignes dans le vestiaire du CH, au Complexe sportif Bell.
Mais l’ancien des Mooseheads de Halifax est loin d’être dupe. À défaut de suivre avec intérêt la fluctuation de ses statistiques individuelles, il sait quand même qu’il offre actuellement le meilleur rendement de sa jeune carrière, dans le circuit Bettman.
Un rendement qui, de façon soudaine, redonne beaucoup de crédibilité à la fameuse analyse de Sidney Crosby et qui, par-dessus le marché, est directement lié à une prise de conscience personnelle de la part de Barron.
Le sympathique athlète a accepté de se confier sur le sujet.
Une prise de conscience qui a tout changé
0,64 point par match, donc.
En plus d’être le deuxième meilleur du Tricolore depuis neuf semaines, ce ratio est aussi le 29e plus convaincant de toute la LNH au cours de la même période. Plus convaincant encore que celui de joueurs comme Victor Hedman, Moritz Seider et Thomas Chabot.
Intéressant de mentionner ici que Barron ne joue environ que 55 secondes par match en avantage numérique, ce qui est loin d'être le cas de tous les patineurs nommés ci-haut, beaucoup plus utilisés à cinq contre quatre.
«C’est drôle, mais c’est sur le polissage de mon jeu défensif que j’ai mis le plus d’efforts, avant d'être rappelé, commente Barron. Pourtant, il est vrai que les points s’accumulent, depuis quelques semaines. Je me sens bien sur la glace et je suis bien guidé par les gars.»
Aussi impressionnants les récents chiffres de Barron soient-ils, il était quand même logique de s’attendre à une certaine production de sa part, dans la LNH.
Les gens ayant suivi sa carrière le savent: il a mis des points au tableau partout où il est passé. Que ce soit dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (112 points en 186 matchs) ou encore dans la Ligue américaine de hockey (40 points en 75 matchs).
Pourtant, lors des sept premières joutes suivant son rappel par le CH, panne sèche. Aucun point et un différentiel de -5.
Désirant logiquement demeurer avec le Tricolore, Barron s’est mis à réfléchir. Il y est alors allé d'une prise de conscience: c’est son dynamisme offensif qui avait été l’un des principaux motifs derrière sa sélection en première ronde (25e au total) du repêchage de 2020. Et c’est aussi cet aspect de son jeu qui lui avait valu d'être rappelé par Montréal, quelques jours plus tôt.
«À mes premiers matchs avec l’équipe, je me concentrais sur le simple objectif d’être bon défensivement. Mais je pense qu’il est primordial de ne pas te dénaturer, quand tu arrives dans la LNH. Chaque gars est repêché ou rappelé pour une raison. Pour ma part, je pense avoir attiré l’attention, étant plus jeune, grâce à mes atouts en attaque. J’ai finalement décidé de jouer avec mes forces dans cette ligue aussi.»
Force est d’admettre que les chiffres donnent raison à sa démarche!
«Plus les matchs s’enchaînent et plus je prends confiance, poursuit Barron. J’essaie des choses que je faisais avant et je vois qu’elles fonctionnent aussi dans la LNH. Ça me met dans un bon état d’esprit. Évidemment, je souhaite toujours être fiable, mais je vise maintenant plus haut et je veux continuer d’apporter de l’offensive à l’équipe.»
Derrière ces convaincantes performances, ajoute Barron, il y a aussi un peu de Martin St-Louis.
«Nous avons une très belle relation. J’aime qu’il me laisse toute la liberté possible pour m’exprimer sur la glace. Ça joue pour beaucoup sur la qualité de mon jeu. Il me place constamment dans des situations où il sait que je vais pouvoir performer. Il est un fit parfait avec cette équipe. Je suis excité de pouvoir travailler avec lui dans les prochaines années.»
«J’avais très hâte de me dévoiler réellement aux fans de l’équipe»
Artturi Lehkonen, était, pour plusieurs raisons, très apprécié des partisans des Canadiens.
Justin Barron a pu le constater le 13 mars dernier, alors que le Finlandais a été chaudement accueilli par la foule du Centre Bell, à son retour à Montréal.
Barron n’est pas différent des autres athlètes. Il a un orgueil et voyait bien, depuis l’échange, que Lehkonen connaissait du succès alors que les choses n’allaient pas aussi bien pour lui. Il attendait impatiemment l’opportunité de pouvoir à son tour démontrer ses qualités à ses nouveaux partisans.
«Lehkonen est un super joueur et il était adoré ici. L’ovation qu’il a reçue la semaine dernière parle d’elle-même. Mais oui... J’avais très hâte de me dévoiler réellement aux fans de l’équipe. Ultimement, je souhaite avoir un impact similaire à celui qu’a exercé Artturi ici. Il se présentait toujours quand ça comptait.»
À défaut de savoir exactement ce que pense le public du jeune homme pour l’instant, on peut quand même confirmer qu’il est extrêmement apprécié de ses coéquipiers. Dans un autre coin du vestiaire, Johnathan Kovacevic n’avait aucune envie de mâcher ses mots lorsque questionné sur le rendement de Barron.
«Justin est vraiment impressionnant! Il voit tellement bien le jeu. Il a du flair et sait comment générer de l’attaque. Il n’est pas nécessairement "flashy", mais est toujours en contrôle. Honnêtement, j’apprends beaucoup en le regardant jouer, même s’il est plus jeune que moi. Pour un joueur de 21 ans, avoir cette confiance et offrir un rendement aussi solide dans les trois zones, c’est gros.
«C’est l’un de mes meilleurs amis dans l’équipe. Il est très drôle et passe son temps à taquiner tout le monde. Autant il prend énormément soin de lui et est très sérieux quant à sa préparation, autant il est capable de décrocher et d’avoir du plaisir. Je l’aime beaucoup.»
Des fleurs à un entraîneur québécois bien connu
Le cheminement de Barron, comme vous avez assurément pu le constater au fil de votre lecture, n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Questionné à savoir s’il avait en tête une personne l’ayant particulièrement aidé dans son développement, le jeune homme cite sans hésiter le nom d’un entraîneur québécois bien connu.
«Éric Veilleux! Il m’a dirigé à Halifax lors de ma deuxième saison chez les Mooseheads et a joué un grand rôle dans ce que vous voyez aujourd’hui. Il m’a juste montré... à être un défenseur! Comment défendre comme un pro, comment me préparer. Ce genre de trucs. Je lui en suis très reconnaissant.»
Mis au fait de cette déclaration, Veilleux s'est à son tour montré très élogieux.
«J’apprécie beaucoup, mais la vérité, c’est que Justin a toujours été un professionnel. Il a toujours été l’un des plus matures de mon équipe malgré son jeune âge. Justin, c’est quelqu’un qui va poser énormément de questions à ses entraîneurs. Il veut vraiment progresser et se sert de tous les moyens possibles pour y parvenir. Il n’en a jamais assez. S’il récolte 50 points, il va vouloir en amasser 60 la saison suivante.»
«Vous verrez Justin sur notre première vague d’attaque massive»
Visiblement, Veilleux connaît son ancien protégé de A à Z.
Justin Barron produit, depuis le 17 janvier, à un rythme de 52 points sur 82 matchs. Des chiffres qui n’appartiennent, au fil des saisons, qu’à une poignée de défenseurs, souvent considérés comme les piliers de leur formation.
Pourtant, Barron ne semble pas rassasié (et c’est parfait ainsi), se disant convaincu de pouvoir faire encore mieux.
«Je pense que mon jeu offensif peut encore s’améliorer de beaucoup! Je sais que ma contribution en zone adverse peut s’exercer de plusieurs façons et je compte le démontrer prochainement.»
Kovacevic est lui aussi persuadé que la marge de progression de son bon ami est encore immense, malgré ses récents succès.
«Je pense que son potentiel n’a pas de limites, lance-t-il sans retenue. Il a tout pour devenir un arrière très dominant dans cette ligue.»
Preuve de la confiance qu’il voue au jeu de son coéquipier, le numéro 26 du CH risque même cette prédiction.
«Vous verrez Justin sur notre première vague d’attaque massive, ces prochaines années. C’est l’une de ses principales forces. Il sera un sacré bon défenseur pour les Canadiens et il le sera pour très longtemps.»
Éric Veilleux, qui en a vu d'autres, croit lui aussi que l'avenir s'annonce rose pour son ex-poulain.
«Je suis convaincu qu'il s'établira comme l'un des bons défenseurs complets de cette ligue.»
Et comment Barron perçoit-il son futur, lui?
«J’ai toujours aimé regarder Alex Pietrangelo et c’est le type de joueur que j’aimerais devenir. Il est vraiment efficace et constant. Il brille sur 200 pieds et peut diriger l’avantage numérique.»
Alex Pietrangelo est tout près du plateau des 1000 matchs, dans la Ligue nationale de hockey. Il compte actuellement plus de 500 points.
Si Barron ne fait ultimement que s’approcher de ces brillants standards, il en fera sourire plusieurs.
Sidney Crosby le premier.