Allégations d’inconduite sexuelle: l’humoriste Julien Lacroix brise le silence et accorde une entrevue controversée au Devoir
Jean-Michel Clermont-Goulet
Plus d'un an après avoir été visé par des allégations d'inconduite sexuelle, Julien Lacroix a accordé une entrevue au quotidien Le Devoir, qui avait donné la parole à des victimes présumées de l'humoriste. L'artiste revient sur sa dernière année et sur sa cure de désintoxication, en évoquant un possible retour sur scène. Il admet aussi ne pas avoir obtenu le pardon des femmes qui l'ont dénoncé. Voici quelques citations tirées de l'entrevue.
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Sur un possible retour au travail:
«Ça me fait rire, le mot “retour”. Ça fait un peu Batman! Je suis un artiste qui n’a jamais arrêté d’écrire et, honnêtement, c’est [une chose à] laquelle je me suis accroché pendant un an et demi.»
«L’art fait partie de moi, de mon équilibre de vie. [...] j’ai envie de continuer d’en faire.»
«Il n’y a pas d’agenda caché. Je sais que je veux recommencer à écrire. J’ai toujours voulu réaliser. Le stand-up fait partie de moi. Oui, je veux recommencer à travailler, mais je ne sais pas sous quelle forme encore.»
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Sur l'impact des dénonciations à son endroit:
«J’ai eu de la misère à recevoir toute cette haine-là et il y a eu des débordements, veut, veut pas. [...] J’ai été pas mal humilié, j’ai honte et j’ai envie de recommencer à marcher la tête haute.»
«J’étais conscient que j’étais dérangeant. Je ne pensais pas l’être à ce point-là.»
«Je comprends qu’on fait partie d’une révolution et d’un mouvement de dénonciations, et je suis pour.»
Sur les présumées victimes:
Julien Lacroix admet qu'il n'a toujours pas reçu le pardon des neuf victimes présumées qui se sont confiées au Devoir: «Ma porte est ouverte [à la discussion] jusqu’à la fin des temps, quand elles [les dénonciatrices] seront prêtes, si elles le sont un jour.»
En entrevue avec Le Devoir, certaines de ces femmes ont critiqué les propos tenus par l'humoriste dans sa propre entrevue. L'une d'entre elles lui reproche de manquer d'empathie à son endroit, alors qu'une autre regrette qu'il ne nomme pas «ses comportements sexuels inappropriés».
Sur le consentement:
Pendant l'entrevue, la journaliste Améli Pineda demande à Julien Lacroix s'il a réfléchi, dans les derniers mois, à la notion de consentement.
«C’est plus large que ça. Je pense qu’une relation sexuelle, c’est tellement délicat, ce n’est pas pour rien que c’est aussi complexe et que c’est aussi dur d’en parler. C’est qu’on peut vivre la même relation sexuelle et avoir deux versions différentes, et que les deux aient raison, soutient-il. Oui, j’ai réfléchi à ça, j’ai réfléchi aussi à l’empathie [envers] l’autre [et] à la limite de l’autre.»
Sur ses problèmes de consommation:
Julien Lacroix affirme qu'il avait déjà pris conscience de ses problèmes de toxicomanie avant la publication de l’article du Devoir, en juillet 2020.
«J’avais déjà arrêté de boire, je voyais un spécialiste en toxicomanie et en alcoolisme pour m’aider à cheminer là-dedans.»
«Ça fait partie de moi depuis longtemps, ces problèmes-là. À 12 ans, quand tu commences à te défoncer, et à 15 ans, quand tu commences à faire de la coke, tu sais que ça fait partie de toi et que ce n’est pas positif.»
«[L’alcool] n’a pas été une excuse, [mais] plus une échappatoire, une façon de m’engourdir. C’était très égocentrique. Quand t’es ivrogne et défoncé, c’est tout le temps “toi, toi, toi”. Ça a des répercussions sur tout le monde. [...] Mais je ne veux vraiment pas ramener ça juste à l’alcool.»
«Je pense que ça ne justifie rien, mais l’alcool et la drogue font partie de 95% des dénonciations [à mon endroit]. C’était un dénominateur commun qui est quand même important.»
Sur ses messages d’«excuses»:
En janvier 2021, l’humoriste a publié un message d’excuses sur les réseaux sociaux. Ce message en suivait un autre, publié en juillet 2020, qui avait choqué.
«[En juillet 2020] je n’étais vraiment pas outillé. Le réflexe a été de me mettre avec une agence de PR [relations publiques], puis des avocats. [...] Ces gens-là, ils sont payés pour te “protéger”, mais je ne crois pas qu’au final ce soit gagnant. Ils agissent, je pense, comme si tu étais une compagnie, comme si tu étais une marque, mais, au contraire, tu es un humain.»
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«Ma conjointe était enceinte [en janvier 2021], pis je voulais qu’elle marche la tête haute quand le monde savait que j’étais son chum.»
«J'ai reçu plus de haine en janvier 2021, quand j’ai décidé de faire part de mon processus et de m’excuser, que lorsque j’ai nié de A à Z ce qui s’est passé [en juillet 2020].»
«Je trouve que ça en dit long. [...] À la minute que quelqu’un s’excuse, il devient non seulement coupable de tout, mais encore plus. Ça laisse place à des débordements.»
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Sur son cheminement dans la dernière année:
Dans la dernière année, Julien Lacroix a intégré un groupe d’hommes de 18 à 35 ans qui ont, comme lui, fait partie de la vague de dénonciations de 2020.
«Il y a un déclic qui se fait dans la tête des gars, en ce moment [...] comme “je n’ai peut-être pas les réponses à tout, mais je veux chercher à comprendre et à m’améliorer”.»
«Je pense qu’il faut commencer à [conscientiser les jeunes] et, ça, ça vient avec des ressources, et de nommer les choses justement.»
«La première chose qu’on apprend, en thérapie, c’est de ne pas tomber dans la justification. [...] Quand tu te retrouves front page du journal, la première affaire à faire, c’est “ferme ta yeule pis écoute”.»
L'entrevue de Julien Lacroix fait évidemment beaucoup réagir. Le Devoir défend sa décision d'accorder autant d'espace à l'humoriste, affirmant qu'«il s'agit d'un accès rare à ce type de démarche» et que c'est d'intérêt public.