Jouer avec Équipe Canada Junior: un gage de succès dans la LNH?
Patric Laprade
C’est ce soir que le Championnat mondial de hockey junior se met en branle et chaque année depuis des décennies maintenant, il suscite l’intérêt des amateurs. J’en fais d’ailleurs partie, alors que ce tournoi est l’un de mes moments préférés du temps des Fêtes.
Et chaque année, on met beaucoup d’emphase sur les joueurs choisis. Les joueurs eux-mêmes se mettent beaucoup de pression pour en faire partie et une vive déception est ressentie lorsque l’un d’entre eux reçoit le coup de fil fatidique lors du camp d’entraînement.
- À lire aussi: Connor Bedard impressionné par Joshua Roy
- À lire aussi: Bedard, «tout simplement incroyable»
Je me suis souvent demandé quel était l’impact d’être choisi ou pas sur le reste d’une carrière, alors j’ai décidé de mener une analyse statistique.
En fait, je me suis posé trois questions :
- Est-ce que participer au Championnat mondial junior est un gage de succès dans la Ligue nationale de hockey?
- Est-ce qu’avoir du succès au Championnat mondial junior est un gage de succès dans la LNH?
- Et à l’inverse, est-ce que de ne pas y participer vient enlever les chances d’en avoir?
Critères et balises
Comme pour toute analyse, j’ai dû créer des critères et des balises.
Les voici dans un premier temps, les explications viendront ensuite :
- Équipe Canada Junior seulement
- À compter du Championnat mondial junior de 1982
- Avoir au maximum 25 ans en 2022
Premièrement, mon analyse ne porte que sur Équipe Canada Junior. Cela devenait fastidieux de prendre toutes les équipes, alors aussi bien prendre celle dont on parle le plus au Québec et qui plus est, celle qui a gagné le plus de médailles dans l’histoire du tournoi.
Aussi, j’ai pris l’équipe canadienne à compter de 1982 seulement.
Pourquoi?
Parce que c’est à partir de ce moment que le Programme d’excellence canadien a fait son entrée. De 1977 à 1981, sauf pour une année, on prenait l’équipe gagnante de la Coupe Memorial, en y ajoutant quelques joueurs, pour représenter le pays. Depuis 1982, on va piger parmi tout le bassin de joueurs de moins de 20 ans.
Finalement, pour ne pas fausser les données, j’ai arrêté l’analyse aux joueurs nés en 1997, donc âgés de 25 ans en 2022. En termes d’éditions du Championnat mondial junior, on parle de joueurs qui pourraient avoir joué jusqu’au tournoi de 2017.
Avant cet âge, il y a de fortes chances qu’un joueur n’ait pas joué assez de matchs dans la LNH pour qu’on puisse le juger adéquatement ou qu’il n’ait peut-être pas encore atteint sa pleine maturité, en particulier chez les défenseurs et les gardiens. Même si on se doute que Cale Makar va devenir l’un des plus grands défenseurs de sa génération, qu’en est-il de Carter Hart, Pierre-Luc Dubois, Dylan Cozens ou Nick Suzuki?
C’est donc un total de 601 joueurs qui sont répertoriés dans cette analyse.
Est-ce que participer au Championnat mondial junior est un gage de succès dans la LNH?
Maintenant que nous avons notre banque de joueurs, il faut maintenant analyser s’ils ont connu du succès dans la LNH ou pas.
Mais avoir du succès dans la LNH, ça veut dire quoi?
Ce que je veux faire ressortir ici, ce sont les joueurs qui sont devenus des vedettes. Je n’ai rien contre le joueur qui a joué 500 parties dans la ligue, qui a marqué 200 buts et qui a fait des millions pendant quelques années. C’est une forme de succès en soi.
Toutefois, il y a une différence entre ce joueur et un joueur vedette. Et ma logique est la suivante : quand tu fais partie de l’élite mondiale à 18 ou 19 ans, il y a certaines attentes à ce que tu en fasses également partie au prochain niveau.
J’ai donc conservé les exploits suivants :
- Faire partie du Temple de la renommée du hockey
- Les statistiques
- Les trophées et équipes d’étoiles
Commençons par une facile. Je pense qu’on peut s’entendre que faire partie du Temple de la renommée du hockey signifie que le joueur a eu du succès au cours de sa carrière.
Sur les 601 joueurs répertoriés, seulement 14 ont été intronisés au panthéon, soit un pourcentage de 2.33%.
Chris Pronger, Scott Niedermayer, Brandan Shanahan, Dave Andreychuk, Eric Lindros, Jarome Iginla, Joe Nieuwendyk, Joe Sakic, Luc Robitaille, Mario Lemieux, Mark Recchi, Paul Kariya, Steve Yzerman et Roberto Luongo.
À cette liste, on peut en ajouter environ 10, si on additionne ceux qui, selon toute vraisemblance, vont en faire partie un jour, tels que Joe Thornton, Sidney Crosby, Patrice Bergeron, Marc-André Fleury et Connor McDavid.
Sur une équipe de 21 joueurs, c’est donc dire qu’un seul ferait son entrée au panthéon.
Au niveau des statistiques, ce n’est pas aussi limpide.
Allons-y d’abord avec les plus évidentes. Compter 500 buts ou marquer 1000 points est un standard de succès bien accepté dans le monde du hockey.
Seulement 13 joueurs ont compté au moins 500 buts et j’inclus Steven Stamkos qui en a 497, alors que 18 joueurs ont obtenu au moins 1000 points. Encore une fois, on parle de moins de 3% du nombre total de joueurs répertoriés.
Baissons les barèmes quelque peu: 400 buts et 800 points. Cela nous donne 26 et 40 joueurs respectivement, ce qui demeure un club très restreint.
Qu’en est-il du nombre de parties?
Bien que ça ne départage pas une vedette d’un joueur marginal, je crois qu’il est honnête de considérer qu’un hockeyeur qui participe à 1000 matchs et plus dans sa carrière a connu du succès.
Ce nombre s’élève à 82 joueurs, mais il devrait augmenter d’ici la fin de la saison, pour nous amener à environ un joueur sur six. Si on baisse la balise à 800 matchs, soit plus ou moins 10 saisons complètes, on devrait être rendu à environ 160 joueurs d’ici la fin de la saison ou autrement dit, un joueur sur quatre. Et n’oubliez pas que le nombre de matchs pénalise les plus jeunes. Aucun joueur d’Équipe Canada Junior né après 1992 n’a atteint le plateau des 800 matchs.
Si les statistiques offensives définissent davantage le succès d’un attaquant, pour les défenseurs, ce n’est pas le seul critère. Le trophée Norris devient donc notre balise pour cet exercice.
Sur les 183 défenseurs, seulement cinq ont remporté le trophée Norris, soit moins de 3% (Chris Pronger, Scott Niedermayer, P.K. Subban, Drew Doughty et Brent Burns) alors que 12 ont été choisies dans l’une des deux équipes d’étoiles à la fin de la saison, soit 7%.
Du côté des gardiens de but, même si le nombre de victoires est une statistique qu’on mentionne souvent, elle n’est pas celle qui détermine la qualité d’un gardien. C’est tout de même une statistique qui démontre un certain succès.
Si on parle de 500 victoires, c’est un club d’un seul gardien : Marc-André Fleury. Même si on prend uniquement ceux avec 300 victoires, seulement cinq sur les 53 gardiens répertoriés ont atteint ce plateau, ou bien un gardien sur 10.
Au niveau des trophées, trois ont remporté le trophée Vézina (José Théodore, Carey Price et Marc-André Fleury) et trois autres ont été choisies dans les équipes d’étoiles.
Le faible nombre de gardiens ayant eu 300 victoires ou ayant remporté le Vézina est bien compréhensible. Alors que 13 attaquants et six défenseurs sont choisis chaque année, seulement deux gardiens le sont, ce qui rend la sélection d’un gardien encore plus rare.
Premier constat : jouer avec Équipe Canada Junior n’est pas un gage de succès dans la LNH. Un très faible pourcentage deviendra des vedettes.
Est-ce qu’avoir du succès au Championnat mondial junior est un gage de succès dans la LNH?
Maintenant, regardons ceux qui connaissent du succès au Championnat mondial junior. Peut-être qu’elle est là la clé? Est-ce qu’il faut connaître du succès au mondial junior pour en avoir dans la LNH?
Pour déterminer le succès au mondial junior, nous allons considérer deux critères :
- Étant donné que certains n’ont joué qu’un seul tournoi et d’autres deux ou trois, nous allons considérer la moyenne de points par matchs
- Avoir été voté meilleur à sa position
De cette liste, sept sont au Temple de la renommée, quatre autres devraient y accéder dans les prochaines années, pour un total de 9% des meilleurs pointeurs par match.
Sur une équipe de 21 joueurs, on parle maintenant de deux joueurs. On double donc nos chances de succès.
De cette même liste, 10 ont au moins 1000 points, 21 en ont au moins 800, 7 ont au moins 500 buts, 15 en ont au moins 400. À tous les niveaux, c’est à peu près le double en pourcentage de ce que nous avions à la première question.
Regardons maintenant la liste de ceux qui ont été votés les meilleurs à leur position au Championnat mondial junior. Un total de 30 joueurs a reçu cet honneur : 8 défenseurs, 10 attaquants et 12 gardiens. De ce nombre, sept sont ou seront au panthéon, 12 ont joué au moins 800 parties, trois des huit attaquants ont au moins 800 points, trois des 12 gardiens ont au moins 300 victoires et 11 ont remporté un trophée ou été choisi dans les équipes d’étoiles.
Le tout est assez concluant.
Deuxième constat : bien qu’il ne le garantisse pas, connaître du succès avec Équipe Canada Junior augmente de beaucoup les chances d’en connaître dans la LNH.
Est-ce que de ne pas participer au Championnat mondial de hockey junior vient diminuer les chances de succès?
Finalement, regardons ceux qui n’ont pas été joués avec Équipe Canada Junior au fil des années.
D’entrée de jeu, il faut apporter un bémol, car les raisons peuvent varier :
- Est-ce que le joueur était blessé au moment du camp d’entraînement?
- Est-ce qu’il jouait dans la LNH et son équipe ne l’a pas libéré?
- Est-ce que pour une raison ou une autre, il a refusé d’y participer?
Aussi, il est important de comprendre qu’il s’agit principalement un tournoi pour les 18 et 19 ans. Alors à seulement 17 ans, souvent à son année de repêchage, il est possible que le joueur n’ait pas été retenu ou même invité. Depuis 1982, seulement une quarantaine de joueurs de 17 ans ont fait l’équipe, c’est-à-dire en moyenne un par année. Et si l’année suivante il a immédiatement fait le saut dans la LNH, il n’aura jamais eu la chance de jouer dans le tournoi.
C’est le cas entre autres de Cam Neely, Tyler Seguin, Matt Duchene et Jeff Skinner. Les considérer dans cet exercice serait de fausser les données.
Cela dit, d’autres joueurs répondent parfaitement aux critères.
Al MacInnis a été coupé au camp de 1982, Doug Gilmour l’a été en 1983 et en 1985, Patrick Roy, Gary Roberts et Scott Mellanby ont été retranchés du camp. Ces trois
derniers totalisent 3684 matchs dans la LNH! Owen Nolan n’a pas fait l’équipe en 1990 et il a tout de même été choisi premier de l’encan universel quelques mois pus tard. En 1991, l’entraîneur Dick Todd a coupé Adam Foote, Darryl Sydor, Yanic Perreault et Geoff Sanderson. En 1992, Chris Pronger, Chris Osgood et Martin Brodeur ont été retranchés.
Bref, vous le devinez, la liste est longue.
Commençons avec les attaquants, parce que c’est la position où il y a le plus de joueurs choisis et celle qui se démarque le plus au niveau des statistiques.
Il y a 53 attaquants canadiens nés entre 1963 et 1997 qui ont marqué au moins 800 points en carrière dans la LNH. De ce nombre, 41 ont participé à un Championnat mondial junior, deux ont débuté dans la ligue à 18 ans et 10 n’ont jamais joué avec Équipe Canada Junior : Vincent Damphousse, Ray Whitney, Eric Staal, Martin St-Louis, Shane Doan, Rick Tocchet, Jason Arnott, Steve Thomas, Ray Ferraro et Cliff Ronning.
C’est donc dire qu’un attaquant sur cinq a une chance de faire 800 points sans avoir joué au mondial junior.
Au cours des 30 dernières années, 10 défenseurs canadiens différents ont remporté le trophée Norris. De ce nombre, quatre n’ont jamais passé par Équipe Canada Junior, soit 40%, dont Duncan Keith qui l’a gagné à deux reprises.
Si on fait le même exercice avec les gardiens, six gardiens de but canadiens différents ont remporté le trophée Vézina. De ce nombre, trois n’ont jamais joué avec Équipe Canada Junior, soit 50%, dont Martin Brodeur qui l’a gagné à pas moins de quatre reprises.
On voit que les pourcentages augmentent pour les défenseurs et les gardiens, ce qui est tout à fait normal étant donné que moins de joueurs sont choisis à ces positions.
Et pour terminer, prenons les joueurs admis au Temple de la renommée du hockey et qui étaient susceptibles d’être choisis pour aller au Championnat mondial de hockey junior depuis 1982. Pour les raisons expliquées plus haut, j’ai exclu les joueurs ayant fait le saut dans la LNH dès leur année de repêchage sans avoir eu le temps d’y participer.
Un total de 22 joueurs couvrant cette période et répondant à ces critères a été intronisé au panthéon. De ce nombre, huit n’ont pas joué avec Équipe Canada Junior, soit 36% : Patrick Roy, Al MacInnis, Ed Belfour, Doug Gilmour, Adam Oates, Rob Blake, Martin Brodeur et Martin St-Louis.
Troisième constat : oui, ne pas jouer avec Équipe Canada Junior vient diminuer les chances de succès. Toutefois, diminuer ne veut pas dire anéantir, alors que 25% à 30% des joueurs ayant connu du succès dans la LNH auraient pu jouer Équipe Canada Junior, mais n’ont pas été choisis.
Pas la fin des haricots
Est-ce les constats que vous vous étiez faits dans vos têtes dès le départ? Oui? Tant mieux! Nous avons maintenant les statistiques pour le prouver.
Ce sera aussi intéressant de reprendre l’exercice dans quelques années, alors que nous pourrons évaluer les joueurs des dernières années.
Et dites-vous que si un joueur a été retranché du camp d’entraînement ou n’a même pas été invité, ce n’est pas une finalité, ce n’est pas la fin des haricots en ce qui a trait à sa carrière de hockey.
Bien que le Championnat mondial de hockey junior et Équipe Canada Junior soient influents dans la carrière professionnelle d’un joueur, il y aura toujours un Patrick Roy, un Duncan Keith ou un Vincent Damphousse pour venir tromper les statistiques!