Johnny Rougeau, l’homme de hockey
Patric Laprade
Le récent décès de Mike Bossy a ramené dans l’actualité le nom de l’ancien lutteur et promoteur, Johnny Rougeau.
La raison est bien simple.
En plus de sa carrière dans le monde de la lutte professionnelle, Johnny Rougeau a aussi eu une longue et fructueuse carrière dans le monde du hockey, qui le mènera tout droit au Temple de la renommée de la Ligue de hockey junior majeur du Québec.
Si son père Armand était entraîneur de boxe à la Palestre nationale, grand centre sportif de son époque, et que son frère Jacques fera la finale des gants dorés en 1946, Johnny, comme bien des garçons de son âge jouait au hockey lorsqu’il était jeune. Né le 9 juin 1929, c’est à la position de gardien de but qu’il se démarquait. Il avait d’ailleurs l’espoir d’en faire un métier. Il avait gardé les buts pour plusieurs écoles avant de jouer avec le National dans la ligue junior du Forum, la meilleure ligue Junior A du Québec à l’époque.
Durant la saison 1944-45, alors que la Deuxième Guerre mondiale tirait à sa fin, Rougeau a participé à deux rencontres. Mais il n’avait pas une bonne équipe devant lui. En effet, le National avait terminé bon dernier de la ligue, ne gagnant pas une seule partie de l’année. L’équipe ne comptera d’ailleurs pas de futurs grands joueurs, outre André Corriveau, qui connaîtra ses heures de gloire quelques années plus tard dans la Ligue sénior avec les Braves de Valleyfield, alors dirigés par le légendaire Toe Blake.
Ce seront les deux seuls matchs que Rougeau jouera dans cette ligue. De son propre aveu, il n’avait pas le talent suffisant pour jouer avec les professionnels.
Cependant, son amour pour le sport national des Québécois ne diminuera jamais et lorsque l’occasion s’est présentée à la fin des années 1960, il ne l’a pas laissé filer.
Rosemont, Laval et Bossy
Rougeau s’est d’abord porté acquéreur d’un club junior de la ligue Métropolitaine, les Bombardiers de Rosemont, en 1969, pour ensuite le renommer le National de Rosemont, en l’honneur des équipes qu’avaient produit la Palestre nationale, où justement on y jouait au hockey et où on y pratiquait la lutte.
L’année 1969 est aussi marquée par la toute première saison de ce qui deviendra la LHJMQ, mais qu’on appelait à l’époque la ligue de hockey junior «A» du Québec, un amalgame de deux circuits de hockey junior. Rougeau en est même devenu le vice-président lors de cette première campagne.
Des ennuis financiers après cette première campagne forcent Johnny à fusionner son équipe avec les Saints de Laval. Malgré tout, en novembre 1970, il achète un autobus pour voyager ses joueurs, devenant ainsi la première équipe à posséder son propre autobus.
Après deux saisons au centre Paul-Sauvé, Rougeau déménage l’équipe à Laval. Il prend sa première retraite de la lutte en août 1971 et devient coach de l’équipe pour la saison 1971-72, sa première au Colisée de Laval. L’année précédente, Rougeau avait remplacé derrière le banc pour cinq parties.
Mais la saison 1971-72 ne répond pas aux attentes. Malgré les prouesses de son joueur étoile, Bob Sirois, qui s’alignera plus tard avec les Capitals de Washington et qui deviendra un auteur et un fort défenseur du hockey québécois, l’équipe de Rougeau termine au dernier rang de la ligue. Après 42 désastreuses parties et une friche de 6 victoires et 36 revers, dont 16 défaites consécutives, Rougeau avait même laissé son poste à Paul Larivée. Il reviendra toutefois à la barre de son club l’année suivante.
La saison 1972-73 sera légèrement mieux pour la troupe de Rougeau. Avec Robert Sauvé dans les filets, obtenu lors d’un repêchage spécial lors de la dissolution des Maple Leafs de Verdun,l’équipe se classe pour les séries éliminatoires, mais perdra en première ronde face aux puissants Éperviers de Sorel de Pierre Larouche, Pierre Mondou, Jacques Cossette et Michel Déziel.
C’est lors de cette saison, 1972-73, qu’un jeune Mike Bossy fait ses débuts avec Laval.
Rougeau voyait Bossy dans sa soupe. Alors qu’il avait 12 ans, Bossy jouait pour l’équipe des Loisirs St-Alphonse de Montréal. Il avait joué au tournoi pee-wee de Québec et avait même représenté le Québec en France. Rougeau propose donc à la famille de déménager à Laval afin que Bossy puisse y continuer son hockey mineur et éventuellement jouer pour le National. À l’époque, le repêchage midget n’était pas comme celui d’aujourd’hui. L’entente de Rougeau avec la famille Bossy c’est qu’il payait la moitié de loyer du logement de Chomedey dans lequel la famille s’était installée.
À sa première saison dans la LHJMQ, Bossy, âgé de seulement 15 ans, ne joue que quatre parties, totalisant trois points. Mike n’était pas le premier Bossy à jouer pour le club de Rougeau. Lors de la première saison de la ligue en 1969-70, son frère Patrick avait joué 18 parties avec le National de Rosemont.
«Je ne l’ai pas beaucoup connu. Quand je suis arrivé avec l’équipe, il est parti pas longtemps après», m’avait dit Mike une fois dans les studios de TVA Sports, alors que je l’avais questionné sur sa relation avec Johnny Rougeau.
Morency, Lacroix et Ménick!
En effet, en juin 1973, Rougeau vend son club pour ainsi retourner à sa première passion, la lutte professionnelle. Toutefois, trois ans plus tard, en 1976, avec la lutte professionnelle qui devenait de moins en moins populaire et sachant qu’il perdrait son émission de télévision au Canal 10 (TVA maintenant), Sur le matelas, Rougeau vend les As de la Lutte et décide de revenir dans le hockey junior en rachetant le National.
C’est à ce moment-là la dernière saison de Bossy avec le National. Fort d’une saison de 75 buts et 126 points, il est de loin le meilleur joueur de l’équipe. Cependant, pour la saison 1976-77, ce n’est pas Rougeau qui était derrière le banc. Ce dernier se consacre plutôt à son travail de président et de gérant-général.
C’est alors que Rougeau s’est muni d’une équipe de communications assez extraordinaire. En effet, plusieurs personnalités qui sont maintenant connues des Québécois ont œuvré pour Rougeau lors de ce retour.
Le barbier des sportifs Ménick, Richard Morency, qui deviendra pendant 10 ans le vice-président des Expos de Montréal, le photographe du Journal de Montréal de l’époque, André «Toto» Gingras, de même que Pierre Lacroix, qui deviendra ultimement président de l’Avalanche du Colorado. Même le gérant d’affaires de Maurice «Mad Dog» Vachon et publiciste de renom, Michel Longtin, fut engagé par Rougeau.
«Je travaillais depuis longtemps avec le Comité des Jeunes de Rosemont et je m’occupais beaucoup des sports amateurs dans le coin. Johnny était un client du salon, raconte le célèbre barbier. Je lui ai dit que je pouvais emmener Pierre Lacroix qui travaillait alors chez O’Keefe et Richard Morency, qui lui travaillait chez CCM. On était toute une équipe aux relations publiques. J’ai finalement œuvré 14 ans au sein d’un club de la ligue.»
Pour Richard Morency, ce fut aussi une belle expérience.
«Notre rôle à Pierre et moi était de développer des concepts promotionnels. Nous y avons travaillé pendant un an et demi et on a quitté en raison de nos occupations personnelles, explique-t-il. Johnny avait tellement le sens des affaires qu’il pouvait développer des choses bien spéciales, comme à la lutte où il pouvait monter des choses spectaculaires. Nous, on apprenait à ce moment-là. Il démontrait un réel savoir-faire.»
Président de la LHJMQ
En plus de ses tâches comme gouverneur et directeur-gérant de l’équipe, Rougeau remplace son entraîneur Jacques St-Jean à quelques reprises lors de la saison 1977-78 et surtout, lors de la fameuse série contre les Castors de Sherbrooke au printemps de 1978. Suite à deux bagarres générales, Rougeau avait lui-même été suspendu pour le reste de la série. Des poursuites avaient d’ailleurs été intentées de part et d’autre. C’en fut assez pour Rougeau.
Voulant se concentrer sur son restaurant à Entrelacs, situé à la frontière des Laurentides et de Lanaudière, il décide de vendre à nouveau son club de hockey, cette fois-ci pour la dernière fois.
Toutefois, trois ans après avoir vendu le club, le 8 août 1981, Rougeau allait devenir le président de la ligue. Dans sa biographie, il raconte qu’il ne se savait pas malade à ce moment-là, sinon, il n’aurait pas accepté le poste. En effet, peu de temps après, le diagnostic était tombé : il souffrait d’un cancer. Il a tout de même maintenu ses fonctions jusqu’au 14 mai 1983, soit 11 jours avant son décès.
Tout de même, malgré un court règne à la tête de la ligue, il a eu le temps de faire sa marque. L’un des aspects que Rougeau a introduits lorsqu’il était président est l’implication de la ligue dans la scolarisation des jeunes joueurs, en créant les premières bourses d’études de l’histoire de la ligue afin de récompenser l’effort des joueurs-étudiants, quelque chose qui est bien ancré aujourd’hui.
«Il était tellement populaire, il avait une droiture, c’était encore un personnage qui avait marqué la ligue, ajoute Michel Côté, président du comité d’intronisation en 2015. Ça n’avait pas été difficile à le convaincre de prendre le poste de président. La lutte, c’était complètement fini. Jean amenait aussi son leadership. La ligue avait besoin d’un peu plus de rigueur et c’est ce que Jean avait apporté. Ça a été l’un des éléments déclencheurs, sinon l’élément déclencheur qui fait qu’aujourd’hui il y a un sérieux de mis dans les études par les jeunes de la ligue. C’est tout à l’honneur de la ligue et les premiers pas ont été faits avec M. Rougeau et Jean Trottier, qu’il avait engagé comme pédagogue, afin de suivre les activités scolaires des jeunes.»
Premier hommage posthume
Le 8 avril 2015, lors du gala des Rondelles d’Or présenté par la LHJMQ, Rougeau était intronisé au Temple de la renommée de la ligue, le tout premier à être honoré de la sorte de façon posthume, coïncidant ainsi avec le 20e anniversaire du Temple de la renommée.
«La décision est venue presque unanimement de la part du comité, affirme Michel Côté. C’est le 20e, alors nous nous sommes dit qu’il fallait en profiter et nommer quelqu’un à titre posthume. Les gouverneurs et le commissaire étaient tous d’accord avec la décision. Si M. Rougeau avait été vivant, il serait déjà intronisé. Son intronisation ouvre maintenant la porte à d’autres intronisations posthumes. On était mal à l’aise avec ça, car il y avait un certain favoritisme dû au fait que la personne était vivante ou pas, ce qui ne devrait rien à voir avec les accomplissements pour la ligue.»
Côté ne pouvait mieux dire. Depuis, trois autres bâtisseurs ont fait leur entrée au temple après leur décès, soient l’entraîneur Ron Lapointe, l’arbitre Luc Lachapelle et le dirigeant, Eric Taylor.
Pour le commissaire de la LHJMQ Gilles Courteau, le choix de Johnny Rougeau comme premier intronisé posthume allait de soi.
«Quand on a commencé, on savait qu’on avait une récupération assez importante à faire. On a décidé d’y aller étape par étape, de ne pas y aller d’une intronisation en masse, explique Courteau. M. Rougeau a représenté quelqu’un qui a été dans la ligue pour les bonnes raisons. Il a fait beaucoup pour le hockey junior à Laval et pour la ligue. Il a été un innovateur en développant le côté commandite au niveau de la ligue. Il a fait beaucoup à cet effet-là. Il avait une très belle personnalité et une bonne prestance comme président. Il était capable de faire passer ses idées. C’est dommage que la maladie l’ait emporté parce qu’il aurait été président de la ligue pour plusieurs années. Il a créé un très gros impact lorsqu’il a été président.»
C’est l’une de ses deux filles, Suzanne, qui avait reçu la plaque et la bague au nom de son père, devenant par le fait même la première dame à enfiler ce prestigieux bijou.
«Je considère que c’est un grand honneur, c’est une marque de reconnaissance pour mon père et ce qu’il a fait pour la ligue, exprimé Mme Rougeau. Sa nomination de président à la fin de sa vie lui a permis d’atteindre ses objectifs au niveau affaires. Il dirait qu’il se sent privilégié d’avoir cette marque de reconnaissance là, surtout l’intégration du volet scolaire. Ce fut un fait marquant dans sa carrière. Même si c’est un homme d’affaires qui a été impliqué dans plusieurs milieux, il a eu une passion et un intérêt pour le hockey, et dans l’encadrement des jeunes et idéalement les faire passer dans la LNH. Je pense que ça a été une marque de reconnaissance ultime dans son parcours de vie.»
Pour Jacques Rougeau père, il s’agissait de tout un honneur que son frère recevait.
«C’est une fierté pour la famille et un honneur qu’il méritait. Je suis content qu’on reconnaisse son travail qu’il a fait pour la ligue. Le hockey, c’était une deuxième passion pour lui. Mon frère aurait été fier et honoré qu’on lui rendre cet ultime hommage», m’avait-il dit à l’époque. Jacques est malheureusement décédé en 2019.
Décédé le 25 mai 1983, ses funérailles avaient eu lieu le 28 mai, ironiquement, le jour du repêchage de la LHJMQ. Jean Béliveau, Dickie Moore, Toe Blake, Jacques Laperrière, des représentants de la LHJMQ, des Nordiques, des Expos et plusieurs personnalités du monde de la lutte professionnelle faisaient partie des quelques 7 000 personnes ayant envahi les alentours de l’église.
Lors de la saison suivante, la ligue a décidé de renommer le trophée remis aux champions de la saison régulière en son honneur, un trophée qui représentait bien Rougeau selon Courteau.
«Ça représentait bien Jean Rougeau. Tout ce qu’une équipe fait pendant une saison tout le travail fait pour obtenir le championnat de la saison régulière, c’est à l’image de M. Rougeau et je pense qu’on ne peut pas lui donner un meilleur nom que ça.»
Et la lutte dans tout ça?
Tous les intervenants s’entendent pour dire que le passé de lutteur et de promoteur de Rougeau n’a jamais été un problème pour la ligue.
«Tout le monde reconnaissait le travail que M. Rougeau avait fait comme lutteur professionnel et comme organisateur au niveau de la lutte. Ce n’est pas une situation qui a été problématique. Il amenait plus de positif que de négatif, à cause de sa réputation et de son expérience. C’était un rassembleur, quelqu’un qui avait une belle vision. Ça a été un ajout positif pour notre ligue», résume Courteau.
Ménick, qui a un respect sans borne pour l’homme qu’était Jean Rougeau, abonde dans le même sens.
«On allait voir les commanditaires, les détenteurs de billets de saison et le monde capotait de le voir en personne. Johnny allait les remercier. Il travaillait à la mitaine. Être populaire, ça aidait, ça ouvrait des portes.»
Cependant, on peut sortir un homme de la lutte, mais on ne peut sortir la lutte d’un homme.
En 1969, M. Rougeau avait nommé le secrétaire-trésorier des As de la Lutte, Jos Bélanger, au même poste. Il avait aussi instauré le trophée des Frères Leduc, pour ainsi récompenser le joueur le plus agressif ! Autre temps, autres mœurs !
«Il avait présenté son nouvel entraîneur en conférence de presse, l’ancien gardien Denis DeJordy, dans une boîte de frigidaire en carton, se souvient Ménick. C’était un gars de show, de spectacle, c’était en lui. DeJordy n’avait pas trop aimé ça. Mais M. Rougeau faisait tout pour faire un show!»
L’ancien gardien de but, maintenant agent, Robert «Bob» Sauvé en garde de bons souvenirs.
«On voyait souvent les lutteurs à nos matchs. M. Rougeau voyageait avec nous. Tout le monde avait beaucoup de respect pour lui. À tous les jours, on avait des combats de lutte dans la chambre. On côtoyait les lutteurs de façon courante. Il y en avait partout dans les estrades. Ils venaient sur la route avec nous. On nous laissait souvent tranquilles! C’était des bonnes années. J’en garde un souvenir extraordinaire!»
«Même si le hockey n’était pas sa spécialité, il avait une prestance, mais avec nous il était très gentil et nous traitait un peu comme ses enfants, continue Sauvé. Il était du genre rassembleur, mais il était très axé sur la discipline. Par exemple, on se faisait couper les cheveux dans la chambre à tous les premiers du mois par Ménick. J’avais une excellente relation avec lui. On avait tous une bonne relation avec lui. Il commandait le respect.»
Johnny Rougeau a terminé sa carrière d’entraîneur avec une fiche de 38 victoires, 72 défaites et un match nul en 111 parties et ajoutant une victoire et cinq défaites en séries éliminatoires. Le National, pour sa part, allait devenir les Voisins, les Titans et aujourd’hui, le Titan d’Acadie-Bathurst. La franchise remportera d’ailleurs sa seule Coupe Memorial en 2018. Outre Bossy, Mario Lemieux, Martin Lapointe, Roberto Luongo et Patrice Bergeron ont été les principales vedettes à porter le gilet de l’équipe fondée par Johnny.